Interview : Peter Kernel

Peter Kernel (© photo : Miriam Vile)
L'alliance helvético-canadienne s'apprête à se lancer à l'assaut du monde le 19 janvier 2015 avec une bombe atomique prénommée Thrill Addict. En effet, le nouvel album des Peter Kernel propulse le groupe au delà de ses limites. Les fans de White Death & Black Heart vont être ravis. Leur mâchoire un peu moins puisqu'elle va subir un décrochement important. Les chansons du nouveau disque de ce duo viennent de subir une croissance qualitative inattendue. Rencontre avec Aris Bassetti, la partie mâle de l'affaire.

Peter Kernel

Vous avez quitté le label français Africantape et vous êtes désormais sur le label On the Camper Records. Pourquoi ce changement ?

Aris Bassetti : Nous aimons Africantape et nous collaborons encore. Nous avons beaucoup d’amitié pour Julien (le fondateur de ce label) et nous échangeons des lettres. Depuis un certain temps maintenant Julien a axé son développement sur le cinéma et a décidé de tourner Africantape vers le secteur de la distribution. Et, dans le même temps nous avons ressenti le besoin d’être plus indépendants, nous avons donc décidé de publier Thrill Addict sur notre propre label (Camper Records). Nous sommes des maniaques du contrôle ; nous assurons notre propre management et nous faisons tout… Nous aimons avoir un contact direct avec nos fans et nous voulons éviter le fait d’avoir trop de gens entre nous et notre public. Nous ne sommes pas intéressés par les grands labels, nous voulons juste être libres de faire ce que nous voulons quand nous le voulons.

Discographie

Comment s’est passé l’enregistrement de Thrill Addict ? Pourquoi avoir fait le choix de travailler en Italie ?

Aris Bassetti : L’enregistrement de Thrill Addict a été très très long parce que nous avons eu quelques problèmes techniques et parce que nous étions souvent sur la route avec notre autre projet (Camilla Sparksss). Nous avons composé les premières idées de l’album lors d’un voyage ou dans la camionnette ou entre les hôtels et pendant les jours de congé dans chaque et tout petit moment que nous pouvions trouver. C’était un peu difficile surtout pour la batterie parce que je ne suis pas un bon batteur et comme nous sommes un duo nous n’avons pas de batteur fixe. Nous avons donc improvisé notre propre façon de construire les parties de batterie. J’ai joué quelques parties de batterie tandis que Barbara était en face de moi et tenait un micro en essayant d’attraper quelques bonnes secondes ici et là, puis nous avons édité ces petits fichiers et nous avons rassemblé quelques beaux moments. Puis nous avons ensuite répété avec un vrai batteur. Nous avons donc appelé Ema (le batteur qui a joué sur White Death Black Heart) et il a fait du bon boulot et a réussi à reproduire nos idées. Parfois, c’était un peu difficile pour lui parce que pour la première fois nous voulions des « rythmiques doubles » avec des changements de rythme dans le même mouvement. Mais c’est un grand batteur et il a été en mesure de trouver une solution à chaque problème.

Quand nous avons eu les premières versions des chansons, nous avons commencé à travailler sur les arrangements pour que ces dernières soient complètes et plus lourdes. À ce moment nous avons commencé mon étape préférée : éliminer les parties inutiles afin de se trouver face au noyau de la chanson. J’aime vraiment cette étape de la composition, mais en même temps je deviens paranoïaque. Je ne peux pas dormir la nuit : je continue de penser à des parties qui doivent être déplacées ou à ce son de guitare qui devrait être plus sec ou encore la cymbale qui est trop sombre, etc…

Une fois que nous avions enregistré une préproduction des chansons nous-mêmes, nous avons commencé à demander autour de nous qui pourrait être un bon ingénieur du son pour enregistrer ce disque. Le nom de Miguel Constantino nous a été suggéré par bon nombre de nos amis. Nous l’avons donc contacté et il s’est avéré être un chic type avec le cœur très pur.

Le choix du studio était évident : La Sauna à Varano Borghi en Italie. Parce que c’est là où nous enregistrons tous nos albums. Et que nous aimons l’endroit ! Nous sommes des amis très proches du propriétaire Andrea ; il a enregistré et mixé une grande partie de notre travail et son studio a un son exceptionnel. C’est une belle maison sur un lac, il n’y a pas d’isolation sonore dans la salle dédiée aux batteries, il y a donc une une réverbération très naturelle grâce aux fenêtres et aux carreaux. Et bien sûr, à côté du studio, il y a une pizzeria fantastique. Et quand nous sommes là nous dormons dans une ferme à proximité avec toutes sortes d’animaux : poulets, lamas, moutons, paons, vaches, chats et chiens.

Lorsque nous enregistrons à La Sauna nous nous sentons comme sur une autre planète. Et nous sommes totalement dans ce que nous faisons.

Mais cette fois, quelque chose c’est mal passé. Quand nous avons commencé à mixer les enregistrements, nous avons réalisé que nous ne les aimions pas et que nous allions dans la mauvaise direction.
Nous avons donc décidé de garder ce que nous avons aimé (surtout les parties de batterie) et de refaire tout le reste. Mais nous avions fini notre temps de studio. Donc, nous avons pris quelques micros du studio et nous sommes retournés à notre salle de répétition. Miguel a suggéré que nous devrions vraiment essayer de trouver ce que nous cherchions et que nous devions pas être bridés par la technique. Nous avons donc pris les micros et nous les avons positionnés de différentes manières devant les amplis jusqu’à ce que nous trouvions exactement le son que nous voulions et nous avons ré-enregistré l’album de cette manière. Ensuite, nous sommes retournés à la Sauna faire le mix et il s’est avéré formidable. Ça sonnait exactement comment nous voulions que ça sonne !

Peter Kernel – You Party Sucks

Tu peux nous expliquer le titre de ce disque ?

Aris Bassetti : Tout au long des dernières années, nous avons pris beaucoup de décisions, et nous faisons souvent les mêmes erreurs encore et encore. Nous prenons souvent beaucoup de risques (nous avons quitté nos emplois respectifs pour vivre de notre musique, nous avons sorti l’album sur notre propre petit label, nous en assumons la gestion, etc… ) et nous nous rendons compte que beaucoup de ces choix sont fait uniquement parce que cela nous excite. Nous avons tendance à choisir ce qui nous fait vibrer et c’est souvent le bon choix, le choix évident. Nous ne pouvions pas vivre autrement. Nous sommes accro à cette manière d’être.

Ma chanson préférée de Thrill Addict est They Stole The Sun. Quelle est son histoire ?

Aris Bassetti : Lorsque nous avons commencé à travailler sur le nouvel album, il a plu tout le temps. Nous avons vraiment manqué de soleil. Nous avons imaginé que quelqu’un l’avait volé car nous ne pouvions pas croire qu’il fasse si sombre pendant si longtemps. Et le plus drôle, c’est que même des mois après avoir écrit cette chanson, à chaque fois que nous avons travaillé sur elle, l’enregistrement ou le mix, il pleuvait ! Sauf le dernier jour, le soleil est apparu quand nous avons terminé le mixage.

Vous n’en avez pas assez d’être comparé sans cesse à Sonic Youth ?

Aris Bassetti : Oui. Je veux dire que nous avons écouté Sonic Youth quand nous étions jeunes, mais ce n’était pas du tout notre groupe préféré et nous ne les écoutons plus depuis des années. Nous jouons comme nous jouons, simplement parce que nous ne sommes pas des musiciens très techniques. Notre musique est ce qu’elle est parce que nous écrivons nos chansons d’une manière très simple et instinctive ; nous jouons de nos instruments jusqu’à ce nous tombions amoureux d’un son, c’est tout. C’est peut-être la même démarche que Sonic Youth, je ne sais pas, mais je suppose que c’est la démarche de nombreux groupes.

Vous franchissez un cap sur ce disque. Vous vous en êtes rendu compte ?

Aris Bassetti : Après la grande tournée qui a suivi la sortie de White Death Black Heart, nous avons ressenti le besoin de faire évoluer notre son. Nous avons toujours aimé mélanger des mélodies sombres avec des riffs bruyants mais cette fois nous voulions explorer notre façon d’écrire des chansons plus pop. Nous nous étions un peu lassés de tous ces groupes noise que nous avions écoutés et avec qui nous avions partagés la scène. Ne vous méprenez pas, la plupart de ces groupes sont vraiment de grands groupes, c’est juste que le noise rock ou le math rock ne nous intéressent plus comme avant. Nous grandissons chaque jour et nous changeons. C’est donc naturellement que notre musique évolue avec nous.
Ce serait étrange si ce n’était pas le cas.

Peter Kernel - Thrill Addict
Peter Kernel – Thrill Addict

Tu peux nous en dire un peu plus sur la pochette de l’album ?

Aris Bassetti : Nous faisons souvent la pochette de l’album en même temps que celui-ci. Ce n’est pas une image mais plutôt une analyse. Nous avons passé une nuit entière avec nos visages écrasés dans un petit scanner pas cher. Le plus difficile a été de contrôler notre respiration. En effet, du brouillard apparaissait si nous respirions et le scanner ne pouvait pas faire sa mise au point. Nous avons pris une centaine de scans, mais quand nous avons vu celui-ci nous avons su que c’était le bon ! Il est tel quel, sans Photoshop et sans aucune retouche. C’était la représentation parfaite de l’album ; il y a quelque chose de très romantique, mais en même temps, il ressemble presque à un portrait de nous deux noyés. Vie et mort. Des opposés qui sont indissociables.

Peter Kernel - Thrill Addict

C’est quoi votre éducation musicale ?

Aris Bassetti : Notre éducation musicale est naze. Personnellement, je détestais la musique jusqu’en 1991. J’avais l’habitude d’écouter la radio avec mes parents le dimanche pour les sketchs comiques en dialecte suisse italienne, et quand la musique arrivait nous éteignons la radio. Mais je me souviens d’un jour en 1991 quand j’ai entendu une chanson qui m’a vraiment fait changer d’avis sur la musique : c’était Gypsy Woman de Crystal Waters. J’ai pensé que ce n’était pas mal du tout. Heureusement quelques semaines plus tard, j’ai découvert Nirvana : ça m’a vraiment fait un choc. Après, j’ai adhéré à la scène grunge puis au rock alternatif. Et d’un seul coup, je me suis mis à détester tout ce que j’avais écouté et je me suis penché sur des choses très expérimentales comme Merzbow, kk null, Ruines
Je suis tombé amoureux de Japanoizu. J’étais un adolescent très refermé sur lui même. Puis je me suis mis à grandir en écoutant et en aimant la musique. Sauf la fusion.

Barbara a grandi au Canada où la radio diffusait des trucs pop rock classiques. Le premier concert qu’elle a fait est un concert de Green Day. Ils ont joué dans sa petite ville perdue au milieu de nulle part pour la sortie de Dookie. Depuis elle a écouté beaucoup de punk rock jusqu’à ce que nous nous rencontrions. Puis elle a découvert le noise et elle s’est sentie comme chez elle. Aujourd’hui elle écoute beaucoup de musique classique et de musique méditative.

Vous ne regrettez rien depuis le début du groupe ?

Aris Bassetti : Rien ! On a fait ce que nous devions faire. Et nous sommes fiers de ça.

Vous vous sentez proche de quels groupes actuels ?

Aris Bassetti : Nous nous sentons proches de tous les groupes que nous avons croisés sur la route et qui croient en ce qu’ils font. Nous aimons ça.

TOP 10

1) Le meilleur album de 2014 ?

Aris Bassetti : Je ne sais pas. Peut-être Ruins de Grouper. Peut-être.

2) L’album de 2015 que tu attends le plus ?

Aris Bassetti : Le nouvel album de mes amis de The Lonesome Southern Comfort Company, un des meilleurs groupes que je connaisse.

3) Le disque que tout le monde a écouté sauf toi ?

Aris Bassetti : Les gens parlent de plein de disques que nous ne connaissons pas.
Je me souviens qu’il y a quelques années tout le monde parlait de Third de Portishead, mais nous ne l’avions pas écouté. Puis quelques années plus tard, nous l’avons enfin jeté une oreille dessus et ça a été génial!
Nous avons alors réalisé qu’il y avait probablement une raison pour laquelle les gens parlent de quelque chose. Réflexion faite, nous avons dû louper beaucoup de bons albums.

4) La meilleure salle pour voir un concert ?

Aris Bassetti : Une petite et vieille salle.

5) La meilleure salle pour jouer en concert ?

Aris Bassetti : Une petite et vieille salle.

6) Le refrain ultime ?

Aris Bassetti : Pensieri e parole de Lucio Battisti.

7) Ta B.O. préférée ?

Aris Bassetti : The Good, The Bad And The Ugly d’Ennio Morricone.

8) Ton disque honteux ?

Aris Bassetti : Aucun.

9) Si on te donne l’opportunité de créer un festival. Quel nom ? Quelles têtes d’affiche ?

Aris Bassetti : Ça fait quelques années que nous pensons au fait d’organiser un festival. Quelque chose de local dans le Tessin. Ce qui est sûr c’est que nous inviterions DJ Marcelle, Puts Marie, Moth Face, Evelinn Trouble, BRNS.
On l’appelerait Tessinoise. C’est le nom en français des filles de notre canton.

10) Lee Ranaldo ou Steve Shelley ?

Aris Bassetti : Pourquoi faire ?

Tracklist : Peter Kernel - Thrill Addict
  1. Ecstasy
  2. High Fever
  3. Your Party Sucks
  4. Leaving For The Moon
  5. It’s Gonna Be Great
  6. You’re Flawless
  7. Supernatural Powers
  8. Keep It Slow
  9. Majestic Faya
  10. They Stole The Sun
  11. I Kinda Like It
  12. Tears Don’t Fall In Space
Peter Kernel en concert
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Pouet? Tsoin. Évidemment.

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Portrait : Peter Kernel

En quelques albums, Peter Kernel, a su imposer une pop magnétique, rythmée et puissante. En janvier est sorti leur troisième opus « Thrill Addict », toujours inspiré par l’histoire d’amour du duo. En tournée actuellement. Retrouvez leur interview sur Soul-Kitchen.

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