SK* l’avait rencontré au festival gratuit Musiques en Stock à Cluses début juillet pour évoquer son univers et la conception de ce disque d’une beauté rare, aux textes fins et sensibles, aux sonorités bigarrées, qui vous happe pour un voyage sensoriel et poétique.
Peau
Rien ne destinait Peau à la chanson. Originaire de Saint-Nizier du Moucherotte dans le Vercors, célèbre pour ses 3 pucelles, elle a fait des études à Lyon en art du spectacle obtenant une maîtrise en étude cinématographique, « assez théorique, avec beaucoup d’analyse filmique, peu de technique. » Comme par ailleurs elle pratiquait la vidéo, elle valide son cursus avec un film d’animation d’objets en stop motion avec des éléments naturels, des pierres et des végétaux. Elle s’en rappellera quand elle réalisera la vidéo d’Instant T.
Peau – Instant T
Puis elle croise la route, au moment où elle voulait rentrer dans une école de cinéma, d’une chanteuse comédienne, « je suis partie 5 années avec elle, intermittente, c’est là que l’écriture est venue, la composition, puis la volonté de m’émanciper, l’envie de plus de son, de masse sonore, de voyager en solo, d’être autonome… » En 2010 sort un premier album, Première Mue avec déjà ce goût du mélange, le français côtoyant l’anglais, les sons synthétiques télescopant les guitares parfois bruitistes et cette façon particulière de susurrer ses textes ou ceux des autres comme sur Litanie, écrit par Jacques Rebotier, créateur tous azimuts que l’on retrouve ainsi que Xavier Machault sur ce nouveau disque.
Archipel est à la fois une continuation, un écho au premier album mais aussi une étape franchie dans la démarche créatrive. Récusant les formats radio, les recettes éprouvées, elle aime être surprise chez les autres alors elle veut surprendre. C’est donc une seconde mue avec moins de guitare, moins d’anglais, une structure ‘avant-gardiste’ des chansons où le rythme des mots, la couleur du texte influent sur les arrangements. « Il y a une filiation entre les deux disques, c’est dur d’avoir du recul mais je recherche une identité, une cohérence, à créer du lien, car j’ai peur du patchwork musical. Sur Archipel, j’avais envie de plus de matière électronique, que je pouvais par ailleurs davantage maîtriser, ne jouant pas de guitare électrique. (C’est Olivier Depardon qui s’en charge sur scène). J’avais besoin de cette autonomie dans un premier temps et ensuite j’ai sollicité Daniel Bartoletti avec qui j’avais travaillé sur le premier album et sur scène. On a commencé à composer à deux, on a longtemps joué ensemble sans avoir ce temps créatif commun et du coup une grande partie des morceaux a été co-composée. Il est assez friand d’électro et cela a influé sur la direction prise. »
On compare souvent les artistes pour fixer les esprits, Peau serait un Thom Yorke en solo au féminin ou plus récemment Poliça pour l’expérimentation, avec une texture ténue qui prend de l’ampleur quand se déploient les chansons et en même temps un petit côté délurée à la Camille, le tout s’entrelaçant. Quand nous la rencontrons, elle ouvre pour Archive et son déluge de sons et de lumières mais elle possède déjà une solide expérience à 33 ans avec des premières parties prestigieuses comme Dominique A ou Jean-Louis Murat. A Musiques en Stock, elle est à l’aise, car elle vient en voisine, elle a joué deux fois à l’Atelier à Cluses, l’ambiance est détendue, « c’est intéressant de jouer sur une grande scène avec un gros son, l’équipe est formidable, Karine et Christian (Lacroix) très sympa, Karine était jurée au Fair en 2012. Il y a ici une vraie exigence dans la programmation, c’est un festival gratuit avec de très bons groupes que l’on ne retrouve pas forcément ailleurs, et peut être plus de curiosité de la part du public. Et puis il y a une couleur particulière, et la présence de la montagne, majestueuse face à vous. »
https://www.youtube.com/watch?v=uOTznPOFyDY
Quand on évoque justement la région à l’écoute de l’instrumental de 12’33, Avalanche qui rappelle la série télévisée Les Revenants, tournée du côté d’Annecy avec Mogwai à la BO, et qui suggère de nombreuses images : « Avalanche, c’est typiquement le genre de morceau issu des improvisations / bœufs avec Dan particulièrement riche d’idées et l’on s’est dit, il y a matière à créer un long morceau car on est passé par différentes étapes toutes fortes. C’est bien d’assumer cette longueur parce que l’état dans lequel cela nous met, ou pour atteindre cet état-là, il faut bien tout ce temps, avec un effet de pression au départ, de détente au milieu et quelque chose de plus lumineux à la fin. On s’est souvent demandé quelle histoire cela pourrait raconter, si il y avait des images, quelles seraient-elles ? Comme cela faisait vraiment partie de la démarche artistique de l’album, on l’a gardé. On voulait se laisser de la liberté, de la folie. »
Peau – Archipel
A demi nue, écrite à quatre mains avec Xavier Machault joue sur les mots et les corps, « Je suis presque à vous, devinez-moi, devenant vous, je suis presque à vous, à demi vu, à demi vous, je suis presque à vous, m’en voulez-vous, me voulez-vous à demi nue », c’est un cache cache sensuel, « c’est l’autre extrémité de l’album, un titre très acoustique, arrangé de manière plus classique avec des cordes. Et tout le reste va créer un pont ». Ce qui nous amène au titre très évocateur de l’album, Archipel qui fait penser au récent Tropiques de Maissiat. La pochette représente un caillou du Vercors, pas une pierre précieuse mais une belle pierre striée de vert comme celle que l’on ramasse en randonnée. « Quand j’ai créé ce disque, j’ai beaucoup marché sur les sentiers, chez moi en montagne, seule en écoutant de la musique. J’avais envie que le titre de l’album évoque cette idée de territoire que l’on arpente et Archipel, même si cela évoque davantage l’univers marin, souvent on dit que le Vercors, c’est une espèce de forteresse, comme une île avec ses remparts et il arrive aussi, là où j’habite qu’il y ait une mer de nuage et le haut des massifs qui émergent, et après en déroulant l’idée, un archipel c’est un ensemble d’îles, peut être que chaque morceau est une île sur laquelle on peut accoster et que cela forme malgré tout un tout. »
Et c’est réussi. On est conquis par la simplicité et l’honnêteté de l’entreprise, les titres s’enchaînent et nous enchaînent. On attend cet Instant T fiévreusement comme le rayon vert, Odyssée est une invitation chaloupée au voyage, Europeanna fascine avec sa basse lancinante suspendue par des silences et son « j’attendrais dehors » jusqu’à plus soif, L’enfant intrigue avec sa mère aimante rongée de craintes, Il dit (Xavier Machault) est une joute sonore ou une parade amoureuse avec des fulgurances, « votre silence est bavard », « adieu, allez au diable », Uyuni est un éblouissement intense mêlant sel et oxygène, avec ce sentiment que plus on avance, plus l’espace se dérobe sous nos pieds, Litanie du désir désiré (Jacques Rebotier) est hypnotique, poétique et pragmatique ou High Tech Song, chanson hybride, composite, robotique. Au final, Peau trouve sa voie et sa voix, Archipel est précieux car il nous emmène dans son ailleurs fait de paysages naturels et d’autres plus composites. où les sons électroniques peuvent finalement réchauffer et apaiser.
Peau sera en concert au Transbordeur à Lyon le 23 octobre dans le cadre du festival Just Rock ! organisé par Médiatone avec Rover, Cascadeur et Daisy Lambert, à La Forge au Chambon Feugerolles au festival les Oreilles en pointe avec Oxmo Puccino et à La Maroquinerie à Paris le 5 novembre avec Toro Piscine
L’album Archipel est en écoute intégrale ici.
Le dernier lien vers Soundcloud est faux semble-t-il – moi j’arrive nulle part. Sympa de voir la Miss Peau en concert.
Merci, lien corrigé !