On reprend les mêmes ingrédients et on recommence. Prenez un musicien anglais, un sens inné de la documentation, une écriture sobre et efficace. Et vous obtenez un bon livre sur la musique ! On avait quitté Nicolas Sauvage dans un studio avec Paul Weller. Le revoilà avec Damon Albarn, L’Échappée belle, une biographie complète qui impressionne par sa rigueur et son objectivité.
Comment as-tu repris ton souffle après ton ouvrage sur Paul Weller ? Tu avais beaucoup écrit… Et ce nouveau livre est aussi dense que le premier.
Nicolas Sauvage : J’ai terminé l’écriture du livre sur Paul Weller en mars 2019 et il se trouve que, pile un an plus tard, le premier confinement est arrivé… L’idée d’écrire sur Damon Albarn était déjà présente et la situation a naturellement favorisé l’immersion nécessaire à ce type de travail. Par ailleurs, j’avais choisi un angle précis pour traiter la carrière de Weller. Il m’a semblé important, voire fondamental, de contextualiser son parcours dans un cadre dépassant sa seule discographie. Je crois que l’impact de Weller, au moins en Angleterre, s’explique avec davantage de clarté en observant le paysage musical de l’époque. La partie la plus décisive de sa carrière est indiscutablement concentrée sur ses quinze premières années d’activités. Le sous-titre que j’ai choisi (PW & l’Angleterre pop) était en ce sens une sorte d’ambition : tenter modestement de raconter une histoire de la pop britannique en gardant Paul Weller comme une sorte de colonne vertébrale. Je crois que le choix de Damon Albarn s’est imposé comme une suite logique à cette démarche initiale.
Pourquoi avoir choisi Damon Albarn ?
Je trouve sa trajectoire assez fascinante. D’une part, le choix de Damon Albarn m’a autorisé à aller plus en profondeur sur la période qui fait suite aux grandes années de Weller, d’autres part je trouve que son évolution raconte vraiment quelque chose sur l’idée même de la musique pop anglaise. Dès le départ j’avais en tête l’idée de souligner cette rapide mutation de l’indie pop vers ce phénomène culturel que fut la Britpop. Ce n’est un secret pour personne, l’explosion médiatique de Blur et d’Oasis a, d’une certaine façon, mis un point final au fantasme indie des années précédentes. Que l’on aime ou non Gorillaz, je crois que ce groupe fictif a, par de nombreux aspects, anticipé la pop polymorphe avec laquelle nous vivons aujourd’hui. En bref, l’histoire de Damon Albarn raconte en filigrane tout un pan de la musique populaire des 30 dernières années. C’est cette histoire que j’ai tenté de retranscrire au mieux.
Ta démarche d’écriture a-t-elle été identique à celle de ton livre sur Paul Weller ?
A peu de choses près, oui. Comme pour mon livre sur Weller, j’ai commencé par prendre des notes sur tout ce que je souhaitais aborder année par année. J’ai conservé une trame chronologique et je me suis efforcé d’être le plus exhaustif possible. Dans le cas de Damon Albarn, la densité et la diversité de ses activités imposent de trouver des liens pour ne pas perdre le lecteur en cours de route. C’est vraiment cet aspect qui a été le plus grisant lors de l’écriture. Peu de musicien de sa génération permettent de tels grands écarts. Pouvoir évoquer dans un même livre Ride, Mudhoney, Snoop Dogg, Toumani Diabaté et Brian Eno, c’est assez rare et vraiment intéressant. Au delà d’un exercice de name dropping un peu vain, le plus impressionnant reste de voir à quel point toutes ces collaborations font sens dans l’œuvre d’Albarn.
Quelles ont été tes difficultés ?
Quand on est face à un artiste à la tête d’une œuvre aussi diversifiée, il y a forcément quelque chose d’assez intimidant à se lancer dans un travail qui se veut complet. Je crois que le plus compliqué aura été de faire en sorte que le récit reste fluide. Il y a seulement 5 ans qui sépare le triomphe de Country House des sessions du premier Gorillaz. Je suppose que les amateurs de Pulp ou de Menswear ne sont pas forcément les mêmes que ceux d’Augustus Pablo ou de Deltron 3030. L’enjeux était donc de pouvoir suivre l’évolution de l’artiste en gardant en tête l’idée de présenter au fur et à mesure les rencontres fondamentales de Damon Albarn avec des artistes issus d’horizons variés.
Et comment expliques-tu la perméabilité chez Albarn ?
Il y a plusieurs façons de l’expliquer…. Parmi les plus évidentes, se trouve l’enfance d’Albarn. Comme je l’évoque dans le livre, le foyer familial et notamment la présence des musiques indiennes et africaines qu’écoutaient ses parents a indéniablement compté. Son bref séjour en Turquie l’a également marqué durablement. Il ne faut pas non plus oublier que Damon Albarn reçoit une formation classique bien avant d’être en contact avec la musique pop. Ainsi, un univers assez large se présente à lui dès son plus jeune âge. Mais je crois que la perméabilité que tu évoques prend vraiment tout son sens après la fameuse ‘Battle Of Britpop’. Sans trop dévoiler ce qu’il y a dans le livre, ce coup médiatique a incontestablement joué un rôle d’accélérateur dans l’ouverture d’Albarn vers d’autres types de musique. La suite de son parcours aurait forcément été différente sans ce grotesque épisode Blur vs Oasis. Je suis convaincu que le retrait d’Albarn du cirque de la Britpop fut tout autant contraint que souhaité. Cette défaite face à Oasis est ce qui pouvait lui arriver de mieux. La suite en atteste, non ?
Blur – Country House
On se rend compte dans ton livre qu’Albarn est, en plus de son talent, un immense travailleur. C’est assez rare pour le souligner. Ce musicien passe sa vie en studio…
Le John Zorn de Whitechapel ! Oui, effectivement. Je souligne cela à plusieurs reprises dans le livre. On a l’impression que le temps ne s’écoule pas à la même vitesse chez Damon Albarn. Ce rythme, au delà de son aspect spectaculaire, renforce également l’intérêt que je porte à sa discographie. Celle-ci n’est pas parfaite mais je suis particulièrement admiratif face à ce genre de musicien qui tente sans arrêt de nouvelles choses. Et puis, il y a chez Damon Albarn ces multiples sens de lecture. Il est très possible de se restreindre à Blur, Gorillaz ou The Good The Bad & The Queen et de laisser de côté le reste. D’une certaine façon, chacun peut se constituer son propre Albarn. Pour ma part, c’est la vue d’ensemble qui me rend admiratif.
Tu ne cites pas Mali Music ?
Oh si bien sûr ! Le disque Mali Music, Rocket Juice & The Moon ou la constitution de l’organisation Africa Express sont largement abordés dans le livre. L’ouverture et l’étude des musiques africaines ont eu un véritable impact sur le Albarn songwriter. C’est évident.
Quelle est ta période préférée chez lui ?
Difficile de répondre à cette question. J’ai découvert Blur dès le début et j’ai suivi Albarn depuis. Forcément, la période qui s’étend de Modern Life Is Rubbish à The Great Escape a un petit côté madeleine de Proust. Ceci étant, pour avoir tout réécouter attentivement en cours d’écriture du livre, je serais bien incapable de ne retenir qu’une période. Des singles de Blur parus en 94 au dernier The Good The Bad & The Queen, en passant par les incursions en terres africaines ou les coups d’éclats de Gorillaz, c’est vraiment la somme de sa discographie qui m’impressionne, bien plus qu’une période ou une autre.
Blur – There Are Too Many of Us
Pourquoi avoir sollicité Christophe Basterra pour la préface ?
C’est une longue histoire… J’ai découvert les écrits de Christophe lorsque je suis arrivé à Rennes au début des années 90. J’ai immédiatement accroché à son style et décelé chez lui une volonté de partage qui m’a vraiment touchée. Et puis, nous sommes tous les deux très amateur de Paul Weller et j’ai découvert, fou de joie, les articles qu’il a écrit sur le sujet pour Magic Mushroom, puis pour Magic ! Il y avait notamment un supplément détachable de 1995 qui est resté dans la pochette de mon exemplaire de Snap des Jam pendant des années. Avec le temps, je me suis rendu compte que Basterra avait été une sorte de grand frère et un pilier dans ma découverte de la musique pop. J’ai un profond respect et une véritable gratitude pour quelques plumes musicales françaises qui ont accompagné ma passion pour la musique et m’ont ouvert quelques portes. Christophe Basterra a joué ce rôle. Je l’ai contacté il y a quelques mois pour lui demander s’il serait partant pour préfacer ce livre (sous réserve que le résultat lui parle) et il s’est montré enthousiaste, disponible et chaleureux. Je suis ravi que son nom soit associé à ce livre qui représente évidemment quelques années de ma propre existence…
Damon Albarn – L’Échappée Belle de Nicolas Sauvage sera disponible le 30 novembre 2020 chez Camion Blanc.