…from Across The Kitchen Table est servi dans un écrin immonde. En effet, la pochette est littéralement défigurée par un bandeau de couleur noire qui symbolise plus le deuil que l’étonnante modernité qu’il annonce fièrement avec ses deux mots : « Compact Disc« . La fin du format du 33 tours étant programmée pour le début des années 90, les majors avaient rapidement transformé leurs vinyles en CD, obligeant au passage tous les lads à racheter leur album préféré.
…from Across The Kitchen Table s’est tellement peu vendu que tous les disquaires de ce bas monde piochent encore aujourd’hui dans le stock des années 80. Depuis 1989, cet album est tellement ignoré qu’aucun nouveau pressage n’a été utile. Une sorte de Second Coming avant l’heure mais sans les ventes…
Pour la laideur de l’emballage, les Pale Fountains sont les champions toutes catégories. En effet, le grand frère Pacific Street est lui aussi mutilé par deux bandeaux. Le premier est déjà connu (Compact Disc), le second annonce crânement la présence de quatre titres bonus tout en défigurant le révolutionnaire hongrois présent sur la pochette qui obnubile les fans hardcore du groupe depuis 31 ans.
Bref.
Les Pale Fountains avaient le discours pop le plus grandiloquent des années 80 et eurent le destin le plus misérable.
Broudie vs Troeller
Le meilleur moyen d’écouter de ce disque est donc de se le procurer en CD contre quelques euros.
L’édition CD de …from Across The Kitchen Table a tout pour se faire détester. Le packaging est immonde, le contenu critiquable. Publié une première fois en vinyle en 1985, …from Across The Kitchen Table vit arriver une édition CD en 1989. Cette dernière ne respecte pas son ainée. Les versions présentes de Bicycle Thieves et …From Across The Kitchen Table ne sont pas celles produites par Ian Broudie. Virgin a mis à la place celles de Gordian Troeller. Manager des Orchestral Manoeuvres in The Dark (hébergés par Virgin depuis 1983 avec la publication de Dazzle Ships) et producteur (Julia Downes, collaboratrice de Meat Loaf et de… Stephan Eicher), Gordian Troeller fut recruté pour défaire le noeud gordien qu’était la carrière des Pale Fountains.
L’enregistrement de ce disque commença donc à Inverness avec l’ami Troeller en guise de producteur et de manager.
L’affaire tourna court. Au bout de deux morceaux, les Liverpuldiens éjectèrent ce garçon pour le remplacer par le colocataire de Michael Head1, Ian Broudie.
Il faut donc attendre des rééditions japonaises de 2006 très confidentielles et surtout très onéreuses des disques des Paleys pour voir la production de Broudie intégralement respectée.
Virgin a insidieusement placé sur l’édition CD de … from Across The Kitchen Table les versions de Troeller pour lui assurer une petite rente. Mais comme on ne fait pas d’argent avec la fratrie Head, Troeller s’est reconverti depuis lors dans les courses équestres. Heureusement, car dès 1985 la presse anglaise se faisait l’écho du peu de lumière dont bénéficiaient ces garçons. Deanne Pearson évoque dès 1985 le groupe le plus sous estimé de l’Angleterre :
1982-1983
Les choses avaient pourtant bien commencé.
Signés en 1982 chez Virgin Records, les Pale Fountains auraient pu devenir immenses. Il n’en fut évidemment rien.
Totalement obnubilé par Love et Arthur Lee, Michael Head produisait une musique unique qui était le fruit de la rencontre fortuite de la guitare de son père et de l’écoute obsessionnelle de Forever Changes. Le peu de gens qui assistèrent aux premiers concerts du groupe furent marqués à vie.
Certains bien heureux assistèrent au concert de ces évangiles à la Piscine Deligny le 16 juin 1984 et ne s’en sont toujours pas remis.
En 1982, deux Français réussirent à signer ce jeune prodige qui alliait la bossa nova et la pop anglaise sur leur label Les Disques Du Crépuscule le temps d’un single. Évidemment, après la publication de (There’s Always) Something On My Mind, tous les directeurs artistiques du Royaume-Uni sont sur le dossier Pale Fountains. Rough Trade (qui distribuait déjà Something On My Mind2) a déjà imprimé le contrat mais c’est Virgin qui remporte les enchères avec une offre…spectaculaire. De l’aveu même de Rob Collins, la somme offerte (150 000 livres) est démente et est la conséquence directe de l’irruption de Richard Branson dans les négociations.
Quatre ans plus tard, les Pale Fountains laisseront une ardoise de 750 000 livres à leur maison de disques.
1984
En février 1984, le premier disque des Pale Fountains s’était classé logiquement à la quatre-vingt-quatrième place du top 50 anglais. Ce même mois, ce dernier était dominé par Frankie Goes to Hollywood et Queen alors que la plus belle chanson des Echo and The Bunnymen (The Killing Moon) atteignait péniblement la neuvième place du classement des singles avant de plonger dans de sombres abysses.
Produit par Howard Gray (futur producteur de The Head On The Door des Cure et faiseur d’or pour Virgin avec les UB40…), Pacific Street est trop finaud pour son époque. Pas assez post punk, trop raffiné, l’œuvre de jeunesse de Head Senior ne rentre dans aucune case et passe logiquement à la trappe.
Les compositions de Michael Head sont toujours sur le fil. Un vrai travail d’équilibriste. Une note de trop et c’est la chute dans le kitsch, la chantilly et l’atroce. Une note de moins et l’affaire ne roule pas. Ce type qui n’a pas encore vingt ans a écrit des petits chefs d’œuvre d’un raffinement hallucinant. Sous la trompette d’Andy, un moteur pop rutilant et flamboyant qui ne demande qu’à rouler et qui dépasse tout le monde.
1985
Pour rattraper ce premier essai non transformé, Virgin renvoya immédiatement les Pale Fountains en studio quelques mois après ce premier échec. Il faut dire que la concurrence est âpre sur le marché du rock indie…
Au début de 1985, LLoyd Cole et ses Commotions ont été mis de force en studio par Polydor pour doubler la mise de Rattlesnakes et un certain Paddy McAloon enregistre Steve McQueen aux studios Nomis dans l’Ouest de Londres.
Les frères Head arrivent d’Écosse et sont enfermés aux studios Brittania Row à Londres ainsi qu’aux studios londoniens de The Town House où tout le gratin des années 80 (Queen, Depeche Mode) enregistre ses tubes.
Le reste de de ce disque sera enregistré aux Amazon Studios de Liverpool.
Le ton des Pale Fountains change sur …from Across The Kitchen Table. L’ambiance dans le groupe est toujours excellente mais le temps des Scousers habillés comme des scouts américains est terminé.
Le changement était déjà perceptible au printemps 1984 avec la publication du clip de Don’t Let Your Love Start a War.
La branche marketing de Virgin avait, l’espace d’un instant, espéré conquérir le marché français avec ce titre. Ce fut un Waterloo à la française!
Pale Fountains – You’ll Start a War
Le deuxième disque des Paleys enfonce le clou. Si la philosophie n’est plus la même, l’excellence est toujours là. Mick Head avait encore une kyrielle de chansons en réserve. Mais le temps de la pop pastorale est terminé. Les Palies sont devenus grands, Londres s’étant occupé de leur pucelage.
Il n’y a qu’à regarder la pochette.
Chris McCaffrey et sa gomina sont prêts à servir des chansons résolument plus dures. Le logo du groupe trône fièrement en plein milieu de la pochette alors que la trompette d’Andy Diagram sort du centre du jeu. Omniprésente sur Pacific Street, cette dernière n’est plus qu’une invitée de luxe sur le second album des frères Head.
…from Across The Kitchen Table oublie de passer la première, casse l’embrayage et passe directement à la quatrième vitesse en témoigne le morceau d’introduction, Shelter :
« Yeah, ooooh
Take a little shelter with me
Yeah, take a little shelter with me. »
Tous aux abris. Si Pacific Street était le signe du renouveau et de l’été éternel, …from Across The Kitchen Table annonce l’automne et les longues soirées autour du feu. La donne a changé dans le groupe mais aussi chez Virgin4. La maison de disques espère rentrer dans ses frais et a sûrement mis la pression sur ses jeunes gars.
…from Across The Kitchen Table est un album bien plus rock. Michael Head a écrit Just A Girl en 1980. Cinq ans plus tard, c’est Mick Head qui écrit Bruised Arcade ou Jean’s Not Happening . Londres a littéralement lessivé ce groupe et l’a métamorphosé en machine rock.
The Pale Fountains – Jean’s Not Happening
C’est justement Jean’s Not Happening à qui Virgin Records confie le rôle d’éclaireur. Le single est reçu par une volée de bois vert par le Melody Maker le 12 janvier 1985. LE N.M.E met le coup de grâce la semaine suivante.
…from Across The Kitchen Table termine donc péniblement à la quatre-vingt-quatorzième place des charts anglais trustés par des bûcherons, les Foreigner et leur étron Agent Provocateur.
Pied de nez ultime de l’histoire, les concurrents que sont les Smiths arrivent à placer pour une seule et unique fois un disque numéro 1 avec Meat Is Murder.
Histoire de mettre fin au contrat dans les règles, Virgin publie un single en juin 1985 (…From Across The Kitchen Table) et charge la mule en incluant à la hussarde Thank You et Just a Girl en plus de Bicycle Thieves. Les belles photographies de John Stoddart ne seront d’aucune utilité car ce sera de nouveau un échec commercial.
Une tournée à l’étranger est organisée pour l’honneur avec notamment deux dates françaises et trois dates au Japon.
La mort soudaine de Chris McCaffrey en 1986 accélère le démantèlement de la maison PF. Lâchés par leur maison de disques, les frères Head quittent Londres et repartent à Liverpool. Ils fonderont Shack et l’Histoire recommencera…
1987-2015
Dès le début de sa carrière, l’affaire était entendue: bien heureux celui qui gagnera de l’argent avec Mick Head.
Shack fut un enchaînement de vaines tentatives pour rendre l’affaire viable.
On passera sur la faillite de Ghetto Records, un label fondé par Dick Leahy, qui a récupéré au vol les frères Head pour le premier album de Shack, Zilch. Leahy décrit Michael Head comme le « George Michael du psychédélisme ». Il peut faire une telle comparaison !
Après l’incendie des studios Star Street (Paddington) en 1992 et la disparition des bandes de Waterpistol, le disque mort né des Shack, Leahy risque la banqueroute. Mais il vient entre temps de signer l’ex WHAM! George Michael, va se refaire une santé économique et oublier nos magnifiques perdants.
On s’aperçoit au final que Mick Head est au centre de la pop anglaise depuis le début de sa carrière. Tous les chemins mènent à ce garçon.
En 2006, Noel Gallagher en fait les frais en signant Shack sur son propre label, Sour Mash. On the Corner of Miles and Gil, le dernier disque en date des frères Head, n’atteint pas une place enviable dans les charts anglo-saxons. L’ainé des Gallagher aurait dû se méfier. En effet Moran Simon, confident des Take That3 et éminence grise de SJM Concerts (qui gère les tournées de Morrissey et des Spice Girls) a aussi essayé de faire grimper les frères Head dans les charts… Les sept semaines de studio payées par le label de Simon (North Country) seront vaines en terme commercial (…Here’s Tom With The Weather finira à la cinquante-cinquième place des charts) mais auront de la veine en matière artistique.
2016
Michael Head donne avec son Michael Head and The Red Elastic Band et sous la houlette de Violette Records des concerts par intermittence.
Concernant les Pale Fountains, Virgin Records possède les droits sur leurs chansons. Aucune réédition digne de ce nom n’est donc concevable sans l’accord de cette maison. Richard Branson si tu nous lis…
The Pale Fountains - ...from Across The Kitchen Table
- Shelter
- Stole The Love
- Bicycle Thieves
- Limit
- Jean’s Not Happening
- 27 Ways To Get Back Home
- …From Across The Kitchen Table
- Bruised Arcade
- It’s Only Hard
- September Sting
- Hey
- These Are The Things
Notes :
1 Magic Revue Pop Moderne numéro 194, juillet-août 2015
2 The Pale Fountains, un groupe au joli nom pas très rock’n’roll, François Gorin, Télérama, avril 2013
3 Article Wikipédia, Moran Simon
4 Magic Revue Pop Moderne numéro 194, juillet-août 2015
Thx to G. Smillie & P. Blua
Très juste revue d’un groupe presque mythique qui a bercé mon adolescence avec des mélodies flamenco pop uniques faisant fi de la mode tous synthétiseurs de l’époque .
Il faut tout de même noter l’excellent album Zilch période Schack, disque encore plus passé aux oubliettes ..
Et on parle de Zilch ici :
https://www.soul-kitchen.fr/71316-interview-mick-hurst-shack
Vinyles des deux albums achetés à l’époque toujours aussi agréables à réécouter, avec penchant certain pour Pacific Street (1984, 10 titres seulement, sans bandeau ni « Extra tracks ») et son visuel choc parmi les plus marquants de l’époque. Fraîcheur des eighties, finesse des compositions et richesse instrumentale allant bien au-delà de la trompette (des cordes bien posées et des percussions multiples, jusqu’aux steel pans de Trinidad), on ne dirait pas que cela a 35 ans d’âge…