Marie Frange semble être avant tout l’album de famille tape-à-l’œil d’une adoratrice de la mèche et des fers à lisser, frisant – peut-être – la névrose capillaire, au moins l’obsession. Et les sèche-cheveux, les perruques, presque des crinières, côtoient des flamands roses ébouriffés en plastique et des moutons en coton. Au milieu, perdues ou triomphantes, des femmes principalement, des chanteuses pop, ou presque. Et puis quelques hommes, très mâles et tout autant efféminés, porte-jarretelles et corset, entrejambe galbé, lèvres rouges sur moue boudeuse, pose de sirène… Quelques cosmonautes aussi, et des tarzans, poilus, aux airs de Cro-Magnon. On frôle l’irrévérence inconsciente, peut-être, et puis l’affection sincère. C’est le chamboule-tout des élégances, le grand huit de la déconne, le train de la mine des privilèges.
Clara Ysé se découvre alors vierge et bergère dans son armure immaculée, et Regina Demina attend son tour pour être crucifiée sur du polystyrène. Pomme fait du patin à glace en rêvant de cherry flip, et Marie-Flore joue les héroïnes hitchcockiennes dans une nuée de corbeaux en peluche. Et puis les autres… Connus, un peu, ou simplement familiers. Clara Luciani, Cléa Vincent, Alma Forrer, ou Bilal Hassani… Même l’ex de sa fille, même son boucher, tranchant les franges comme on découpe une bavette. Et plus loin d’autres coquillages encore, d’autres Saint-Jacques gonflables, d’autres vénus, d’autres amazones haltérophiles, d’autres pom-pom girls, d’autres Frankenstein…
Chez Marie Frange, tout est minutieusement inutile, joyeusement vain, irrésistiblement sot, étrangement travaillé. Et le détail apparaît, subtil, dans un ongle rouge ou un bout de culotte blanche, au travers d’un gant troué ou des pans d’une serviette de bain faisant office de pagne. Il y a quelque chose de précieux dans cette fanfreluche assumée, quelque chose de figé, de bonbon, de sucré, de léché, de fondu, de collant, même de peintures flamandes. Mais alors peintes à la bombe, et en rose fluo.
A force de kitsch sexy et de grandiloquence absurde, il y aurait presque de l’héroïque, du salutaire finalement dans ce dressing-room hasardeux, dans cette grande-roue des déterminismes et des statuts sociaux. Peut-être même sans le vouloir. Il n’y a plus d’étoiles, plus de stars, plus de starlettes, plus d’ex, plus de boucher, juste des mannequins, presque des porte-manteaux, souvent impuissants ou mal embarqués dans leur destin qui se jouera plus tard, dépendant de l’imaginaire de celui qui regarde. Lui seul décidera de la suite. Dès lors tout le monde s’échoue, ou surnage, fait mine de tenir tête, quelques fois même y arrive, se noie ou se révèle, triomphant ou à peu près indemne.
Tout ça n’est pas grave. Tout ça est même assez égal, ou carrément loufoque. Comme une réalité mouvante, pas très nette, à une heure du matin. Comme un salon de gauche, avec des rideaux de droite.
Marie Frange, le travail photographique de Florence Trédez, sera exposé dans le cadre du festival Les Émancipéés, qui se déroulera à Vannes du 21 au 27 mars 2022. Le festival Les Émancipéés, avec deux « é » donc, accueillera auteures et auteurs, comédiens et comédiennes, chanteuses et chanteurs, musiciens et musiciennes sous la bannière des libertés, de la nuance et des pas de côté.