En 3 ans Tinals est devenu incontournable pour ceux qui aiment la musique indé, placé idéalement entre le Primavera à Barcelone et We Love Green à Paris. Comment définis-tu l’ADN du festival ?
C’est un festival qui à partir de tout ce qui est culture et musique indépendante s’interroge sur la place des artistes et des publics dans les festivals. Ce qui nous intéresse, ce sont tous les groupes qui se sont autoproduits, organisés eux mêmes, qui sont nés de cette scène où quand tu n’avais pas une couverture par une presse spécialisée et bien tu montais ton fanzine, quand tu ne réussissais pas à signer sur une major et bien tu faisais ton disque tant bien que mal. Et à partir de ce constat et des musiques que l’on écoute, on s’est posé la question, c’est quoi un festival aujourd’hui et surtout qu’est ce qui fait que nous, on a envie d’aller dans un festival. Et à force d’aller sur des événements de type anglo-saxons du type South by Southwest, on s’est rendu compte que la culture et le public anglo-saxon non seulement vont voir des groupes, mais ceux-ci ne sont souvent que des prétextes à vivre une expérience collective et unique. C’est ce que l’on essaye de faire en ne proposant pas que des scènes mais aussi des ateliers de création, d’animations ludiques où les gens vont pouvoir participer, échanger, construire des choses ensembles mais ne vont pas être dans la posture unique de spectateur consommateur comme on peut l’avoir dans beaucoup d’événements dans nos sociétés de plus en plus libérale. On veut casser les barrières entre le public et les artistes et nous essayons de recréer un moment où les gens vont pouvoir se voir, se rencontrer et faire.
Discographies
Air ★ Declan McKenna ★ Dinosaur Jr. ★ Foals ★ Lush ★ OMOH ★ Shellac ★ Tortoise ★ Ty Segall ★ UnsaneQuel est le public visé ? la région, au delà de la région ? Vous êtes passé de 4000 à 12000 spectateurs avec une scène extérieure et un village. Quel est votre objectif en terme de public ?
Alors la dimension du festival ne s’est jamais voulue importante. On a monté ce festival principalement avec des gens qui fréquentaient des gros événements comme le Primavera de Barcelone et qui à un moment donné ne s’y retrouvaient plus, non pas par la programmation, mais par la dimension de ces événements. Voir un groupe sur un écran pour voir les grimaces d’un artiste ne correspondait plus à certaines attentes comme de galérer à faire la queue pour passer d’une scène à l’autre. Donc l’idée, c’était de monter un festival à taille humaine, simple, sans prétention, où l’on puisse voir des artistes que l’on connait un peu, mais surtout faire de vraies découvertes, voir des groupes que l’on a pas forcément l’occasion de voir tous les jours, souvent même que l’on n’a jamais vu. En outre, on souhait aussi des tarifs très raisonnables pour toucher bien sûr un public ciblé mais aussi un public plus large et si les gens ne connaissent que 2 ou 3 groupes dans la soirée, ce n’est pas grave. L’essentiel c’est de passer un bon moment et qu’à cette occasion, le public puisse découvrir ce que nous on considère comme les artistes du moment, ceux qui nous font kiffer et ceux que l’on a envie de voir sur scène. Donc on touche un public un peu de niche, spécialisé, mais qui n’a pas forcément l’occasion de voir ces groupes car quand ils tournent, ils ne font souvent que très peu de villes et qu’ici on peut les montrer dans des conditions un peu plus confortables. Et puis on a un rayonnement assez large avec un bassin de population qui vient du sud de la France mais aussi des gens qui se déplacent des agglomérations environnantes, Lyon, Marseille, Toulouse. Mais cela va bien au delà puisqu’on a aussi des gens de Paris, de Nantes, des belges, des suisses et même cette année des islandais.
Vous disposez d’un bel outil avec Paloma qui a cinq ans, y-a-t-il des liens entre votre programmation annuelle et celle du festival, des gens qui viennent durant l’année et qui par ricochet vont découvrir le festival ?
Bien sûr et dès le début du festival, on a lancé des rendez-vous This Is Not tous les mois avec des plateaux de 3 groupes, international, national et un grand sud, avec une tarification la plus basse possible, et des places uniques à 6 euros. Et l’idée c’était de faire venir les groupes indé, pop, rock, folk, que l’on voit davantage dans le nord alors qu’ici, le sud c’était plus musique du monde ou les musiques électroniques. Les tournées passaient rarement dans le sud, s’arrêtaient à Lyon ou Clermont, on a vraiment voulu changer cela, et créer une dynamique en allant chercher un public durant ces cinq ans. Et aujourd’hui ces soirées font le plein du club quasi systématiquement.
Chocolat - Tss Tss
Et votre club est juste magnifique, beaucoup de villes souhaiteraient posséder ne serait-ce qu’une salle comme votre club…
C’est clair que l’on a la chance d’avoir un des équipements les plus récents de France avec le Stéréolux à Nantes, le 106 à Rouen, ou La Belle Electrique à Grenoble. On a pu suivre toute la phase de réalisation durant les travaux et on a pu aménager beaucoup d’espaces en fonction de ce que l’on voulait en faire, le patio par exemple qui est le coeur de notre salle, et puis on a pu avoir des équipements techniques au top. On a bataillé au tout début pour attirer les tournées des artistes internationaux parce que ce n’est pas parce que Paloma est arrivée qu’un artiste qui ne fait que 5 ou 6 dates en France en fasse une de plus, donc on a un peu guerroyé. Mais on a eu une chance que l’on n’a pas maîtrisé au début, c’est que dans la tête notamment des agents anglais, Nîmes existait sur le chemin des tournées européennes grâce aux Arènes. Beaucoup d’artistes comme Radiohead et autres avaient déjà joué dans la région. Donc pour les agents étrangers, ce n’était pas une petite ville parmi d’autres. Et cela nous a permis de lutter contre les métropoles régionales alors que l’on est une petite ville, mais bien positionnée avec les arènes et en position de carrefour, pas loin de Lyon à deux heures, Montpellier et ses étudiants à 35 minutes, Avignon et Marseille à une heure. En plus, on est en périphérie de la ville et donc très accessible. Et quand on a programmé des groupes un peu rares, les gens ont commencé à venir d’assez loin.
Et au fait, pourquoi ce nom de festival pour ceux qui vous découvrent ?
This is not a love song est un festival que l’on a voulu un peu Rock & Roll, même si on est sur des esthétiques pop folk, on cherchait un nom qui prendrait un peu cela à contre pied, on a balancé plein de noms, dont celui-ci qui est un morceau de PIL que l’on trouvait plutôt chouette car il y a Love dedans et qui correspondait à l’image que l’on voulait donner au festival, plein de fleurs, beaucoup d’amour, de rencontres, et l’on décline plein de jeux à partir de cette notion de ‘love’, même si on peut s’en éloigner avec certains genres musicaux plus extrêmes en allant vers des courants garage punk, noise et autres.
Et ce n’est pas difficile, un nom à rallonge comme le votre en terme de communication sur les affiches, les flyers ?
Alors on ne s’est pas posé la question. On ne voulait pas un nom avec Rock dedans comme beaucoup de festivals. On a ‘song’ quand même qui donne le thème. Non, ce n’est pas dur, on en a parlé avec des amis québécois qui nous disaient qu’ils n’oseraient jamais un nom pareil ! Ils ont rigolé en découvrant le nom, en disant qu’il n’y avait que des français pour sortir un truc pareil ! parce qu’ils sont souvent sur une dimension francophone. Et puis on a notre acronyme, TINALS, on s’est posé la question est-ce que cette compression n’allait pas au fil du temps devenir le nom au final. Et comme quand même notre nom a du sens, les gens utilisent les deux comme pour South by Southwest et SXSW.
Cette année c’est la quatrième édition, quelles nouveautés pour le village ?
Alors le festival a grossi un petit peu car il y a eu de belles opportunités et on a craqué sur des Foals et des Air entre autres mais on voulait garder cette dimension avec une cinquantaine d’artistes ce qui est plutôt dense par rapport à un festival de cette dimension. L’an dernier on avait trois scènes plus une mini scène en après midi pour des artistes de la région sud mais on s’est dit que ce n’était pas terrible et on a mélangé ces artistes avec l’ensemble de la programmation sans faire de distinctions en fonction de l’origine géographique. Mais on avait aussi envie d’avoir des sets un peu plus longs. Alors on a un peu modifié les scènes, l’an dernier la scène extérieure était le pendant de la scène principale de la grande salle dans une forme de ping pong, cette année la scène extérieure devient la scène principale et on a rajouté une autre scène extérieure qui est pile poile entre la scène du club et la grande salle avec une capacité d’environ mille spectateurs. On a donc deux gros espaces sur l’extérieure. Dans le village on a développé des ateliers supplémentaires en plus des speed meeting qui mélangent artistes, professionnels et public. On a développé un truc rigolo, des mariages à la Las Vegas avec un faux Elvis, les gens font pouvoir se marier entre potes, faux ou vrais couples avec des attestations de mariages ! On organise aussi pour les enfants une chasse au trésor. Les flamands roses seront encore de la partie. La révolution est vraiment dans la dimension des scènes et l’équipement scénique. On a vraiment boosté la qualité sonore même si l’on veut garder ce côté très frais, très ouvert sur l’extérieur, notamment sans fond de scène, pour voir le paysage en fond, ouvert sur la nature avec les couchers de soleil. Et puis il y plein d’espaces que l’on avait pas forcément les années précédentes, des espaces de rafraîchissement, où les gens vont pouvoir trouver un peu d’ombre, jouer avec des jeux d’eau, des transats, un peu plus de foodtrucks pour minimiser les attentes pour manger, et vraiment être dans un esprit de détente et de nature.
Nots – Reactor
Le nom de l’artiste ou groupe dont tu es le plus fier dans cette programmation 2016 ?
Alors ça c’est le piège, car on est content pour plein d’artistes. Bien sûr Air est précieux et rare, trois dates en France, mais je suis très content d’avoir Chocolat, un groupe canadien plus petit, assez rock & roll, très sympa, mais aussi des jeunes français comme Bon Voyage Organisation qui ont fait leur résidence de création chez nous mais aussi des groupes un peu plus énervés comme Unsane ou Nots.
Bon Voyage Organisation – Love Soup
Et puis vous avez toujours réussi à exhumer des groupes qui se reforment comme The Breeders, Slowdive, ce coup-ci c’est Lush.
C’est aussi ça l’identité du festival, on essaye d’avoir autant de groupes qui ont une histoire, qui ont marqué cette culture indé que de jeunes groupes, un équilibre entre de la découverte, des artistes récents (même si on n’a pas la prétention d’être un festival de découverte) comme Declan McKenna qui est la coqueluche du moment en pop anglaise, mais aussi des artistes que l’on a plaisir à revoir, Dinosaur Jr. ou Ty Segall qui sont déjà venus mais qui viennent dans un esprit de famille. On a un truc que l’on avait pas forcément mesuré au départ, des groupes nous appellent pour avoir leurs loges côte à côte, ils sont contents de se retrouver avec des groupes avec qui ils sont plutôt proches et il est rare de se retrouver dans un festival ou alors c’est un gros truc comme le Primavera avec des enjeux autres et du stress qui font qu’ils ne sont pas détendus de la même manière. Nous on est un festival entre potes à taille humaine et les groupes se sentent dans cet esprit là. Il n’y a pas de bar VIP, d’espace VIP, on pousse les groupes à aller dans le patio, les groupes ne restent pas enfermés dans leurs loges, ils vont voir les sets d’autres groupes et quelque fois nous demandent de décaler leur propre set pour aller voir les copains sur scène. Cela montre un vrai investissement par rapport à notre travail.
Declan McKenna – Paracetamol
Et puis j’ai lu que Calexico lors de son passage cette année louait votre accueil, la salle, la « meilleure de France ». Les groupes doivent en parler entre eux.
Les groupes en parlent entre eux et c’est pour ça que c’est plus facile de les convaincre de venir à Paloma même si bien sûr il y a des considérations financières qui entrent en jeu. En tout cas, on le sent et dans le cadre du festival et à l’année, les groupes demandent à leurs agents de passer par chez nous et l’on devient un lieu référence pour être moins dans l’électronique et le clubbing que l’on n’a pas encore trop développé. Et vraiment le message qui est passé entre les groupes, c’est que TINALS est un festival sans prétention, donc il n’y a pas trop de bagarre sur des déballages techniques de malade et du coup cela reste assez humble, on n’a pas une armada de tours bus et de semi remorques qu’utilisent pourtant ces groupes d’habitude dans d’autres événements.
Tu aurais un rêve de programmateur, le kiffe ultime ?
Question là encore difficile, mais peut être Morissey même si c’est un mec difficile, mais en fait je crois que cela dénaturerait le festival, une partie du public ne viendrait que pour lui, et l’on se serait pas dans cette simplicité technique. Bon, il ne faut jamais dire jamais car artistiquement je serais très heureux. Mais avec TINALS on est plutôt sur des coups de coeur et que l’on prend autant de plaisir à caler un Tortoise qu’un Shellac et puis on a aussi des potes qu’on aime bien, je pense à OMOH qui est un groupe que l’on soutient, et c’est tout aussi excitant que d’avoir un nom.
Tortoise – Yonder Blue
Vous allez continuer comme l’an dernier les sessions acoustiques ?
Oui, on va le faire, on a des captations live avec Culturebox pour les concerts et puis on fait des sessions dans la White Box avec des formes plus acoustiques et des interviews. Peut être un peu moins cette année pour des raisons de budget.
En parlant de budget, que penses-tu de l’arrêt du magazine Magic qui défendait une esthétique proche de TINALS ?
C’est triste mais cela suit l’évolution du disque je pense, même s’il y a un petit retour du vinyle. Tout cela est cyclique. On revient peut être au côté précieux de l’objet. Mais là avec le net, les médias traditionnels ont du mal à exister parce que le public va chercher l’info ailleurs et notamment sur des blogs musicaux comme le votre. Et puis peut être, plus tu essayes d’être singulier aujourd’hui, magazine ou festival (quand tu vois les artistes qui trustent les festivals), plus ton existence est précaire. Evidemment cela serait plus facile pour nous de prendre les artistes qui sont un peu plus grand public sauf que nous, quand on s’est posé la question de faire un festival, on a décidé de ne pas faire un festival pour faire un festival, on le fait parce que l’on a envie de faire le festival que l’on a envie de vivre en tant que public et de programmer des groupes que l’on ne peut pas programmer de manière isolée dans l’année, du fait d’un public de niche et éloigné. Et donc de concentrer ces groupes sur un festival permet au public de venir de plus loin. Et si demain, il fallait changer cela et partir à la course à la tête d’affiche, on préférait arrêter. Et si l’année prochaine il faut revenir à une formule plus modeste, ce n’est pas un problème, on n’est pas dans une logique de remplissage même si bien sûr il faut un équilibre financier. 16000 ou 12000 spectateurs ce n’est pas le problème, c’est surtout ce que l’on défend. Et il faut comprendre que TINALS vivote, si les tarifs sont aussi bas c’est qu’il n’y a pas de salariés, on se repose sur Paloma et l’on ne pourrait pas tenir s’il on devait payer des gens. On a un travail à l’année qui est Paloma et c’est grâce à ses forces vives à l’association Come On People et aux bénévoles que l’on peut fonctionner et rester très accessible.
Vous subissez aussi l’inflation des cachets ?
Oui, bien sûr, et c’est pour cela que l’on ne fera pas la course à la course sur les prochaines éditions. Bien sûr qu’un Foals ou un Air ne sont pas au même tarif qu’un Caribou, d’un The Divine Comedy, ou d’un Interpol. Et puis on a eu des groupes qui n’étaient pas encore trop connu comme Jungle et que l’on pourra peut être refaire plus facilement malgré leur notoriété parce qu’ils ont déjà joué chez nous. Et c’est vrai qu’on n’a pas fait certains groupes dont on avait pourtant envie car on trouvait les cachets démesurés par rapport à leur notoriété et à leur capacité d’attirer un public.
Battles – The Yabba
Alors peut être pour terminer car quand j’avais préparé mes questions Prince venait de nous quitter, est-ce que tu as un ou des titres préférés de Prince ?
Oh, j’ai beaucoup beaucoup beaucoup de titres marquants. Pas facile… alors plutôt un album, Parade est sans doute un de ceux que j’ai le plus écouté.
Et un groupe de ta région que tu défends particulièrement ?
Alors OMOH dont on a déjà parlé et puis dans un autre genre, My Great Blue Cadillac.
My Great Blue Cadillac – Wasting My Time
Le festival This Is Not A Love Song aura lieu du 3 au 5 juin à Paloma à Nîmes : thisisnotalovesong.fr
La playlist indispensable avant de s’immerger dans le festival :
THIS IS NOT A LOVE SONG 2016