Pourquoi avoir attendu si longtemps pour un nouvel album studio?
Graham : Ca nous a pris du temps. En fait, on n’est pas dans le même continuum espace-temps. Ce qui vous paraît comme 10 minutes sont 10 ans pour vous. Il y a 10 ans, on a fait Wonderful ; et y’a peut-être 5 ans on a fait un album de reprises, The Dangermen. On avait envie de faire un nouvel album, mais…
Discographie
MadnessLee : C’était pas le moment… on avait un paquet de chanson, mais on attendait le bon moment. On avait besoin de tous être ensemble, on bossait tous sur des projets parallèles… C’est une combinaison de différentes petites choses. On a trouvé cet entrepôt d’épices, dans le style années 60, qui était parfait pour se retrouver
Graham : Ca a été comme un déclic : on a trouvé ce bâtiment qui allait être détruit ; et pendant trois mois, on y allait pratiquement tous les jours. On s’est retrouvés avec 35 à 40 chansons. Alors que normalement, il en faut pas plus de 15 pour un album. On a pris le temps d’écouter les suggestions de toute le monde, et on s’est bien éclatés.
Lee : On avait six versions de “Dust Devil”, la version Bob Dylan, la version T-Rex ou Johnny Cash [Il commence à chanter avant d’exploser de rire]
Graham : La différence c’est qu’on a décidé de faire cet album sans l’aide d’une maison de disque, donc on avait pas de pressions, on avait tout le temps qu’on voulait.
[Il commande un verre de vin : « Où est le reste de la bouteille ? Je préfère avoir une bouteille pleine en face de moi !]
Quelle a été votre motivation pour retourner en studio?
Graham : Cette année marque le 30e anniversaire de notre premier album ; on s’est dit que ça pouvait être le signe d’une belle année pour Madness. En fait, on était sensés enregistrer cet album l’année dernière, mais on l’a pas fini à temps. Et puis pour les trente ans, on s’est dit que ce serait l’occasion de rassembler tout le monde. C’est pas facile de réunir les sept membres dans un seul endroit. Mais là, on a demandé à ce que tout le monde s’accorde à donner l’année 2009 uniquement à Madness, et d’oublier le reste. On voulait voir si on pouvait redonner un souffle au groupe, retrouver la passion.
Avez-vous réussi à retrouver cette passion ?
Graham : Absolument. Le nouvel album s’est avéré être meilleur que je ne l’aurai espéré. Cet album n’a pas été fait pour une audience ou un marché, on l’a fait pour nous. On a même joué au festival de Glastonbury en Angleterre et à Rock en Seine ici. On a eu de beaux moments musicaux, des moments importants pour nous… Donc oui, c’était une super année, vraiment génial.
Vous n’avez pourtant jamais arrêté de faire des concerts dans les années 90.
Graham : Rien à voir, on faisait 10 concerts au plus par an, alors que là on en a fait 50 ou 60. C’est la première fois qu’on partait tous ensemble pendant plus de 10 jours d’affilée. C’était une sorte de test pour savoir si on pouvait… ne serait-ce qu’être dans la même pièce, sans s’entretuer. Et, pour la plupart du temps, on s’est bien marrés.
Je pense que c’est parce qu’on est fiers de ce nouvel album ; ça change la perception de notre propre position dans le monde. Si c’est juste pour faire un concert de best-of, c’est facile de s’ennuyer, comme si on se vidait de toute vie.
Vous êtes partis dans plein de directions différentes pendant un moment avec The Madness, The Dangermen, Nutty Boys… quels enseignements avez-vous rapporté à Madness ?
Graham : C’est un peu comme l’histoire de la montagne qu’on regarde quand on est enfant. Quand on grandit, on escalade la montagne et on voit la neige au sommet. Et quand on vieillit, on se recule pour mieux la voir, et là on la regarde à nouveau comme quand on était enfant : on a enregistré tous les informations, mais c’est là qu’on réalise que le plus important c’est l’expérience de la première fois … être capable de s’émerveiller.
En quelque sorte, pour cet album, on a pas mal tourné…Et quand on s’est tous retrouvés, on a essayé de faire un album qui nous ferait sentir comme pour notre premier album – essayer de se souvenir pourquoi on voulait faire des albums : la joie de se retrouver dans une même pièce à jouer tous ensemble et écrire des chansons.
Il y a 30 ans, vous avez composé un hymne. Vous pensez avoir gardé l’esprit de One Step Beyond ?
Graham : Oui, je pense qu’on a réussit à garder l’esprit. Ce que je préfère avec One Step Beyond, c’est qu’on avait 18 ans et qu’on faisait un album pour la première fois. C’est quelque chose qu’on ne pourra jamais recréer, parce qu’on est vieux maintenant. On pourra recréer ce qu’on a ressenti, mais pas la naïveté : par exemple, on jouait un peu faux sur certains morceaux. Si on essayait de refaire One Step Beyond maintenant, ce serait une grave erreur.
Lee : A cette époque, on connaissait rien genre “C’est à ça que ça ressemble un saxophone ? » Mais j’essaie d’imaginer quel effet ça ferait d’essayer de jouer The Liberty of Norton Folgate il y a 30 ans…
Graham : On aurait jamais été capable de jouer The Liberty of Norton Folgate… On aurait abandonné après quelques mesures, genre « oh non ! les accords ont encore changé !! »
Madness – The Liberty Of Norton Folgate (Moodboard)
Pourquoi avoir composé une Ouverture à votre album ?
Graham : C’est parce qu’on voulait faire un spectacle dans un théâtre. On devait finir l’album l’année dernière, et pour l’occasion, on avait préparé un lancement d’album. On avait trouvé un théâtre génial, le Hackney Empire, qui est un très vieux théâtre, ce qui concordait avec certains de nos thèmes qui se réfèrent à un Londres ancien. On avait même Julien Temple – celui qui a fait le film sur les Sex Pistols et celui sur les Clash – pour nous filmer.
Lee : Malheureusement, on avait pas fini l’album. En gros, on avait un super lancement d’album… sans album !
Graham : Du Madness tout craché! On avait préparé le concert en différents actes, comme pour une pièce de théâtre : avec un entracte, une ouverture de rideaux et tout et tout. Donc on s’était dit que ce serait sympa de commencer le show par une Ouverture, comme pour un opéra. On a prévenu à l’avance : la première partie on jouait le nouvel album et la deuxième partie, les anciens morceaux. C’était pour pas être interrompus constamment par des impatients pour demander telle ou telle chanson.
Lee : Vous restez à vos places et vous écoutez maintenant! On les aurait attachés si on avait pu ! (rires) Ta gueule, écoute et danse !! (rires)
Vous parlez beaucoup de Londres, vous semblez fiers d’habiter à Londres.
Graham : Non, c’est juste là où on habite, ou là où on a habité pour la plus grande partie de nos vies. On est pas particulièrement fiers de cette ville, on fait plutôt des observations… Londres peut aussi être un endroit horrible. Dans The Liberty of Norton Folgare, je voulais écrire une chanson un peu sur l’histoire de la ville, pour avoir une perspective globale : il y a 100 ou 200 ans, les conditions de vie étaient épouvantables. Néanmoins, Londres reste une ville intéressante : c’est la plus grande métropole du monde en termes de cultures différentes représentés. Après Paris au XIXe siècle, puis New-York au XXe siècle, le XXIe siècle, c’est Londres. Le plus grand laboratoire d’immigration et d’assimilation que le monde ait jamais vu ! Peut-être en comprenant un peu mieux notre passé, on arrivera à comprendre ce nouveau future pour l’appréhender avec plus de sérénité.
Dans la chanson We Are London, vous demandez “Can we make it together”, pensez vous que les différentes ethnies peuvent cohabiter « as one big family » ?
Graham : C’est toujours la question, personne ne sait vraiment. Personnellement, je pense que si on y croit, ça a plus de chances de marcher – sans pour autant être aveuglément optimiste. Il y a beaucoup de choses qui ne vont pas, mais si tout le monde se plaint et agit de manière pessimiste… Je ne suis pas non plus un hippy qui annonce qu’on s’aime tous, on a tous eu nos moments de terreur et de douleur… et sûrement d’autres sont à venir. C’est en partie ce que Madness essaie d’être : réaliste avant tout, mais en gardant un esprit positif.
D’où vous vient cette fascination pour Norton Folgate?
Graham : On lisait un livre qui traitait des états indépendants, et des quartiers de Londres où l’on pouvait s’échapper. Le quartier de Norton Folgate est resté indépendant jusqu’en 1908, ce qui est remarquable. Il ne reste bien sûr aucune trace, toutes les archives ont suivi les évadés, et on en a jamais plus entendu parler. Mais de penser qu’un endroit comme ça existe… un endroit où s’évader et vivre comme des hors-la-loi. Je m’étais dit que si un endroit comme celui là existait encore…ce serait exactement l’endroit où Madness vivrait aujourd’hui.