Le dernier disque de Pharaon de Winter date de… 2016. Comment expliques-tu cet intervalle de 5 ans ? Pourquoi avoir pris tout ce temps ?
Maxime Chamoux : Alors tout d’abord, nous n’avons pas rien fait musicalement, puisque nous avons sorti un EP piano solo en 2018, mais il est vrai que pas grand monde ne l’a entendu… Ensuite, j’ai la chance d’avoir d’autres cordes que la musique à mon arc dans la vie de tous les jours : j’écris des séries avec Sylvain Gouverneur, et la conception, l’écriture, la réalisation et la production de 18h30 pour Arte m’a pris pour ainsi dire toute mon année 2019. Ensuite, de l’automne 2019 à l’été 2020, j’ai été à fond sur l’enquête sur XDDL que j’ai co-signée pour Society. Nous avons enregistré l’album dans “les trous” de tout ça, en mars 2020, une semaine avant le premier confinement. Une fois les prises de bases effectuées, il nous a fallu attendre l’été 2020 pour pouvoir remettre les pieds en studio.
L’autre raison à cette lenteur est le fait que ça me prend de plus en plus de temps d’écrire des chansons que je juge recevables. C’est de plus en plus difficile de trouver des mélodies, des suites d’accords, des phrases qui ne lassent pas au bout de deux jours.
Discographie
Pharaon de WinterOù a été enregistré ce disque ? A la mer comme le précédent ? Qui joue dessus ?
Le précédent n’avait pas été enregistré à la mer, techniquement. Il a été “conçu” sur la Côte-d’Azur, à raison de quelques résidences là-bas avec le groupe. Mais il a été enregistré à… Villetaneuse, aux Studios Midilive, un cadre très agréable mais qui sent beaucoup moins l’iode quand même.
Cet album, pour le coup, a vraiment été enregistré à la mer, à quinze mètres de la mer, même, au Studio Coxhinell de Saint-Aygulf à côté de Fréjus. C’est un studio très agréable et abordable que je recommande vraiment. Le paradoxe, c’est que nous avons enregistré cet album dans ces conditions méditerranéennes et ensoleillées alors que j’avais en tête un album beaucoup plus sombre et agressif que le premier. Là où le premier album était “bleu” et “maritime”, celui-là devait être “brun” et “forestier”. D’où son titre final.
La pochette est très étrange… Quelle est l’histoire du portrait qui figure dessus ?
L’homme dont le portrait est esquissé s’appelle Jean-Pierre Treiber. En 2004, il a tué Géraldine Giraud (la fille de Roland Giraud) et sa compagne Katia Lherbier. Il se trouve que cette histoire sordide s’est passée dans un hameau de l’Yonne, à quelques kilomètres de là où ma famille est originaire. Une histoire sordide de plus pour un département qui en compte pas mal depuis la fin des années 80. Pour des raisons que je laisse les lecteurs découvrir, Jean-Pierre Treiber a été surnommé “l’homme des bois”. Bien qu’il caractérisait Treiber en particulier, j’ai l’impression que ce surnom aurait pu s’appliquer à énormément de meurtriers, français en tout cas – au sens propre comme au figuré. Dans des affaires de ce type, la forêt est partout : au début, à la fin, présente réellement ou sous forme symbolique. Chaque forêt contient une histoire de terreur potentielle, si cette histoire n’existe pas déjà. Dans le même temps, c’est là que les hommes viennent pour se ressourcer. C’est comme si ce repos sous-entendait forcément un sous-entendu menaçant et inversement, comme si l’horreur – quand elle y a lieu – était aussi le lieu d’un apaisement. Enfin peut-être que ce n’est pas très clair, peut-être que c’est un peu cryptique mais c’est l’effet que me font les forêts en général, et c’est la raison pour laquelle j’ai appelé l’album “France Forêts”.
Tout ça pour dire que cette esquisse de Treiber est réalisée par mon ami le peintre David Simonetta, qui avait déjà fait des artworks pour nous. Pendant le premier confinement, il était dans une période où il essayait de peindre des choses très vite, d’une traite, sur son carnet de brouillon. On parlait de ma future pochette et il m’a demandé des sujets d’esquisse. Presque pour “plaisanter”, je lui ai parlé de Treiber. Une heure plus tard, il m’envoyait trois esquisses magnifiques, très différentes les unes des autres. J’ai gardé la deuxième, je crois, telle quelle, sous sa forme d’esquisse sur cahier de brouillon.
Le premier extrait de ce nouveau disque, L’habitacle, évoque le destin de Jean-Claude Romand. Comment passe t-on d’un fait divers à … une chanson ? On avait le livre, le film.. On a désormais la chanson.
Comme pour Treiber avec la pochette, je ne voulais pas donner l’impression d’admirer ou d’être fasciné par ces types. Leurs destins me fascinent, pas eux. C’était la même chose pour l’enquête sur Dupont de Ligonnès dans Society : tout l’enjeu était de dire quelque chose de juste, précis et exhaustif sans jamais glorifier l’homme et ses actes. XDDL était un minable, un type qui se pensait plus intelligent qu’il n’était vraiment et qui, à ce titre, s’arrogeait le droit de manipuler ses proches, de leur mentir, et plus encore. XDDL, Treiber et Romand ont trois personnalités extrêmement différentes les une des autres mais ils ont en commun le fait d’avoir traversé des expériences-limites (l’assassinat, la disparition) tout en étant fondamentalement des individus fondamentalement médiocres, un peu minables. Pour L’Habitacle, j’ai essayé de me pencher sur ce qui me faisait le plus froid dans le dos, dans cette histoire : ces journées (ces années) entières qu’il passait assis dans sa voiture à ne rien faire, à scruter le vide et la supercherie de sa vie. Je me suis demandé ce qui pouvait lui passer par la tête à ce moment-là, sans délivrer ni message ni jugement, sans chercher à psychologiser quoi que ce soit, en tâchant vraiment de me demander à quoi on pense quand on est assis là comme ça sur une aire d’autoroute pendant que votre famille vous croit au travail depuis des années. Je voulais aussi parler du fait que, possiblement, il a pu avoir des moments, si ce n’est de joie, en tout cas de bref répit, par le biais de la musique. Des chansons qu’il aurait aimées, qu’il aurait pu entendre sur l’autoradio et qui l’auraient extrait momentanément à son enfer.
Musicalement je savais dès le début que je voulais une rythmique krautrock, justement pour illustrer le côté lénifiant et répétitif de ces journées vides sur l’autoroute. J’avais ce mouvement de balancier au piano et ce thème un peu “musique baroque” dont l’emphase (qui correspond pour moi au précipice qui devait parfois s’ouvrir sous les pieds de cet homme) est contrariée par l’aspect très froid de la pulsation derrière.
Pharaon de Winter – L’Habitacle
Comment est né ce nouvel album ? Quelles différences peux-tu entrevoir entre ce nouvel album et le précédent ?
Il est né d’une double envie de rupture. Rupture par rapport au premier album, surtout dans son enregistrement. Là où en 2015 nous avions tout enregistré séparément (éléments de batterie séparés, main gauche et main droite séparées au piano), je voulais en 2020 enregistrer live. Sur scène, nous avons une énergie et une tension que je voulais pouvoir entendre sur l’album. Et rupture par rapport à la production française actuelle : je n’en pouvais plus des disques de pop doudou, tout ronds tout chauds, des albums cocoonings pour que des “grands enfants” puissent vivre dans leur bulle, et qui sonnent comme des filtres Insta. J’avais envie d’angles, de choses un peu plus abruptes tout en continuant à proposer quelque chose de sophistiqué – et pour ça, Deerhunter, Cate Le Bon et la musique brésilienne du début des années 70 ont été de grosses influences. Et puis surtout, je voulais qu’on entende les instruments et mes musiciens. Mes formidables musiciens.
France Forêts de Pharaon de Winter sera disponible le 22 octobre 2021 chez Vietnam / Because.