Edward Sharpe And The Magnetic Zeros
Le travail magnifique qui avait été établi par Emmett Malloy sur le documentaire Big Easy Express, carnet de voyage aussi vintage qu’illusoire de trois groupes mythiques de la scène folk actuelle montrait cette fougue et ce plaisir. Edward Sharpe, Mumford & Sons et Old Crow Medecine Show, trois ténors qu’on avait réuni pour une traversée de l’Amérique en train, réunissant enfin ces nostalgiques des temps passés et l’objet de leur désir, l’Amérique profonde, ses paysages, sa mystique, et la tendresse particulière que dégage les chansons de ses artistes : plus la vie était rude, plus les chansons magnifiques. Ici je digresse, because I can : La simplicité de la musique et des sentiments exprimés devrait servir de leçon à tous ceux qui voient aujourd’hui la musique comme échappatoire à une vie d’angoisse, mal cadrée, et dont l’issue est perpétuellement crainte. Les musiciens folk vous embrassent, ils ont une vie rude, mais c’était une vie dont ils ont appréciés chaque instants, à la hauteur de la beauté constante qui s’offrait à eux.
J’étais tombé dans le panneau, naturellement, et la tête la première encore, passionné comme je l’ai toujours été par les diverses variations des émotions Folk, embrassant à pleine bouche les livres de Jim Harrison et vivant nu sur des peaux d’ours (oui). Le plaisir est là, et les étincelles de bonheur pur que l’on voit s’allumer dans les yeux des membres du groupe lorsqu’ils jouent en session acoustique à l’extérieur, mêlant leurs voix à l’unisson, avec le soleil dans la caméra, les pieds nus, les jolies filles décoiffées et souriantes, enfin merde quoi, la vie, vous voyez bien de quoi je veux parler tout de même.
Discographie
Edward Sharpe & The Magnetic ZerosBig Easy Express – Trailer
Ça m’en a fait frissonner de partout, laissez-moi vous le dire. Alors quoi, finalement, n’était-ce pas la chose la plus naturelle du monde que de me prendre cette place de concert pour l’unique passage du groupe en france, ce mardi, à l’Olympia ? N’était-ce pas chose toute naturelle que de venir me prendre une grande bouffée d’Amérique sauvage et ses enfants naïfs et resplendissants au beau milieu de cette grisaille de janvier, de sortir un peu des bus, des métros, des trains, des fins de mois difficiles pour le moral ? Et avec leur morceaux phares, « Home », « 40 Day Dream » « Mayla », « Man On Fire », n’avais je pas là droit au traitement rêvé ?
Edward Sharpe And The Magnetic Zeros – 40 Day Dream
Ici, dix minutes de trip au peyotl.
Avec autant de questions rhétoriques, vos petits esprits vivaces et alertes ont déjà fait le travail. Il y a anguille sous roche. Que dis-je, baleine sous gravillon même. Alors quoi, enfin, bon sang, ne suis-je pas sorti de là le sourire aux lèvres, prêt à mordre à pleine dent dans le cliché de l’Amérique profonde magnifiée par les banjos barbus de nos amis magnétiques ? Et ben pas tout à fait. Et c’est bien dommage, me risquerai-je même à dire.
Alors la faute à qui, la faute à quoi ? Et ben la faute à Edouard. Car ce soir-là, d’Edward Sharpe et ses Magnetic Zeros, on aura surtout retenu la présence des musiciens, plutôt que de celle de son chanteur principal, qui, et ça me fait de vous le dire mes petits agneaux, semble avoir eu tellement de mal à rentrer dans le concert qu’il n’a eu aucun mal à en sortir. Alex Ebert (et oui, deuxième déception de la soirée, Edward Sharpe est un personnage de fiction les amis) n’était pas vraiment là. Voix plus faible qu’à son habitude, teint plus pâle si c’est possible qu’à son habitude, le chanteur semblait perpétuellement se chauffer, prêt à enfin prendre le contrôle de sa scène et de son micro, mais finissait toujours par abandonner, comme désabusé, portant presque un sourire ironique sur sa faible condition. Ça arrive, me direz-vous, bonnes pâtes que vous êtes. Mais le réel problème, ce soir là, c’était de voir un personnage que l’on a fantasmé, visionné sur internet en boucle, un personnage dont les chansons ont rythmé nos vies, nos voyages, s’essouffler, tenter sans réussir, briser finalement avec lui le mythe de sa chanson. Alors non, ils ne sont pas toujours heureux et en pleine forme ? C’est stupide, mais difficile à digérer une fois mis devant le fait accompli. Et la faiblesse était d’autant plus signalée par l’extrême force vocale de la co-chanteuse Jade Castrinos, qui aura étonné, à la manière d’une Shara Worden, par la puissance de son coffre, l’énergie presque naturelle et la force de sa voix qu’elle aura déployée tout au long du concert, sur Fiya Wata particulièrement, (sans le sous-mix de l’album), merveilleusement organique jusque dans ses moindres inspirations, avant de trébucher, faillir, sur la dernière chanson, fatiguée, sans doute, elle aussi, à l’instar de son partenaire. Et cette fan de dix-sept ans, belle métaphore sans doute de l’épuisement du groupe, qui après avoir dansé trente minutes d’affilée, comme une courte vie au soleil de leurs chansons, ce sera écroulée, sans connaissance, au milieu de la fosse, avant d’être évacuée, avalée par la foule, et éloignée de nos yeux à tous.
Quel dommage. Quel dommage quand on sait le potentiel de ces onze musiciens, quand on a pu entendre la voix des autres musiciens qui prenaient le micro tour à tour, tous doués, tous talentueux, quand on a pu entendre, sur les chansons plus calmes ou tout le groupe semblait reprendre vie, la trompette virtuose de leur pianiste, le souffle qui revenait nous saisir, enfin, nous transporter. Alors bien sur, la salle a dansé, sauté, hurlé, repris en coeur les paroles des tubes. Mais je n’avais pas pu m’empêcher de jeter un regard à mon ami qui comme moi était venu profiter du son de ces chiens fous, et sans avoir besoin de parler, nous avons tous deux compris ce à quoi pensait l’autre. Ils étaient « en-dessous ». Le chanteur, principalement. Ironie du sort, la setlist plutôt courte comportait tout de même la chanson « If I were free ». Si j’étais libre. Qu’aurait-il fait, alors, si ce groupe fait pour les bus rouillés et les concerts de juin, de festivals joyeux, n’avait pas été rattrapé par son succès, et embarqué par la frénésie médiatique dans d’épuisantes, incessantes tournées. Qu’aurait-il fait s’il avait été libre ?
Quelques instants de grâce, tout de même. L’introduction de Black Water, Om Nashi Me et son lent déroulement, ses circonvolutions Sigurosiennes pleines de grâce, et ce moment d’éternité où alors que la chanteuse venait de trébucher sur scène et de perdre sa voix, Alex Ebert s’est retourné avec un éclair d’inquiétude dans le regard, et, plus tard, a doucement posé ses mains sur les épaules de la jeune femme avec un sourire qui semblait dire « C’est bientôt fini, tiens le coup. » Lorsqu’elle s’était retourné vers lui, son sourire à elle semblait lui dire « Ne t’inquiète pas ».
Alors quoi ? Alors Edward Sharpe And The Magnetic Zeros est fatigué. On pourrait digresser pendant des heures sur les raisons de cette baisse de régime mais je ne peux pas m’empêcher de penser que ce groupe n’a rien à faire à l’Olympia, en Europe, ailleurs que sur ces terres d’origines, et dans les festivals ensoleillés, foutraques et magnifiquement peu professionnels d’où ils ont émergés. Il manque et il nous a manqué l’innocence et la joie de vivre virale qui avait pu les illuminer lors de leurs débuts, et l’on se demande s’il n’est pas temps de raccrocher les gants, avant de sortir un album pour se payer une nouvelle piscine. Alors quoi, donc ? Les représentants de cette Amérique fantasmée seraient-ils donc aussi stéréotypés que cette Amérique elle-même ? N’avions nous pas succombé au cliché nous-même, sans nous en rendre compte ? Je refuse d’y croire. Il a brûlé dans les yeux fiévreux des musiciens d’Edward Sharpe une flamme qui à elle seule laissait entrevoir toute la joie flamboyante, l’envie de se consumer vite, de vivre fort et à pleins poumons qui possède la groupe. Alors essoufflés, ils jouent encore, ils continuent, avec probablement l’éternelle question qui taraude : que faire d’autre ? On espère du fond du coeur que le groupe saura revenir, rafraîchi, rajeuni, prêt pour un nouveau round d’immortalité. Et si demain, on s’aperçoit que les jeunes chiens fous de l’Amérique sauvage sont morts, ils auront au moins inspirés une nouvelle portée qui dans leurs pas se grilleront le système, rieront à s’en froisser les cordes vocales, sueront l’amour par tous les pores et de leur peau, et danseront sur les tombes d’Alex Ebert et de ses musiciens, à la gloire de la poussière, du soleil, des trains, des guitares et des filles de tournées.
Bonjour, je ne suis pas vraiment d’accord… J’étais à ce concert et je ne les ai pas trouvés essoufflés du tout. C’est vrai que c’était la première fois que je les voyais en live, donc je n’ai pas de point de comparaison. Mais j’ai rarement ressenti dans un concert ce que j’ai ressenti ce soir-là: transportée, ailleurs, j’étais avec eux portée par ces incroyables émotions qu’ils transmettaient… Musicalement je les ai trouvé largement à la hauteur. Un rapport au public incroyable. C’est certainement un des concerts qui m’a le plus touchée.