À l’angle du monde. François Mardirossian (piano), Camille Rhonat (paysages sonores), Richard Robert (récit), Nicky Bruckert (vidéo) proposent une odyssée musicale ethnographique étonnante. Pourtant Saint-Kilda n’est pas une terra incognita, elle possède « une matière littéraire et documentaire surabondante incroyablement bavarde qui comme les oiseaux marins venant nicher dans ses falaises, tournoient au dessus de son histoire » précise Richard Robert dans son préambule. Lors de ce périple vous entendrez donc les pétrels fulmars, vous aurez le vertige sur les plus hautes falaises des confins du Royaume Uni, vous serez violenté par les embruns de cet océan démonté huit mois sur douze, vous serez emporté par le piano sensible et volubile de François Mardirossian. En ces temps où l’on manque de perspective, cette incursion en utopia est un trip aux effets revigorants vers un ailleurs disparu et pourtant profondément inspirant. François Mardirossian explique :
« Depuis un voyage en Écosse en 2008 j’ai une fascination pour St. Kilda.
Cette île (ou plutôt cet archipel) est la plus isolée de Grande-Bretagne, à l’ouest des Hébrides extérieures. Il y fait froid, le temps est rude et il y est plus question de survie que de vie.
Cet archipel possède un patrimoine ornithologique unique (ous de Bassan, fulmars, mouettes tridactyles, macareux, grands labbes, pingouins torda, guillemots et pétrels mais aussi de moutons anciens etc.) et a une histoire humaine tout aussi incroyable et touchante.
Les St. Kildans vivaient de la chasse aux oiseaux, qu’ils attrapaient en se laissant descendre à l’aide de cordes du haut des falaises ou en grimpant sur les stacs (pics rocheux) de mer à partir de bateaux. Ils les mangeaient, les déplumaient et commerçaient avec l’Écosse lors de leur contact annuel. La principale façon qu’avaient ces insulaires de communiquer avec le reste du monde consistait en un feu au sommet d’une des îles et espérer qu’un navire le verrait.
La poste fonctionnait d’une façon assez aléatoire…ils taillaient un morceau de bois de façon qu’il prenne la forme d’un bateau, l’attachaient à une vessie flottante en peau de mouton, et y plaçaient une petite bouteille contenant le message. En lançant « l’embarcation » lorsque les vents venaient du nord-ouest, deux tiers des messages arrivaient à la côte ouest d’Écosse ou, ce qui était moins pratique, en Norvège…
Malgré un milieu plus qu’hostile, cette île n’a eu de cesse d’être habitée et d’avoir une culture qui lui est propre.
Et ce durant plus de 1000 ans
Jusqu’en 1930 où les 36 derniers habitants vivants supplièrent la Reine d’Angleterre de les sauver. Vivre dans un tel dénuement en plein XX° était devenu trop aberrant. Ils furent évacués dans des conditions chaotiques…qui furent filmées car cette île a toujours fasciné et ce depuis le XVII°.
Voilà la photo qui a accroché mon regard lors de mon voyage dans les Hébrides : une exposition photo de George Washington Wilson, le premier photographe de St. Kilda et ces visages, burinés et fiers.
Suite à cet exil volontaire, tout a quasiment disparu sur l’île. Les maisons tombent en ruine et la petite culture originale des St Kildans s’est enfouie.
Mais en 2008 à Édimbourg, dans une maison de retraite, un homme âgé joue du piano une musique obsédante, élégiaque et inconnue. Cet homme, c’est Trevor Morrison, il est âgé de 70 ans et a étudié le piano dans sa jeunesse avec l’un des derniers évacués de St Kilda.
Il demande à la personne qui l’initie à l’informatique de venir l’enregistrer dans quelques mélodies. Il grave ainsi les mélodies de St Kilda dont personne ne connaissait l’existence.
Trevor décède en 2012 mais ces mélodies sont là – à travers un fil plus que ténu, cette musique est une survivance de St Kilda. »
Si vous voulez vous échapper au bout du monde, grimpez dans le Nautilus de l’Opéra Underground ce mercredi 25 septembre. Votre âme en sera à jamais dépaysée.
St Kilda, les îles du silence