La parution de ces trois disques ont plusieurs qualités.
Tout d’abord, elles sont un trait d’union entre toutes les tribus du rock. Et elles sont nombreuses. Grâce à ces objets, les fans d’Elvis Perkins vont croiser le chemin des gens de Tunng et de Powerdove.
Deuxièmement, ces Label Pop Sessions sont un excellent prétexte pour retourner écouter nos Peel Sessions ou nos MTV Unplugged. Ces objets sont de vraies petites madeleines de Proust. On se rappelle ainsi de la récréation du matin au lycée Pierre & Marie Curie, sacro-saint lieu où les fans d’Oasis côtoyaient les fans orphelins de Nirvana. Le seul point commun entre tous ces adolescents des nineties (si ce n’est le cours infâme de mathématiques du mardi matin) : les MTV Unplugged. Nirvana avait sublimé le sien, Oasis foiré son atterrissage aux États-Unis.
On retrouve ce même amour avec les Label Pop Sessions. Le label Microcultures s’apprête donc à publier les sessions des néo-hippies zinzins de Tunng, du très folk Elvis Perkins et des bruyants et efficaces Powerdove.
Il fallait pour saisir l’essence même de ces objets très spécifiques réunir l’équipe qui a permis leur naissance.
Rencontre donc avec le triumvirat de cette sortie : Vincent Théval, Jean-Charles Dufeu et Pascal Blua.
https://soundcloud.com/microcultures/sets/label-pop-session
Vincent Théval
Vincent Théval était le producteur et le présentateur de Label Pop. Il est aujourd’hui rédacteur en chef du journal Magic.
Comment as-tu eu l’idée de publier certaines sessions en format cd ?
Vincent Théval : C’est une idée qui me tient à cœur depuis longtemps, avant même l’existence de Label Pop, pour tout dire. J’ai toujours eu en tête le modèle de la BBC, qui a une politique très dynamique d’édition de ses sessions, notamment les Peel Sessions. A leur échelle, c’est à la fois un investissement très fort dans la vie musicale contemporaine et – dans un deuxième temps – la mise en valeur d’un patrimoine inestimable. Quand j’ai commencé à inviter des artistes en session dans Label Pop, j’ai tout de suite essayé de suivre ce modèle. Très vite, la session de The Apartments a été une occasion en or : une collection de classiques interprétés dans des versions complètement inédites, enregistrés dans le confort d’un studio de Radio France, par un artiste qui s’était complètement retiré pendant plus de dix ans. Tout était réuni pour une belle sortie, un petit événement discographique. Je l’ai proposé au label Talitres, qui a tout de suite été enthousiaste et a publié le 33t pour l’édition 2013 du Disquaire Day. Il y a eu d’autres tentatives après mais c’est quelque chose qui demande du temps et de l’énergie et elles n’ont pas pu aboutir tout de suite.
Pourquoi avoir choisi Perkins, Powerdove et Tunng ?
Vincent Théval : L’idée est d’entamer une collection. Il fallait bien commencer quelque part. Le choix d’Elvis Perkins, Powerdove et Tunng est à la fois un choix artistique (ces sessions me tiennent particulièrement à cœur) et “pragmatique” : j’ai des liens privilégiés avec ces artistes ou leurs labels et il était facile de travailler avec eux. Et puis j’aimais bien l’idée de couvrir des choses assez différentes : une session dans un registre plutôt folk (Elvis Perkins), une plus pop (Tunng, dans une formule acoustique inédite pour eux) et une autre plus abrupte et expérimentale (Powerdove, qui avait joué en direct, contrairement aux deux autres). Mais nous avons contacté d’autres artistes et labels, qui ont déjà donné leur accord de principe pour l’édition d’autres sessions.
Cet objet, c’est à dire un disque de « radio session », me fait évidemment penser aux cassettes des Black Sessions qu’on s’échangeait au lycée dans les années 90 ou aux mp3 des Peel Sessions glanés sur la toile. Ces trois disques ne sont-ils pas un rêve de gosse/d’ado de Vincent Théval ?
Vincent Théval : On pourrait dire ça, oui. Il y a quelque chose de magique dans une session radio : l’atmosphère du studio, la concentration, un côté hors du temps. On le perçoit bien quand on est de l’autre côté du poste. Et pour moi, c’est toujours un moment privilégié : je suis quasiment seul avec les artistes, je les vois travailler, j’échange avec eux. C’est une relation très différente de celle qu’on peut établir lors d’une simple interview.
Je reviens sur les choix que tu as opérés. Pourquoi publier Powerdove ? Et pourquoi, surtout, ne pas publier la Label Session de Lloyd Cole ou de Wild Beast ? Est-ce qu’une partie de tes choix a été guidée par la politique des labels des artistes ? J’imagine que tu as dû te rapprocher des maisons de disque pour obtenir les droits…
Vincent Théval :Le choix des sessions que nous souhaitons publier n’est pas guidé par la politique des labels ou des artistes. Nous leur proposons et ils acceptent le principe ou pas. Ensuite il faut effectivement s’entendre sur des aspects contractuels… C’est – entre autres nombreuses choses – le travail de Jean-Charles Dufeu, avec qui je discute également du choix des sessions. Je tenais à Powerdove parce que je trouve cette session complètement folle et qu’elle représente l’une des facettes de ce que j’ai voulu faire pendant quatre ans : proposer de la musique qu’on entend pas ailleurs, parfois un peu plus ardue. Je suis très fier par exemple, d’avoir fait jouer des artistes comme Glenn Jones ou Eric Chenaux. On ne peut pas dire qu’on les entende beaucoup à la radio. Pour ce qui est de Lloyd Cole, je lui ai proposé et il s’est montré très enthousiaste à l’idée de publier sa session. Il est même allé plus loin en proposant un projet magnifique qui n’a – hélas – pas pu voir le jour pour l’instant. Mais je ne désespère pas. Nous ne sommes pas limités dans le temps : si ces trois premières sorties fonctionnent, il y en aura (beaucoup) d’autres. Pourquoi pas Wild Beasts.
Tu peux nous raconter le moment que tu retiens pour chaque Label Session ? Quels sont tes meilleurs souvenirs liés à ces sessions ?
Vincent Théval : Pour moi, la plus émouvante de ces trois sessions, c’est celle de Tunng. D’abord parce qu’elle est très belle et que c’est un groupe qui me tient particulièrement à cœur. Et puis parce que c’est la première fois que j’enregistrais une session au studio 105 pour Label Pop, mythique studio où se déroulait la plupart des black sessions de Bernard Lenoir, que j’ai beaucoup fréquenté en tant qu’auditeur. Celle de Powerdove m’a beaucoup impressionné par son énergie, la classe et l’assurance des trois musiciens, notamment Thomas Bonvalet qui produit des sons incroyable avec des instruments qui ne le sont pas moins. Quant à la session d’Elvis Perkins, c’est l’une de mes préférées de ces quatre années. J’ai beaucoup de respect et d’amitié pour lui. C’est l’une de ces sessions où j’ai redécouvert des titres que je connaissais pourtant par cœur, comme The Passage of The Black Gene, avec ce moment en apesanteur – aux deux tiers de la chanson – où Elvis joue d’une flûte gigantesque sur fond d’harmonium.
Pourquoi avoir choisi le label Microcultures pour cette collection ?
Vincent Théval : Nous nous sommes retrouvés sur l’idée de publier les sessions. Jean-Charles me l’a spontanément proposé. Il n’a donc jamais été question de le faire avec un autre label. Ce qui tombe bien puisque Microcultures est l’un de mes labels préférés, pour la qualité sans faille de ses choix. J’ai découvert des groupes comme Oddfellows Casino ou Phantom Buffalo.
Ce n’était pas plus simple de publier une compilation ? Un morceau, un artiste.
Vincent Théval : Ah oui, ça aurait été plus simple mais moins intéressant ! Le format classique des sessions Label Pop était de six chansons, ce qui n’est pas très courant (et a été rendu possible grâce à la liberté et la confiance que m’accordait France Musique) et donne du temps aux artistes pour développer quelque chose de cohérent sur la “longueur”. Donc ça me semblait plutôt bien de conserver cette spécificité pour un disque. Et même de la prolonger avec un travail visuel très fort et très beau, assuré par Pascal Blua. Après, il n’est pas du tout exclu de publier une compilation plus tard. Je sais – parce que le cas s’est déjà présenté – que certains artistes ou labels ne souhaiteront pas publier leur session in extenso mais seront d’accord pour qu’un titre apparaisse sur une compilation.
Jean-Charles Dufeu
Jean-Charles Dufeu est à la tête du label Microcultures.
Comment as-tu accueilli ce projet ?
Jean-Charles Dufeu : Vincent m’a parlé de ce projet il y a très longtemps, dans une galaxie très lointaine (sans doute le 12ème arrondissement de Paris). A l’époque, j’ai tout de suite été très enthousiaste… parce que je me disais que ça ne se ferait pas avant plusieurs années. Finalement, les années ont passé. Et de vague idée de coin de table, le projet s’est transformé en quelque chose de très concret. L’enthousiasme de départ n’a évidemment pas disparu, mais il s’est lui aussi transformé en un élan plus opérationnel pour réaliser les choses pour de vrai. Ça tombe bien, c’est la partie de ce métier que j’aime le plus. J’aimais bien l’idée que Microcultures soit la cheville ouvrière d’un projet de la sorte, très simple sur le principe (on édite des CD), mais suffisamment complexe en pratique pour qu’il y ait un petit défi opérationnel, en plus des motivations intrinsèques au projet.
Nous sommes en 2016, Microcultures est un label indépendant et vous vous payez le luxe de sortir 3 disques le même jour. De surcroît 3 « lives » sans bonus et autres morceaux « inédits ». Ce n’est pas « casse-gueule » du point de vue économique ce projet ?
Jean-Charles Dufeu : D’un point de vue économique, c’est un projet un petit peu tendu en effet. Ce n’est pas complètement kamikaze pour autant. En tout cas, ce n’est pas inconscient : j’ai fait des calculs rigoureux sur excel, je le jure. Notre rôle en tant que label c’est aussi de prendre des risques, même si on fait tout pour qu’ils soient le plus raisonnés possibles. Pour Microcultures, il n’y aura vraisemblablement pas de bénéfice financier à court terme ; même en cas de gros succès d’ailleurs, puisque les bénéfices seront partagés avec les artistes, éditeurs, producteurs… En revanche, je caresse l’espoir d’en retirer d’autres avantages, peut-être plus intangibles. Au premier rang desquels, la satisfaction d’avoir fait exister un très beau projet éditorial, et un très bel objet discographique, ce qui n’est pas rien.
Tu as eu ton mot à dire quant au choix des artistes sélectionnés pour cette sortie ?
Jean-Charles Dufeu :Oui. J’ai dit « super ». En fait, le choix des sessions s’est fait de façon assez collégiale avec Vincent, qui a commencé par faire une short-list de ses sessions préférées. C’était un préalable assez sain à toute sélection. Sur la quinzaine de sessions retenues, nous avons ensuite établi une nouvelle liste, plus courte, de celles qui pourraient le mieux constituer un premier triptyque de départ. Le choix des dernières sessions retenues s’est ensuite fait aussi selon des critères opérationnels : il y a eu une prime à la réactivité, au gré des discussions avec les labels et ayant-droits concernés. On a avancé plus vite avec les gens qui voulaient avancer avec nous et nous ont fait d’emblée confiance (à raison j’espère).
Cela dit, en déterrant mes archives de mails sur ce projet, je constate que sur les trois sessions que j’avais sélectionnées de mon côté au tout début de nos discussions, deux se retrouvent aujourd’hui dans le triptyque inaugural. Pas si mal ! J’espère que la troisième sera pour un prochain rendez-vous.
Quelles relations avais-tu avec cette émission ? Étais-tu un auditeur fidèle ?
Jean-Charles Dufeu : Je suivais l’émission depuis longtemps, à peu près ses débuts je pense. Mais j’ai écouté peu d’émissions en direct (mon grand âge m’oblige à me coucher tôt le dimanche soir). J’ai écouté beaucoup d’émissions en podcast, avec parfois un gros décalage avec leur diffusion à la radio. Je le fais d’ailleurs encore régulièrement et j’aime assez l’idée de fouiller dans les archives de Label Pop a posteriori, comme dans un bac de disquaire dont on espère tirer des petits trésors oubliés. Je vois ces éditions CD comme une façon de faire passer ces grands moments de musique, captés sur la grâce d’un instant, dans leur fragilité éphémère, à un objet musical qui va s’inscrire dans une logique de durée. Il y a une ambition patrimoniale derrière le projet.
Comme pour Vincent… Quel rapport as-tu avec les radios sessions ? C’est un rêve d’ado de publier des « radio sessions » ? Le Jean-Charles Dufeu du lycée pensait-il un jour devenir un patron de label qui publie des « radio sessions »?
Jean-Charles Dufeu : Le Jean-Charles Dufeu du lycée rêvait de devenir patron de label oui. Pas forcément de publier des « radio sessions » parce que ça n’a jamais été complètement ma culture. Mon éducation musicale s’est faite autour des objets, des cassettes et des CDs, plutôt que par les émissions de radio. J’étais trop jeune pour John Peel (malgré mon grand âge) et ai découvert Bernard Lenoir trop tard pour devenir un vrai fidèle. Le plaisir de la musique est très intimement associé chez moi à celui d’avoir un disque dans les mains et de le poser sur une platine.
Quel est ton morceau, ton moment favori de ces 3 sessions ?
Jean Charles Dufeu : The Passage of the Black Gene d’Elvis Perkins.
Quelle est la Label Session que tu souhaiterais publier ?
Jean-Charles Dufeu : Parmi celles qui existent déjà ? Disons en priorité celle de Bill Callahan. Parce qu’il y aurait un petit challenge opérationnel… et ce serait l’occasion de réaliser un autre rêve d’adolescent Mais c’est loin d’être la seule qui m’intéresse, sur le plan artistique
Pascal Blua
Pascal Blua est un graphiste indépendant et est un grand passionné de musique.
Quelle(s) relation(s) avais-tu avec cette émission ?
Pascal Blua :J’ai suivi Label Pop régulièrement depuis sa création et cette émission a marqué mes « retrouvailles » avec un rendez-vous radiophonique. J’étais un fidèle des émissions radio de Bernard Lenoir et de ses Black Sessions que j’ai plus tard fréquentées assidûment. Lorsque Lenoir a définitivement quitté l’antenne, je n’ai plus beaucoup écouté d’émissions musicales. Un jour, dans le magasine Magic, j’ai vu un encart pour Label Pop. J’ai écouté l’émission et j’ai retrouvé avec bonheur ce rendez-vous, cette excitation de la découverte qui finalement me manquait. Fin 2012, The Apartments a enregistré une session radio pour Label Pop, qui a été publiée sous le titre Seven Songs par le label Talitres. J’ai réalisé la pochette du disque et cela a été l’occasion pour moi de faire la connaissance de Vincent et sans doute, le point de départ de notre collaboration.
Comment as-tu orienté ton travail pour ces trois disques ? Ce n’est pas une sortie « habituelle » dans le sens où tu es face, en tant que graphiste, à trois concerts tirés d’une émission radio.
Pascal Blua : Le travail n’est effectivement pas habituel puisqu’il demande de prendre en compte deux approches qui sont presque contradictoires : installer un fort esprit graphique, marqueur d’une collection et donc d’une approche globale, tout en gardant une identité individuelle, propre à chaque session.J’ai ancré mon travail autour de l’évocation de l’intimité du moment. A l’écoute d’une session radio, on peut se projeter mentalement dans le studio, s’imaginer des regards, des attitudes, des mouvements mais la réalité reste bien souvent secrète… Fort heureusement, grâce aux photographes présents lors des sessions, nous avons eu la chance incroyable d’avoir de nombreux témoignages visuels des enregistrements. J’ai donc sélectionné les photos qui traduisaient le mieux ces instants précieux, ces moments volés. La notion de partage, autant visuel que textuel était pour moi une approche centrale dans la réflexion autour de ce projet. J’ai donc demandé à Vincent d’écrire un court texte pour transmettre son ressenti en tant que spectateur privilégié de ces sessions. Et il a accepté !
Pourquoi avoir choisi un code couleur ? Pourquoi Perkins a hérité du violet et pas Tunng ?
Pascal Blua : Le code couleur est un procédé graphique qui m’a permis de personnaliser visuellement chacune des sessions. Je l’ai poussé à l’extrême puisque chaque session est traitée dans une approche de bichromie. Une couleur de base commune, liant de la collection et une couleur spécifique propre à la session. La palette des couleurs possibles est infinie et elle traduira la diversité musicale des sessions proposées.
J’ai fais le choix de la couleur représentative d’une session quasiment à l’instinct, en traduisant de manière monochrome l’univers et la couleur de la musique du groupe. Celle d’Elvis Perkins évoque pour moi la douceur et le rêve, une certaine spiritualité apaisante et j’ai trouvé que le violet traduisait bien ces sentiments. La session de Tunng se place dans un registre plus rafraîchissant, plus limpide comme une musique qui ouvre l’horizon… la mer, le ciel, le bleu s’imposait.
Comment as-tu choisi les photographies ? Quels critères as-tu retenus ?
Pascal Blua : Au delà des qualités esthétiques, j’ai surtout privilégié les photos qui traduisaient le mieux la singularité du moment capturé. Les photographies que nous avons sélectionnés pour Elvis Perkins et Powerdove sont signées par Julien Bourgeois qui était présent lors de nombreuses sessions. Je collabore régulièrement avec Julien car il sait parfaitement saisir ces moments magiques où l’anodin s’immortalise. Pour exemple, j’adore la pochette de Powerdove qui illustre parfaitement le bidouillage et la liberté expérimentale de la musique du groupe.
Les Label Pop Sessions seront disponibles le 21 octobre 2016 via le label Microcultures.