Yann Tambour
Peux-tu m’expliquer le titre de l’album ? Pourquoi avoir choisi ce mot Luxe ?
Yann Tambour : Pour pas mal de raisons. Au départ, il s’appelait Lux. Le thème de la lumière revient beaucoup sur le disque. Mais je trouvais ça un peu laid comme titre. Puis j’ai rajouté un « e » et ça m’a fait sourire. J’aimais aussi le lien avec Flux de Encre. Luxe, c’était Flux-1+1. Et enfin je trouvais que le titre cadrait avec la vie que je menais au moment de son écriture. Le luxe d’un ailleurs permanent. Les tournées à divers endroits du monde dans lesquels je reviens régulièrement à mes petits rituels, de multiples micro-existences que je quitte et retrouve. J’aime cette dynamique du mouvement perpétuel, j’ai du mal à la quitter même lorsque je suis sensé me sédentariser un minimum. Hors des tournées, le mouvement continue. C’est un sens très personnel du Luxe, un peu aux antipodes de ce qu’on entend souvent par ce terme. Et enfin, c’est sans doute au grand vide colporté par ce dernier sens du luxe que ce disque entend parfois s’opposer.
Discographie
Stranded HorseEt cette pochette ? Où as-tu trouvé ce tableau ?
Yann Tambour : Ce n’est pas un tableau. C’est une photo que j’ai prise avec mon téléphone lors d’un de mes voyages à Dakar. Je la trouvais assez magique, mais elle était dans une définition trop basse pour pouvoir l’exploiter sur la pochette. Je l’ai donc imprimée sur un papier type parchemin et re-scannée afin que la haute définition se focalise à la fois sur l’image et le grain du papier. J’aimais par ailleurs l’association du mot « luxe » et cette image froissée. Je trouvais que ça cadrait avec ce que je disais plus haut : le luxe est ailleurs.
S’il y a bien un truc qui me caractérise, c’est de ne rien savoir résumer en un mot.
Quand as-tu décidé de publier un troisième album ?
Yann Tambour : Dès l’écriture de mon premier album.
Pour toi, quels sont les principaux changements par rapport à Humbling Tides ?
Yann Tambour : Le monde, dans tous les sens du terme. Ce disque s’est nourri des disques récoltés pendant mes voyages. Il est le fruit de nombreuses collaborations. La collaboration avec Boubacar Cissokho tout d’abord, que j’ai rencontré à Dakar. C’est vraiment le pivot central du disque, une rencontre à la suite de laquelle nous sommes restés très liés. Même pour le live, nous tournerons sous différentes formations, mais sauf quelques exceptions le duo est la formule la plus réduite. Les résidences à Dakar ont également été l’occasion de collaborer avec Bakoutoubo Dambakhate au balafon et Papis Morin Mbaye aux percussions qui m’ont été présentés par Boubacar, et Poulo_K au riti (violon traditionnel peuhl à une corde), qui est également le chauffeur de Youssou N’Dour pour l’anecdote.
On m’a parallèlement demandé, lors d’une résidence à la scène nationale de Toulouse (le TNT), de monter un line-up étayé de Stranded Horse. Ce fut l’occasion de faire venir Boubacar pour la première fois en Europe, et de collaborer avec une section de corde réunie autour de Carla Pallone avec qui je collaborais depuis longtemps. Nous avons opté pour Gaspar Claus et Christelle Lassort. Suite à cette résidence, ils ont formé le trio Vacarme qui a ensuite collaboré avec pas mal de gens. J’ai aussi demandé à Amaury Ranger qui joue dans Frànçois & The Atlas Mountains, Babe et Archipel, que je connaissais depuis longtemps, de participer à l’enregistrement. Et enfin, je voulais depuis un moment collaborer avec Eloïse Decazes, moitié du duo Arlt, avec qui j’avais pas mal partagé la scène et m’étais lié d’amitié, de collaborer sur deux morceaux. Sarah Murcia est également venue enregistrer des contrebasses pour l’album. Tous ces intervenants amènent le disque dans autant de directions diverses pour un album beaucoup plus patchwork qu’Humbling Tides qui était plus monolithique et pensé comme tel. L’idée de Luxe était de me laisser porter sans but par les rencontres et quelques figures imposées comme les résidences.
Sur combien de temps s’est déroulé l’enregistrement de ce disque ?
Yann Tambour : Je dirais sur quatre ans. Il est le résultat de 3 résidences (Dakar 2012, Dakar 2013 et Toulouse), 2 sessions d’enregistrement parisiennes et une nantaise.
Où a t-il été enregistré d’ailleurs ?
Yann Tambour : A Dakar, Paris, Nantes et Bruxelles.
Mais Ode to Scabies est une chanson qui reste dans la tête toute la journée !!! La semaine même ! C’est un potentiel tube. Et si Stranded Horse décroche un tube… Quelle est ta réaction ?
Yann Tambour : Moins urticante que le sujet du morceau j’espère. Ode to scabies signifiant « ode à la gale ».
Mais bon, du coup, j’invente un nouveau style, la Medical Pop.
Quelle est l’histoire de cette chanson ?
Yann Tambour : C’est complètement con. Allez, j’ose. J’ai passé une semaine chez des gens en Corse une année où il y avait une épidémie de gale à l’endroit où j’étais. Et en partant, les gens qui m’ont hébergé ont appris qu’ils venaient de la contracter. Ce qui est assez drôle, c’est comment cette maladie, somme toute bénigne, vu l’image qu’elle entretient dans l’inconscient collectif déchaine l’hypocondrie. Je suis rentré avec la certitude, ayant dormi sur le canapé une semaine durant, que j’allais la chopper, le temps d’incubation étant assez long, et la contagion étant très probable dans mon cas vu le temps que j’y avais passé. Comme on fait dans ces cas là, je me suis renseigné sur les symptômes, le mode de contagion, etc. Et pendant que je psychotais, j’ai écrit cette ode à la gale. Une sorte de chanson d’amour. Cela restait assez crypté. Le morceau était, lorsque je l’ai fait écouter à droite à gauche, plutôt pris comme un truc romantique, loin du véritable sujet. J’aurais pu m’en contenter, personne ne s’en serait aperçu. Mais il a fallu que je mette les pieds dans le plat en l’appelant « ode à la gale », comme je le fais maintenant en te racontant de quoi ça parle alors que j’aurais pu t’enfumer. C’est idiot non ?
Mais bon, du coup, j’invente un nouveau style, la Medical Pop.
Tout ça en vain, puisqu’au final, en plus, je l’ai jamais attrapée.
Pourrais tu définir ce disque en un seul mot ? Si oui, lequel ?
Yann Tambour : S’il y a bien un truc qui me caractérise, c’est de ne rien savoir résumer en un mot.
Comment as-tu rencontré Eloïse Decazes d’Arlt ?
Yann Tambour : J’ai rencontré Eloïse et Sing Sing à Lille en 2009, je crois. J’étais venu voir Arlt en concert en appart chez un ami sans grande conviction, en ayant écouté 35 secondes en ligne et en décidant que c’était pas pour moi. Hé ben j’ai pris une sacrée tarte à ce concert, dis. Ils m’ont bluffé. Je suis tombé sous le charme et me suis plongé dans les disques par la suite. Je pense toujours que l’on peut échapper à Arlt en y jetant une oreille trop distraite, et encourage quiconque l’aura eu aussi flemmarde que moi à réitérer. Ce sont depuis devenu des amis, et on a pas mal partagé la scène par la suite. J’ai aussi énormément aimé le disque d’Eloïse avec Eric Chenaux qui a été un de mes disques de chevets et qu’elle m’avait filé en version démo avant sa sortie. Je voulais collaborer avec elle depuis un moment et parallèlement rééquilibrer le rapport Anglais/Français sur le disque. J’ai concilié ces deux envies sur les deux morceaux qu’elle chante avec moi.
Pourquoi finir le disque sur Unusual Ways ?
Yann Tambour : La version vinyle finit sur Dakar. Unusual Ways, c’est le morceau le plus gonflé de l’album je pense, et je ne pense pas me tromper en me disant qu’il peut diviser davantage que le reste. Pour ma part, j’en suis assez content, mais je ne suis pas sadique non-plus, le placer à la fin le rend plus optionnel, dirons-nous.
Il y a une certaine mélancolie sur ce disque… Mais une mélancolie à l’ancienne qui me projette dans des disques des années 90. Quels sont tes disques préférés de cette période ?
Yann Tambour : C’est drôle que tu parles de ça. Car le morceau A qui dois-tu montrer les dents ? illustre bien ce que tu dis. Beaucoup de gens qui connaissent Encre l’identifient comme une revisite du morceau Foehn sorti en 2001. En fait, ce dernier était un nouvel arrangement d’un morceau que j’avais écrit et mis sur une démo en 1996 ou 1997. Cet arrangement original est celui que je me suis enfin décidé à sortir 20 ans après, et ce qui est sur le disque est à peu de choses près le même arrangement que celui de l’époque, claviers mis à part. J’ai également réécrit les textes, d’une part à cause de certaines maladresses de plume lorsque j’avais 19 ans et aussi parce-que je voulais cadrer davantage avec le reste de l’album, aborder autre chose, regarder plus vers l’extérieur, ce que l’on sait sans doute moins faire à ces âges-là. Ton impression vient peut-être de là. En tout cas, une bonne partie de ma culture (indé en tout cas) vient de cette période. Le début/milieu des 90s. C’est le moment où j’ai commencé à écouter des choses plus en marge.
Mes disques préférés de cette époque, voyons… Je dirais The Natural Bridge des Silver Jews. Beautiful Rat Sunset des Moutain Goats. Days in the Wake de Palace Brothers, The Doctor Came at Dawn de Smog, Live Seeds de Nick Cave, le premier Tindersticks et le premier Swell. Ce sont des albums qui m’ont beaucoup marqué. Tu peux aussi y ajouter les premiers Dominique A. L’indé des années 90 est clairement la base de ma culture musicale. Je suis passé par beaucoup d’autres cases par la suite.
Luxe de Stranded Horse est disponible et est publié par le label Talitres.
Stranded Horse sera en concert les :
- 11/02/16 : Paris (Le 104)
- 09/03/16 : Lausanne (Romandie)
- 11/03/16 : Marseille (L’Eolienne)
- 13/03/16 : Rennes (L’Antipode (Instant Thé))
- 26/03/16 : Caen (Le Cargö)
- 31/03/16 : Joué-Lès-Tours (Le Temps Machine)
- Monde
- A Faint Light
- Ode to Scabbies
- Refondre les hémisphères
- My Name Is Carnival
- Sharp Tongues
- A qui dois-tu montrer les dents ?
- Dakar
- Unusual Ways
Stranded Horse - Luxe