On a suivi tes aventures en anglais avec Adam Kesher, te voici en solo en français sous ton nom, comment s’est fait ce cheminement ?
A la fin d’Adam Kesher je souhaitais repartir sur un nouveau projet au plus vite et faire quelque chose tout seul permettait cela : je pouvais composer et répéter dans ma chambre, trancher rapidement sur des décisions esthétiques, aller faire des concerts avec une petite valise quand bon me semblait. S’agissant de la langue, je ressentais une certaine frustration à la fin du groupe, admirant les grands auteurs de la pop anglo-saxonne comme Jarvis Cocker ou Morrissey, en ayant l’impression que jamais je ne pourrais aller sur leur terrain car l’anglais que je pratiquais, en dépit de sa justesse, demeurerait un anglais international, dépourvu des aspérités et des spécificités qui font le charme et le style d’une langue ancrée dans une culture. En résumé, j’avais de plus en plus de difficulté à employer de l’argot anglo-saxon pour raconter des histoires françaises, à osciller entre accent anglais et accent américain, etc. Je ressentais de plus en plus une inadéquation entre les textes et leur interprétation.
Bien sûr ce qui frappe c’est le choix du français, beaucoup de jeunes artistes s’y frottent à nouveau avec bonheur, Grand Blanc, Feu! Chatterton, Radio Elvis, Alma Forrer, Baptiste W. Hamon, The Pirouettes, 1=0… Est-ce que cela change la façon d’écrire et la musicalité des chansons ? La musique de ce fait est-elle différente à composer ? places-tu les mots sur la musique ou l’inverse ?
Effectivement, la langue française est très différente de la langue anglaise, mon sentiment général sur la question est que la langue française est plus étirée – les mots ont tendance à avoir plus de syllabes, notre syntaxe permet d’empiler les propositions, etc – et beaucoup moins tonique. Comme une grande partie de mes influences demeurent anglo-saxonnes, et je pense que c’est également le cas chez un bon nombre de groupes que vous venez de citer, il y a une sorte de travail de transposition de l’efficacité de la langue anglaise pop au français que je trouve assez excitant. En gros, cela consiste à rechercher des formes concises et rythmées qui vont conférer à la langue française une fluidité qui n’est pas présente dans son usage quotidien. Pour ce qui est du rapport texte / musique, j’essaye de procéder autant que possible de manière organique, c’est à dire pas a pas, en faisant évoluer les deux simultanément.
Tes chansons racontent des histoires, avec un début, un milieu, une fin, comme un sorte de court-métrage musical. Est-ce un choix délibéré ? Comment arrives-tu à imposer cela au label comme une autre fois ?
Oui c’est un choix délibéré pour plusieurs raisons. D’abord je trouve que nous avons un bel héritage de morceaux de ce type en français, Gainsbourg bien évidemment, mais aussi Dashiell Hedayat dans Long song for Zelda , Pierre Vassiliu dans Film, Louis Chedid dans Hold Up, Taxi Girl dans P.A.R.I.S, Lavilliers dans Night Bird, la Perversita dans La soupeuse et j’en passe. Ça va de trucs très underground à des grands noms de la variété, il y a quelque chose de transversal qui me plait bien, c’est un patrimoine que je souhaitais vraiment réactiver. Et puis c’est aussi, bien évidemment, un format assez spécial, moins répétitif que le schéma couplets/refrains et dans lequel le texte et la langue deviennent les principes moteurs de la chanson. Je n’ai, heureusement, pas eu besoin de me battre pour faire accepter cela au label. La crise du disque a eu au moins le mérite de montrer que des formats audacieux pouvaient, contre toute attente, remporter l’adhésion du plus grand nombre alors que des choses supposées calibrées pour les charts se plantaient en beauté.
Dans les trois titres du deuxième EP, il y a une esthétique années 80 mais percutée par le son d’aujourd’hui ce qui donne au final quelque chose de très contemporain. Comment veux-tu sonner et comment se démarquer de l’inflation musicale du fait du net aujourd’hui ?
Je crois qu’on est vraiment dans une ère du collage. L’exhumation incessante d’enregistrements des décennies passées via le net et tous les blogs spécialisés peut avoir quelque chose de très inhibant, on a l’impression que tout a déjà été fait.
En même temps, les différents styles de musique paraissent beaucoup plus perméables qu’auparavant et on peut se permettre des agencements que personne n’aurait tenté ne serait ce qu’il y a vingt ans. Pour ma part, j’essaye de rapprocher deux mondes : celui d’une certaine chanson française, essentiellement 70’s et 80´s, et celui de la musique électronique des années 90 à aujourd’hui. Mais c’est le travail d’écriture qui me paraît le plus essentiel pour se démarquer, j’y suis très attentif.
Les trois titres sont de qualité, je veux dire par là qu’il n’y en a pas un un peu plus faible que les autres, même si on peut avoir des préférences. Il y a un retour au format EP du fait sans doute de l’économie de la musique mais cela fait de beaux objets (tous les artistes cités plus haut). Comment toi écoutes-tu la musique ? es-tu à l’affût des nouveautés ? Par quel biais ?
Je fais surtout des efforts pour écouter de la musique passée, via des blogs ou des bouquins d’érudits. Pour ce qui est des nouveautés, j’ai le sentiment que je ne pourrais pas passer à côté entre les réseaux sociaux, les recommandations des mes amis, et les groupes que je croise en concert.
Je trouve que, paradoxalement, la matérialité de l’objet disque fait particulièrement sens aujourd’hui, elle permet de fixer une constellation de disques qui comptent, en opposition à l’océan numérique qui, bien que parfaitement accessible et disponible, menace d’oubli, du fait de son étendue infinie, les chansons qu’on y croise. De manière générale, je découvre surtout sur internet, et j’écoute de manière plus approfondie en vinyle.
Le Rodeur me fait penser à Patrick Coutin, aimes-tu aussi regarder les filles ?
J’adore regarder les filles. Mais j’espère être capable d’autre chose, contrairement à Patrick.
Le titre Gamine
m’évoque un groupe de ma jeunesse qui était aussi chez Barclay et qui venait aussi de Bordeaux, continues-tu d’entretenir des relations avec la scène bordelaise ? Des groupes à faire découvrir ?
J’aurai toujours beaucoup d’affection pour cette ville. En ce moment, j’aime beaucoup ce que font Volcan et H ø R D. En plus connus, il y aussi Petit Fantôme et J.C.Satàn qui font des trucs très chouettes.
Gamine
est aussi un titre très sensuel, voire beaucoup plus. Que voulais-tu faire passer ici, une fantaisie, un fantasme déçu ? Quels sont pour toi les titres les plus adéquats pour des siestes crapuleuse ?
Gamine est un morceau sur le désir, sur la répétition incessante de son objet qui accapare l’imaginaire. Mais c’est aussi un morceau chargé de références semi-cryptées à bordeaux et donc à mon adolescence.
Pour les siestes crapuleuses, je n’ai malheureusement pas de mode d’emploi, tout type de musique peut potentiellement convenir, après c’est une question de tempérament.
Une Autre Fois
commence comme du Bruel et finit en transe extatique où l’on perd la notion de l’espace et du temps, une forme de défonce naturelle. Comment fais-tu pour faire coller ces différents univers ? d’où t’es venue cette histoire de métamorphose à la Kafka ou à la Lynch en chaise ?
J’insiste toujours sur ma volonté de faire de la musique pop, c’est à dire de m’inscrire dans une histoire musicale et des références culturelles largement partagées. A partir de là, tout est possible, on peut enfiler les lieux communs ou jouer avec ces codes et chercher à les malmener. J’aime bien partir d’une situation archétypale et y distiller de l’étrangeté. En ce sens, une autre fois est le morceau le plus emblématique de cette démarche. J’ai commencé par composer l’intro et j’avais en tête quelque chose comme « l’idéal type de la variété française ». Je voulais jouer avec cet effet de reconnaissance immédiat à la fois pour surprendre lorsque la musique et le récit dégénèrent mais aussi pour affirmer qu’il n’y a pas de ligne de partage claire et distincte entre musique pop et musique expérimentale. Pour ce qui est de la métamorphose en tant que telle je suis passé par pas mal d’objets avant de trouver le bon : une chaussure, une pompe à bière…
Peux-tu nous parler de la production du EP, un titre avec Zdar, d’autres avec Jean-Louis Piérot qui a travaillé avec Daho ? Seront-ils aux manettes du futur album ? qui sortira quand ? ces trois titres se retrouveront-ils sur un format plus long ?
Zdar a mixé une autre fois et Jean Louis Piérot et Pierrick Devin ont réalisé et mixé tout le reste. C’est ce même duo qui sera aux manettes de l’album qui sortira courant 2015. La playlist n’est pas encore arrêtée.
Tes chansons sont très visuelles, quand on les écoute, des images surgissent, peut être à cause de la proximité immédiate du chant en français. Quels sont les films qui t’ont marqué et pourrais-tu écrire non pas une musique de film mais un film musical à la Demy ou Honoré ?
Parmi les films qui m’ont le plus marqué je citerais Une femme sous influence et Husbands de Cassavetes, Cris et chuchotements de Bergman, Blue Velvet de Lynch, La cérémonie de Chabrol, Possession de Zulawski, To live and Die in L.A de Friedkin, Dońt look now de Nicolas Roeg, Le filleur d’Alain Cavalier, Chinatown de Polanski et disons The Shooting de Hellman. J’aimerais beaucoup faire un film musical mais je pense que ça ne ressemblerait pas à du Demy ni à du Honoré.
Tu as fait par ailleurs une installation sonore à la villa de Noailles, peux-tu nous en dire plus, ce que cela t’a apporté et souhaites-tu renouveler l’expérience ?
J’ai mené pas mal de projets musicaux dans les champs de l’art contemporain ou de la mode.
Je trouve ça important de maintenir un équilibre entre ces expériences et mon travail pop sur des labels. Les deux environnements se nourrissent mutuellement. Pour la villa noailles, j’ai écrit un morceau en français d’une trentaine de minutes qui est une sorte de récit fantasmé de l’histoire de ce haut lieu du modernisme. On pouvait écouter ce morceau en différents endroits de la villa correspondant à des points de vue sur l’architecture ou le paysage alentour qui résonnaient particulièrement avec le texte. J’aimerais beaucoup réitérer ce projet dans d’autres lieux iconiques.
Au final ton EP donne quelque chose de très urbain, de très mâle, de très sexy, peux-tu nous faire une playlist sexy mâle urbaine de tes morceaux du moment ?
Alain Chamfort – Trace de toi (Chloé Rework)
Pierre Vassiliu – En vadrouille à Montpellier
Suicide – Cheree
2 Chainz – Birthday Song
Paul Giovanni – Willow’s Song
Marianne Faithfull – With You in Mind
Junior Boys – In The Morning
Art Department – Without You
Perez - Perez