Nicolas Comment, quel a été le point de départ de ce travail, est-ce votre amour pour la musique, la photographie, ou ces nombreuses rencontres artistiques qui vous ont donné l’envie de faire ce livre?
Le départ, c’est une commande régulière de la revue Novo. Suite à la publication de mon livre Journal à rebours (2019) réalisé à partir de mes archives (un récit photo-texte en noir et blanc, sur mes premières rencontres amoureuses et amicales), Bruno Chibane et Philippe Schweyer m’ont proposé de poursuivre ce principe à travers mes rencontres artistiques. J’écrivais donc tous les trimestres, dans les colonnes de Novo un portrait d’artiste, écrivain, chanteur, ou cinéaste… qui m’avait marqué. Et le livre « Chronique du Temps qui passe » est la réunion de ces textes parus durant deux années.
Discographie
Nicolas CommentVous ne vous définissez pas comme un « portraitiste », comment envisagez-vous le lien entre la photographie, l’écriture et la musique ?
Disons que dans ma pratique photographique, je ne suis pas spécialisé dans un genre : je photographie tout autant des paysages, des natures mortes que des portraits ou des nus… Dans ce livre, je m’interroge sur le portrait. Il n’est pas forcément identitaire pour moi. Une silhouette peut-être plus « parlante » qu’un visage. Comme dans le cas d’Étienne Daho ou d’Yves Simon que j’ai choisi de photographier aussi de dos… Pour tenter de saisir leur « démarche » (dans les deux sens du terme). Car un objet, une ambiance peut aussi « dire » quelque-chose de quelqu’un. Pour faire le portrait de Jean-Jacques Schuhl par exemple, j’ai également photographié des détails : sa table de travail, ses papiers…
J’ai aussi photographié les objets qui entouraient Christophe, chez lui, boulevard du Montparnasse où il avait réuni dans un savant capharnaüm toute la palette de ses goûts. D’ailleurs, suite à la disparition du chanteur, à l’automne 2020, j’ai revu ces objets dans une vente aux enchères ayant eu lieu à Paris durant le second confinement. Cette vente, Christophe avait en fait désiré l’organiser de son vivant. Des années plus tôt il avait déjà entreprit des démarches avec Cornette de Saint Cyr car il rêvait de repartir à zéro, de se débarrasser de tout ce passé accumulé. Très peu de gens ont eu accès à la maison des ventes car les restrictions Covid étaient alors drastiques et l’entrée interdite au public. Mais c’était une véritable exposition. J’ai pu la visiter par hasard, seul et masqué : tous ses objets, ses vêtements, ses instruments, son studio, toute sa vie était exposée en pâture dans des salons haussmanniens, déserts… C’était extrêmement triste mais en même temps poignant et beau car cet ensemble d’objets séparés de son corps était l’inverse d’un portrait funéraire et constituait, en fait, son véritable autoportrait.
Vous êtes photographe et musicien, auteur-compositeur. Comment vous définissez-vous réellement?
Désormais, je mets sur mes bios « photographe-écrivain et auteur-compositeur ». Parfois j’inverse l’ordre, c’est selon. Dans les deux cas, écriture et enregistrement sont constitutifs de ma démarche. En commun également « la reproductibilité technique » permise à la fois par le disque et le livre.
Vous avez publié une très belle biographie sur Jacques Higelin et récemment un essai sur Bob Dylan (In Absentia). Nous pouvons retrouver au fil des pages de votre livre ces deux très grands artistes.
L’écriture ou le travail journalistique est-il un exercice qui vous attire de plus en plus ?
Oui. J’ai toujours écrit. Par exemple, mes chansons, qui sont vraiment des textes même si ils sont destinés à l’oralité. J’ai souvent écrit autour de mes photographies ou tenu des journaux que je ne publiais pas forcément. Ou que j’ai publié plus tard comme Journal à rebours. Par contre je n’avais jamais écrit dans la presse. Et pas non plus écrit d’essai sur la musique comme Dylan, in absentia ou ma biographie d’Higelin qui sont deux livres de commande que j’ai pris un grand plaisir à écrire. Mais je le ferai de plus en plus si j’en ai la possibilité. J’ai longtemps pensé que la photographie pouvait se suffire à elle-même et qu’elle était un art à part entière. Mais avec les Iphones, Instagram, l’intelligence artificielle ou la reconnaissance institutionnelle et les messes commerciales du style Paris Photo, elle a en fait beaucoup perdu de son aura à mes yeux. J’ai donc peu à peu pris conscience qu’il fallait joindre aux images mes mots. Dans ma dernière (ou avant dernière) exposition photo – Cavale –, il y avait mon écriture et ma voix en plus des photographies.
A Tanger, à Paris ou à Lyon, si on a un peu de chance il peut arriver que l’on croise des stars interplanétaires tel que Patti Smith ou Bob Dylan. (lorsque l’on s’appelle Nicolas Comment, rires)
Aha ! La dernière fois que je suis venu à Lyon, je suis retourné quartier Saint Jean, chez Boul’dingue pour vérifier l’anecdote que je raconte dans le livre. J’ai dis au type qui tenait la boutique : « En 1994, je suis passé dans votre magasin et il y avait Bob Dylan qui en sortait, vous en souvenez-vous ? » Le type m’a répondu que Dylan était bel et bien venu. Il a même précisé qu’il était vêtu d’un tee-shirt … de Bob Dylan pour éviter qu’on le reconnaisse ! Dommage, je n’avais pas encore récupéré l’anecdote du tee-shirt quand j’ai écrit le livre, sinon je l’aurais raconté dans mon bouquin.
Vous demandez par ailleurs à Gérard Manset s’il a été influencé par Bob Dylan. Avez-vous également été inspiré par Bob Dylan, et voyez-vous peut-être des similitudes entre Bob Dylan et Gérard Manset ?
Manset est très clair et me répond que Dylan n’est pas une référence pour lui dans l’entretien reproduit dans le livre. Leur point commun, c’est peut-être leur inaccessibilité, soigneusement entretenue. Pour ma part je crois que c’est également « l’iconographie » de Dylan qui m’aura influencé en tant que garçon. Bob Dylan est d’une photogénie extraordinaire et a su s’entourer toute sa vie d’excellents photographes… Et puis j’ai adoré défendre Dylan durant deux décennies, face à des amis qui le trouvait totalement ringard. Aujourd’hui il est super tendance ! Hedi Slimane ne s’est pas trompé en le photographiant à plus de 80 ans pour sa dernière campagne. La classe n’a pas d’âge.
Nous découvrons justement dans votre livre ces rendez-vous manqués avec Gérard Manset, photographe et musicien comme vous, que vous reconnaissez un jour juste en face de vous sur l’autre quai d’un métro parisien, jusqu’à la vraie rencontre ! Vous sentez-vous proche de cet artiste ?
Oui. Je me sens proche… de sa distance. Mais ce n’était pas des rendez-vous manqués. C’était des rendez-vous quand-même. Les prémices de quelque-chose. Je crois assez fort au hasard des rencontres. Et donc oui, j’avais croisé une fois ou deux Manset avant de le connaître. Et puis nous avons été présentés. Et puis la rencontre a eu lieu. Nous avons exposé ensemble à la galerie VU’. Et nous sommes devenus potes. J’ai beaucoup de respect pour son œuvre et j’ai été très touché qu’il me propose de réaliser les photographies de presse de son dernier album.
Les pages de votre livre s’ouvrent sur une sublime photo de Christophe, est-ce conscient ou inconscient de débuter ce travail avec lui ? Est-ce pour vous l’une des rencontres « majeures » que vous avez pu faire ? Sans doute un « exercice d’admiration particulier » ?
C’est Bruno Chibane, l’éditeur de l’ouvrage qui à décidé du chapitrage du livre. Car il n’y a aucun ordre d’importance pour moi dans ces rencontres. À la fin, le dernier chapitre évoque d’ailleurs d’autres rencontres dont je n’ai pas pu parler dans ce livre. Mais Christophe, c’est tout un morceau de vie dans la mesure ou il m’a emmené à Port Grimaud et fait découvrir la baie des Canoubiers et Saint-Tropez où je suis retourné régulièrement après sa disparition, chez des amis communs. J’y ai réalisé le petit livre Saint-Tropez sous la pluie (éditions de l’air, des livres, 2022) et je travaille actuellement sur une nouvelle série de photographies – ma série « fauve » – qui commence dans le bateau de Christophe, en 2014. Bref, il m’a ouvert des portes qui ne sont pas forcément musicale, mais visuelles également. Christophe peignait. On parlait surréalisme, érotisme, cinéma autant que de musique.
Vous retournez aussi à la composition et allez sortir un nouvel album.
Oui. Il est mixé et sortira en octobre. Il se nommera Blason. C’est également une réflexion sur le portrait, sur l’incarnation. C’est une suite de chansons qui évoquent des icônes brisés, des muses cachées, des pygmalions secrets… C’est un disque photo-biographique aussi, un disque de « biopics ».
Un peu plus rock peut-être ? Allez-vous travailler avec d’autres artistes pour ce nouvel album ? Pouvez-vous nous en parler un peu ?
Rock, plutôt oui, mais n’excluant pas les rock-ballades. Ce sont onze chansons et autant d’univers. J’ai réalisé plusieurs titres avec The Limiñanas. J’ai invité Brisa Roché à chanter avec moi tout le long de l’album. Il y a des trios, des duos avec Milo et Brisa. Il y a aussi Freddy Koella – un des guitaristes de Dylan – qui joue sur un titre. Il y a toute une équipe : Marc Collin de Kwaidan records à la production, Éric Simonet à la réalisation, Hugo Bracchi aux mixs, Maxence Cyrin, Patrick Bouvet et Romain Guerret pour quelques compositions et de plus jeunes musiciens comme Max Darmon (basse) ou Olivier Legall (guitare). « Le reste, hélas est de moi », comme l’écrivait Jean-Jacques Schuhl dans Rose poussière.
Chronique du temps qui passe, Exercices d’admiration de Nicolas Comment est disponible chez Mediapop.
Le même Nicolas Comment qui à sorti : « Nous Étions Dieu » , « Retrouvailles » avec Xavier Waechter, « Rose Planète » et le 33 tours vinyle « Nouveau » en 2021 avec Eric « Elvis » Simonet ??