Mais attention, ce disque tourne autour de la figure mystérieuse de Germain Nouveau, compagnon de Rimbaud et inspirateur des surréalistes. Son premier titre, Dévotion est en écoute exclusive ci-dessous, il clôt l’album et pourtant nous permet d’entrer dans le monde de Nouveau et de Rimbaud et de commencer un voyage métaphysique avec cette litanie principalement adressée aux femmes, sœurs, prostituée ou magicienne jusqu’à l’extase. On en veut plus alors !
Dévotion est le 44ème poème des Illuminations d’Arthur Rimbaud. Pouvez-vous nous dire pourquoi avoir choisi de mettre ce poème en lumière et en musique
Dévotion, dont le manuscrit est perdu, est effectivement un texte extrait du corpus des Illuminations d’Arthur Rimbaud. C’est un texte énigmatique, étrange. Est-ce une liste de remerciements, un générique, une prière ? On ne sait pas, on ne sait rien… Beaucoup de chercheurs se sont penchés sur ce texte mystérieux. Certains mots, comme « baou » ou bien « spunk » ont suscités des interprétations diverses, parfois délirantes. Parmi ces spécialistes, Eddie Breuil, un jeune chercheur qui a écrit un essai intitulé Du Nouveau chez Rimbaud (2014) a essayé de remonter la piste des manuscrits, la provenance de ces textes. Il a prouvé que le corpus des Illuminations a été artificiellement réuni. Au départ, il ne s’agissait pas d’un recueil structuré, les poèmes n’avaient pas d’ordre, étaient en vrac, mélangés dans plusieurs dossiers. Il faut savoir que la publication a été réalisée sans l’accord de Rimbaud (qui était en Abyssinie lors de la toute première parution, dans la revue La Vogue, en 1886). Rimbaud n’a jamais revendiqué en être l’auteur : « Absurde, ridicule, dégoûtant » aurait-il répondu lorsqu’on l’interrogea en Afrique sur ses œuvres passées… Pour Breuil, à la suite de thèses de Bouillane de Lacoste, de Jacques Lovichi, et des intuitions des surréalistes, il est possible que certains fragments des Illuminations aient été écrit à quatre mains lors du voyage d’Arthur Rimbaud et de Germain Nouveau, à Londres en 1874. En effet, toujours d’après Bouillane de Lacoste, l’écriture manuscrite de Nouveau serait présente sur les manuscrits des Illuminations… André Breton l’avait très tôt remarqué : « Saura-t-on jamais quelle part de réciprocité fut mise alors entre ces deux êtres de génie ? Sur ce séjour du 178 Stamford Street, Waterloo Road, qui fut en commun le leur, se referme une des grandes parenthèses de notre temps. […] Rimbaud-Nouveau, Nouveau-Rimbaud : on n’aura rien dit, on n’aura rien franchi poétiquement tant qu’on n’aura pas élucidé ce rapport ». Mais Breuil va plus loin et tente de montrer que Dévotion pourrait être un texte du seul Germain Nouveau (il serait trop long d’en dresser ici la liste mais ses arguments sont troublants)… Pour ma part, je ne tranche pas… Je me contente d’interroger ce texte à la fois obscur et lumineux en le plaçant – comme un point d’interrogation – à la fin de mon disque.
Discographie
Nicolas CommentPourquoi ce titre est le premier single ?
C’est le fruit du hasard. Il se trouve que cet été, après le confinement je suis allé retrouver de vieux amis à la campagne – les amis que j’évoque dans mon livre Journal à rebours (1991-1999), paru l’année dernière aux éditions Filigranes –. Nous nous sommes retrouvés dans une maison perdue en Dordogne où se trouvait une vieille roulotte de manouche, dans un fossé. J’ai pensé que l’esprit gitan, correspondait bien à l’atmosphère de Dévotion. J’ai demandé à mes amies et à nos enfants d’apparaître, d’une manière quasi-documentaire. Et j’ai tourné des plans, sans aucun préparatif… Je voulais évoquer l’idée de sororité, d’amitié entre générations, dans un esprit bohème : à mille lieues du culte de la réussite, et loin de toute idée de… « single ».
Nicolas Comment & Eric Elvis Simonet – Dévotion
On connaît sans doute, enfin la plupart des gens dont je fais également partie, plus Arthur Rimbaud que Germain Nouveau. Ces deux poètes furent très proches puisque amants en 1874.
Il n’est pas absolument prouvé qu’ils furent physiquement amants. Mais plusieurs textes de Nouveau (Mon Adonis, Mendiants, Poison perdu) ainsi que ses lettres et des témoignages de tiers (Jean Richepin) le suggèrent fortement…
En écoutant votre disque on se demande pourquoi avoir choisi de mettre en avant Germain Nouveau, et si finalement ce n’est pas plutôt une recherche sur Arthur Rimbaud et une époque particulière?!
Germain Nouveau, m’est apparu comme une sorte de vieux bluesman français, un « hobo » (on raconte qu’il s’accompagnait avec une mandoline et chantait sur les places des villages…) L’ adapter c’était pour moi faire une sorte de reportage sur les sources de la chanson française, moderne : la chanson d’auteur, la chanson « rive-gauche » si vous voulez… C’était effectivement une façon d’approcher l’intouchable Rimbaud en l’évitant, en l’esquivant… En apportant un éclairage neuf. C’était rappeler également qu’il n’y avait pas que Rimbaud, que Verlaine, mais plusieurs groupes de « décadentistes » (dixit Verlaine) : les Vivants, les Zutistes… Avec autant d’histoires d’amour et de possibilités… Quand la ministre de la culture déclare vouloir placer les dépouilles de Rimbaud et de Verlaine au Panthéon, pourquoi ne pas mettre aussi Germain Nouveau qui, pour Aragon, comme pour André Breton, n’était pas « un épigone de Rimbaud » mais… « son égal » ? Sans doute parce que sa gloire n’est pas assez clinquante pour les ors de la République… Nouveau est mort relativement vieux, comparativement à Rimbaud ou Verlaine, à plus de soixante ans, en 1920.… Longtemps, il erra sur les routes du Sud, sous divers pseudonymes… Guillaume Apollinaire raconte dans le flâneur des deux rives (1918) que Léon Dierx (alors sacré « Prince des poètes ») lui parla un jour en ces termes de Nouveau : « En ce moment même, un poète du premier ordre, un poète fou erre à travers le monde… Germain Nouveau […] » et Dierx ajoute « il a renoncé à son nom ». C’est.. puissant. Nouveau était injoignable, introuvable. Comme Rimbaud, il fuyait… Lui aussi était un « Mystique à l’état sauvage »… Il a tout fait pour détruire son œuvre et disparaître, et c’est une chance de pouvoir le redécouvrir quasiment « vierge » aujourd’hui.
Depuis votre dernier album Rose planète, quel fut le cheminement pour arriver à ce travail musical autour de Germain Nouveau et Arthur Rimbaud ?
J’avais depuis longtemps envie de faire un disque de « folk ». De composer à la guitare acoustique quelque-chose de musicalement simple mais « ouvert », dans l’esprit du Blood on the Tracks de Dylan, ce pur chef-d’œuvre, ce diamant brut… J’en suis évidemment très loin ! Mais j’ai écris les musiques comme de simples « guitare-voix », en utilisant un accordage spécial qui me permettait d’oublier les accords standards, intuitivement, sans savoir préconçu. Je voulais faire un disque de « Folk », de « folk-rock » disons, mais je crois qu’il n’est pas si différent de mes autres albums. Le prochain sera punk ! (rires)
Un disque de « Folk ». Avez-vous tenté de rester fidèle à l’esprit de cette époque avec vos musiques ?
J’ai essayé de traduire très simplement mon ressenti, de laisser couler les poèmes dans la forme musicale qu’il me suggérait. De manière générale, il y a, je crois, une musique qui attend chaque texte. Plusieurs musiques même, selon les lecteurs… Et c’est allé très vite. En quelques jours j’ai composé l’album. Même les deux très belles musiques qu’Éric Elvis Simonet m’a envoyées, j’ai d’emblée et instantanément placé ma voix dessus. Il n’y a eu aucun repentir. Ensuite, pour faire en sorte que ce disque « hybride » sorte – car c’est aussi un livre-disque, un disque-livre (avec un grand livret de 32 pages qui contient mes photographies et un texte de Yannick Haenel) – cela a pris beaucoup de temps… Ce disque, c’est du pur artisanat. Nous avons tout enregistré chez nous, avec les moyens du bord. Il y a aussi l’apport des quatuors de Laurent Levesque qui ponctuent l’album et apportent je crois une respiration et puis quelques claviers de Marc Haussmann, des chœurs… Mais c’est un album que nous avons fait seuls, Éric et moi. Depuis le départ, je voulais faire un disque pauvre, humble. Car Nouveau… c’est l’humilité. Mais au final je crois que ce disque est riche (rires) ! C’est peut-être le plus bel objet éditorial que j’ai fait. Ceci grâce à l’aide de la Fondation des Treilles et au soutien des éditions Médiapop, la seule maison d’édition qui a la particularité d’être également un label de disques… (vinyles).
Peut-on supposer que vous avez essayé de moderniser en quelque sorte ces poèmes ou pensez-vous que Rimbaud et Nouveau ces « chercheurs » restent d’une intemporelle modernité ?
Ce sont globalement les tout premiers poèmes de Nouveau que j’ai choisi d’adapter et donc les plus anciens : ceux des années 1870… Ceux de sa période décadente ou « décadiste ». Les textes que je chante ont cent cinquante ans, mais ils tiennent encore « la route »… Ils sont toujours « Sur la Route ». Ils annonçaient la beat génération, la « béatitude » d’un Kerouac, si vous voulez. Et donc le rock, le punk… Nouveau, Rimbaud et consorts ont cherchés « l’Or du Temps » dit Yannick Haenel dans la préface de l’album. Un mince filet d’or qui traverserait les époques comme un trait de lumière dans un tableau, une photographie… Une présence ? Toujours au présent. D’où le titre de ce disque, fait à l’ancienne : « Nouveau ».
Nouveau de Nicolas Comment & Eric Elvis Simonet est à pré-commander chez www.mediapop-records.fr
- Prélude
- En forêt
- Les chercheurs
- Mendiants
- Poison Perdu
- Le Moine bleu
- Brummel
- Sans verte étoile
- Ciel II Valentines
- à J-A. Rimbaud
- Excelsior ! La doctrine de l'amour
- Dévotion