Philippe Carly est aussi adulé par les fans de… On pourrait réitérer l’exercice à l’infini. Dans les années 80, rue de Manchester à Molenbeek (Bruxelles), tous les groupes du rock indé défilaient dans cette ancienne raffinerie. Echo and The Bunnymen, The Psychedelic Furs… Tout ce que compte l’Angleterre de formidable a joué au Plan K. Et Philipe Carly et ses Olympus étaient là.
Retour sur cette époque et ce livre avec le principal intéressé.
Pourquoi être passé par le crowdfunding pour la publication de votre article ?
Philippe Carly : Je m’étais adressé à quelques éditeurs belges. Certains ne se sont pas donné la peine de répondre, d’autres n’avaient pas les fonds. En Angleterre, un éditeur a trouvé le projet chouette, mais trop “de niche”. ARP2 avec qui j’ai décidé de travailler, était vraiment enthousiaste et pouvait apporter beaucoup au projet, mais n’avait hélas pas non plus les fonds. De plus cela me permettait de rester maître du projet.
Comment êtes-vous venu à la photographie ?
Philippe Carly : C’est mon père qui m’a appris la photo. Celle-ci répondait parfaitement à deux côtés apparemment inconciliables de ma personnalité : la rigueur scientifique et la créativité artistique. Lorsque le punk a commencé, je voulais faire partie de ce mouvement qui déferlait et emportait tout sur ton passage, pas seulement la musique, mais surtout une rébellion qui s’exprimait par la prise en main de la création : mode, création, production et diffusion audio-visuelle. Même pour le punk j’étais trop piètre musicien, alors j’ai décidé de documenter cela avec mon appareil photo. C’est très clair maintenant avec le recul, mais à l’époque, j’étais évidemment beaucoup plus dans l’instant et l’instinct.
Joy Division & Ian Curtis
Vous rappelez-vous de votre premier concert au Plan K ?
Philippe Carly : Oui, c’était pour le premier concert de Joy Division. Annik nous l’avait annoncé et nous avait bien “vendu” le groupe. On avait bien sûr écouté Unknown Pleasures, mais rien n’aurait pu nous préparer à la claque qu’on a pris ce soir là. Honnêtement, ce son, Ian sur scène, on n’avait jamais rien vu de tel.
Une photographie de Curtis est en couverture… Les deux concerts de Joy Division ont eu quel effet sur vous ?
Philippe Carly : C’étaient évidemment de très bon concerts, même si pour le second, il n’y avait plus le même effet de surprise. Mais la musique de Joy Division en général, et les deux concerts en particulier ont joué un rôle non négligeable dans le développement de mes goûts musicaux. La photo de Ian Curtis est en couverture pour plusieurs raisons. Tout d’abord bien sûr à cause de sa notoriété et de son association immédiate avec le Plan K. Ensuite pour ce qu’elle veut dire pour moi : son histoire, son parcours me rappellent d’abord Annik (qui a fait parvenir les photos à Joy Division et à Factory) mais aussi que dans la vie même si on veut tout contrôler, le hasard et les accidents jouent un rôle prépondérant, et enfin que – et cela aide le photographe à se débarrasser de ses prétentions artistiques et de ses illusions de talent – c’est le sujet qui fait qu’une photo plaît ou non.
Joy Division - Unknown Pleasures
Quel matériel utilisiez-vous pour faire vos photographies ?
Philippe Carly : A l’époque j’utilisais deux boîtiers Olympus, un OM-1 et un OM-2n, et une série d’objectifs fixes lumineux (50, 85, 135, 180 tous f2.8) avec d’abord du film Ilford HP5 et ensuite du Kodak Tri-X tous deux 400 ASA, “poussé” à 800.
Comment as-tu sélectionné les photographies présentes dans cet ouvrage ?
Philippe Carly : La volonté été d’inclure toutes les photos faites aux deux concerts de Joy Division, quelques photos par autre concert et enfin quelques photos d’ambiance. Comme je voulais une belle taille de photo, j’ai dû en laisser de côté, sinon le livre aurait été beaucoup trop gros. Le choix s’est porté sur des photos qui restituent l’ambiance, l’énergie, l’éclectisme, la spontanéité, la communion qui prévalaient à l’époque. Il a aussi quelques photos qui sont semblables, mais différentes, qui montrent deux facettes d’une même chose, un peu comme quand on précise son idée dans une conversation. En tous cas des photos dans lesquelles je me retrouve, dont je suis content parfois en dépit de leur imperfection. Le choix final, le plus dur, s’est fait avec ma femme, qui a apporté le recul nécessaire et m’a aidé faire les bons choix.
Deux questions « idiotes ». Quelle est la photographie de l’époque du Plan K qui vous donne le plus de satisfaction ? Quelle est votre photo la plus ratée de cette époque ?
Philippe Carly : La photo de Ian Curtis serait une réponse trop évidente : comme je l’ai dit je suis conscient que son succès est dû plus au destin tragique de Ian Curtis qu’à mon talent. Je suis cependant super fier et honoré, qu’elle soit si souvent choisie pour le représenter, j’ai donc malgré tout réussi à restituer une part de son âme dans cette photo. Une réponse moins évidente est la photo de Clare Grogan (qui ne se trouva pas dans le livre, mais fait partie de l’expo) prise à 100 m du Plan K, le long du canal après leur soundcheck. Des photos ratées ? Il y a en tant : je manquais d’expérience, le film était très loin d’offrir la qualité et la sensibilité des appareils numériques d’aujourd’hui. Mes regrets se situent plus au niveau des groupes que j’ai ratés (Eurythmics au Plan K) ou des groupes belges que je n’ai pas photographiés en me disant que je les reverrais bien après (je n’avais pas beaucoup d’argent pour me payer les films).
Pas de plan B pour le Plan K
Le Plan K se situe à Molenbek (d’après ce que j’ai lu). Vous donnez un éclairage « neuf » sur ce quartier…
Philippe Carly : Oui, le Plan K est à quelques centaines de mètres de l’endroit où on a arrêté Salah Abdeslam. L’éclairage que je jette est plutôt un éclairage ancien que neuf. Le quartier n’était déjà pas follement riant à l’époque : ancien quartier industriel de Bruxelles, le long du canal, il se remettait mal du déclin industriel et du départ des entreprises restantes vers des zones plus appropriées. Les communautés immigrées s’y étaient donc peu à peu regroupées attirées par des loyers plus abordables que dans le reste de la capitale. Mais cela ne nous gênait pas. Le contexte n’était pas le même.
Vous allez être exposé chez PIAS. Comment s’est faite cette rencontre ?
Philippe Carly : A l’époque (dans les années 80) j’ai collaboré pas mal avec PIAS, j’ai shooté quelques-uns de leurs artistes pour des pochettes ou des photos de presse, j’ai réalisé quelques pochettes pour eux et je faisais aussi les tirages photos de leurs photos de presse. J’avais déjà rencontré Kenny Gates et Michel Lambot (les deux fondateurs de PIAS) et nous étions bons amis. Plus tard, comme souvent, la vie nous a un peu séparés, Je les avais revu à l’occasion de l’ouverture de leurs nouveaux bureaux où ils ont ont prévu un espace galerie. Quand le livre était en crowdfunding, je les ai contactés pour voir s’ils acceptaient de servir de point de collecte une fois que celui-ci serait édité. Et ils m’ont proposé de faire une expo pour le lancement du livre.
Qu’est devenu le Plan K aujourd’hui ?
Philippe Carly : Aujourd’hui la raffinerie est occupée par Charleroi Danses : ils y ont des bureaux, des salles de répétitions, du stockage de décors, ils y accueillent des troupes en résidence. C’est donc toujours un endroit dédié à la culture.
AU PLAN K de Philippe Carly est disponible sur www.newwavephotos.com.
L’exposition AU PLAN K est visible jusqu’au 28 février chez PIAS<, rue Saint-Laurent 36-38, 1000 Bruxelles.