Iggy And The Stooges
Quand on est chroniqueur et que la soirée nous est gracieusement arrangés par nos copains de Pression Live, le destin est tout de suite beaucoup moins effrayant. Les petits fours restent relativement inoffensifs, les boissons offertes gardent leur calme, et pas une fois pendant l’after-show un serveur n’a tenté de me sauter à la gorge. (Je suis quand même resté sur le qui-vive, on ne sait jamais.)
C’était donc la grande messe à la gloire de l’Iguane. Organisée dans la « petite » salle du Casino de Paris, mille cinq-cent chanceux, pistonnés et autres journaleux en tout genre se pressaient déjà en gigotant amoureusement dans la semi-pénombre qui allait précéder l’arrivée du maître. Mais il fallait attendre, et comme chacun ici s’en doute, quand je n’ai rien à faire, je vais précisément aux endroits où je n’ai rien à faire.
Discographie
Iggy And The StoogesEt c’est toujours dans ces endroits, déserts pour la plupart, dans ces loges vides aux néons qui brillent pour rien, au bar du dressing room où un barman esseulé torture un ananas en attendant que le temps passe que l’on découvre les petites choses de l’envers du décor, toutes ces situations et ces événements qui façonnent un souvenir, toute la vie qui passe derrière les portes à code. Mollement accoudé dans mon verre de bière au bar de la minuscule pièce, je parle chiffons avec une des runneuses du staff d’Iggy, lorsque derrière nous, trois vieux messieurs jusqu’ici bien sagement attablés au catering décident de sortir une basse, une guitare et une peau de caisse claire pour réviser un peu. Et ce sont bien Mike Watt, James Williamson et Scott Asheton qui se font un petit plaisir avant le concert, pour le plaisir de nos quatre oreilles attentives, le temps de quelques chansons (et quelques tapas).
Mais il va bientôt falloir se répartir dans la salle, les sonneries retentissent, le noir se fait, le fan de base hurle sa joie d’avoir été invité et sa colère de ne pas être un rang plus près, et je me glisse tranquillement (qu’il est grand, ce Casino de Paris !) dans les coulisses pour avoir une meilleure vue, au dessus de la scène, sur un des petits escaliers de la régie.
Lorsqu’Iggy Pop rentre sur scène, il coure déjà. Et à vrai dire, à part à de rares instants où il dansera, se jettera dans le public ou se tapera le postérieur (cuir), il courra à peu près tout du long du concert. Il y a une très étrange énergie dans l’attitude de cet homme, communicative, inexplicable, enflammée. Sur scène, il boude, pose, hurle, miaule : Il a soixante-cinq ans et c’est un véritable gamin, et la posture de ce corps étrange et indéniablement adulte dans ces poses d’enfants brouille les pistes, divertit et intrigue : le cachet Iggy Pop, un énorme doigt d’honneur sur un sourire d’enfant. Tout le long de son set, éructant, passant des graves les plus frissonnantes aux aiguës les plus perçants, il tiendra l’intégralité du public en haleine. Dès la troisième chanson, aux cris de « C’mon, motherfuckers », il fait monter, traditionnel jouissance de l’audience une vingtaine de personnes sur scène. Résultat ça n’y coupe pas, mille-cinq cent personnes décident subitement qu’il doit faire bien meilleur temps là haut, et tentent de briser le barrage sécurité. Un joyeux bordel. Loin de filer un coup de main à nos gentils agents qui, délicatement, s’emploient à briser quelques côtes et autres mâchoires en rejetant les slameurs dans le public, Iggy Pop se frotte à tout le monde hurle, embrasse, frappe, et va même jusqu’à tendre la main à une pauvre ère qui était sur le point de retomber dans la fosse rejeté par un sécuritard. Lassé, l’agent laisse passer, mais on sentira tout au long du set comme une certaine lassitude à peine masquée (va-t-il montrer son pénis ? Dois-je rejeter dans le public la petite culotte de cette jeune fille ? Quid de cet imbécile alcoolisé qui essaye de s’accoupler avec la barrière ?)
Pour la setlist, c’est assez simple, pensez aux chansons les plus connues des Stooges, ben voilà, avec un joli pre-final sur The Passenger, toujours aussi jouissif, trente ans après. Il y a des moments magiques, comme celui où après un passage particulièrement violent, Iggy Pop ferme les yeux et tranquillement, de dos, se laisse tomber, comme au ralenti, au milieu de ses fans. Cavalcade de la sécurité. Et les yeux d’enfants frondeur, une fois de plus. Iggy s’amuse.
Bien sur l’événement est organisé par Pression, pour la marque de bière bien connue se doit d’avoir son petit moment pub : et Iggy de revenir armé d’une bonne canette de Kronembourg qu’il videra, intégralement, devant mille cinq cent personnes, sur sa tête. Foule en délire.
On prend une petite pause. Après le concert, quelques personnes, journaleux et gagnants de concours pourront poser quelques questions à l’iguane. Il arrive enfin, après quelques zakouskis hasardeux enfilés dans l’angoisse de l’attente, vêtu d’une légère chemise de cuir (oui vous avez bien lu) naturellement aux trois-quart ouvertes. Il faudra aller vite, nous a dit le manager, une demi-heure maximum. Mister Pop s’octroiera tout de même le temps qu’il veut pour parler à la plupart des personnes présentes en after-show, signer des autographes, déconner un peu. On notera la présence de Manoeuvre et sa souplesse habituelle lorsqu’il s’agit de réaliser mille courbettes devant la star. Des adducteurs pareils, moi ça m’impressionne, descendre aussi facilement pour embrasser les pieds de son interlocuteur, à son âge, c’est une prouesse.
On en vient aux questions. Iggy est maintenant assis devant nous, sur une petite estrade, micro en main, assistant au chevet. A certaines, il s’arrête pour demander à l’oreille de son traducteur « Journalist or civilian ? » Les réponses sont adaptés, peut-être, mais sincères, au demeurant, et pas si vendeuses que ça. On en est amenés à parler de son refuge, cette petite baraque (ça c’est une litote, les amis) à Miami, à cinq minutes de la mer. Seul. « No pussy, no fans, no journalists » précise-t-il. Lorsque Iggy Pop s’arrête pour prendre le temps de réfléchir, se concentrer un instant, il y a des moments où pour un instant, son visage regagne l’âge qu’il a réellement, où le masque d’enfant tombe, et où l’on sent derrière tout le décorum, toutes les fantaisies de gamin gâté, l’homme de soixante-cinq ans qui réfléchit et reviens sur la vie que l’on connaît tous, les galères avant la gloire, l’abandon par les maisons de disque, la rue, la drogue l’hôpital psychiatrique, une vie entière sacrifiée au plaisir jouissif et toujours malsain d’un public inlassable, insatiable, et qui en veut toujours plus. Iggy Pop est une icône, et son statut d’icône le condamne, l’enferme dans ses habits de scène. Lorsqu’Iggy Pop se déshabille, il s’habille, lorsqu’il se met à nu, c’est sûrement là qu’il est le moins vulnérable. Quant au milieu d’un souvenir, les rides soucieuses de son front se resserrent et qu’il repart en arrière et quitte pour un instant la vie de l’iguane, on se retrouve en face d’un vieux monsieur qui ne sait plus très bien où il en est. « I was kind of confused today, having thoughts like… I thought « My soul is dying ». « My soul might be dying right now. » Il rit, et c’est un rire sans joie. Et les quelques personnes présentes à l’after-show sourient, persuadés qu’ils sont que leur Iggy national vient de faire une gentille plaisanterie. Pourtant les rides, elles, ne mentent pas.
Après la séance photo, sur un coup de tête, je demande au grand monsieur pourquoi il ne s’est jamais fait tatouer. Il me sourit : « Je n’y ai jamais vraiment pensé. A un certain moment, je voulais me faire faire ce tatouage de bikers : Death is Certain. » La mort est assurée. Il plaisante encore un petit peu, me tape dans le dos. « See you, Boss. » et puis il part vers la sortie, sous les applaudissements, en boitant un peu.
Tout en souriant à mon verre, je me fais cette réflexion qu’il faut espérer que Mr Pop, du haut de ses soixante-cinq ans, continuera pendant longtemps à nous insulter, faire des blagues stupides, faire le frondeur, le boudeur, la star et l’enfant. La mort est certaine, mais au panthéon des plus grandes légendes du rock’n’roll, il y en a un qui n’aura pas volé sa place.
Credit photo : Philippe Mazzoni pour Pression Live.
Merci, tout naturellement à Pression Live, Sebastien et son équipe, toujours au top quand il s’agit de me faire boire de l’alcool à côté d’icônes du rock.
Très bon article, merci!
J’ai adoré la conclusion!