Apprivoiser la vie, voilà certainement la gageure la plus difficile pour la nouvelle année compliquée qui s’annonce. En attendant Bertrand Betsch nous dévoile sa beauté du monde avec une précieuse playlist commentée.
Bertrand Betsch en cinq questions :
Ton souvenir de concert ?
J’ai eu la chance de voir deux fois Stanley Brinks (aka André Herman Dune) à Bruxelles (en l’espace de trois mois) lorsqu’il était au sommet de son art. C’est ma plus grosse claque en concert. Je me souviens le voir commencer son concert en caressant sa guitare de la main et caressant le micro de sa voix, puis peu à peu s’éloigner pour finir le concert assis au bord de la scène en chantant a capella. Ce mec m’a appris l’importance du silence au sein même de la musique. Je me revois chanter avec lui, dans la fosse, comme un simple choriste. Ce mec n’est pas un chanteur, c’est un prophète.
Ta rencontre en tournée ?
1997, tournée du label Lithium. L’occasion de côtoyer Dominique A, pendant deux mois. Ce type passe pour quelqu’un d’un peu austère. En réalité c’est le mec le plus marrant que je connaisse. Un humour sans faille à vous faire décoller la plèvre.
Ton prochain album ?
Mon prochain album a pour titre La Traversée. Toutes les démos sont terminées. Reste à mettre en oeuvre les moyens pour enregistrer les arrangements de cordes, de clarinette, la contrebasse, le piano et la batterie. Ce que j’ai fait de mieux en vingt ans mais tout chanteur vous dira toujours que son prochain album est son meilleur.
Ton prochain rêve ?
Toujours le même : sortir de ce statut très inconfortable d’artiste confidentiel qui est le mien.
Bertrand Betsch – La beauté du monde
En écoute avec Bertrand Betsch :
Bertrand Betsch - fait sa playlist
- Flip Grater – The Quit
Cette chanson parle d’une rupture amoureuse comparée à un sevrage brutal (« cold turkey »). Et justement, il suffit d’entendre cette chanson une seule fois pour être complètement accroc et être littéralement dans l’impossibilité de s’en sevrer.
- Hildebrandt – A quoi tu France
Pour moi, de très loin le meilleur album français de la rentrée. Et bien sûr, personne n’en parle. Album parfait. De bout en bout. Tout est pensé, réfléchi, millimétré. Chaque morceau est une évidence (signe de beaucoup de travail, de tout un labeur transparent qui s’efface pour laisser place à la grâce de ces mélodies mémorables).
- Leonard Cohen – Leaving the table
I’m leaving the table / I’m out of the game / I don’t know the people / In your picture frame. Le meilleur disque de Cohen depuis I’m your man. C’est dire le niveau. Chaque parole de chaque chanson résonne comme une sentence définitive. Cohen fait ses adieux au monde. Il ne reconnaît plus personne. Il n’est plus de la partie. Son heure est venue. Il tire sa révérence avec toute l’élégance qu’on lui connaît. Sans amertume. Avec le sentiment d’avoir fait ce qu’il avait à faire. I’m ready my lord. Cohen quitte la lumière et rentre dans l’ombre qui fera définitivement de lui le grand Commandeur de la chanson anglo-saxonne. L’ironie est que le Prix Nobel de Dylan ait coïncidé avec la sortie de l’album de Cohen. Or, j’adore Dylan, mais bon, il est clair que ces deux-là ne boxent pas dans la même catégorie. Dylan est certes brillant, mais il ne m’a jamais fait frissonner. Cohen, lui, a ce pouvoir de vous faire trembler de la tête aux pieds.
- Batlik – Saint-Nazaire
Comme les trains partent jamais avant l’heure / Les pères s’en vont mais leurs fils demeurent / Grand frère sera jamais consolé / La mère sera toujours agitée / Chanson de gare, chanson de départ / Monument d’anciens déchirements / Quand le papa y fait à son gamin / Avec les yeux un signe de la main. Ecouter cette chanson c’est se frotter à ce que la chanson française peut produire de plus déchirant.
- Pain-Noir – Jamais l’or ne dure
Tout l’album est sublime mais je dois dire que l’harmonie vocale de Mina Tindle posée sur la voix de François-Régis (Pain-Noir) est d’une finesse incroyable.
- The Sound – I can’t escape myself
Hymne post-punk d’un très grand groupe largement sous-estimé et qu’il serait temps de réévaluer.
- King Creosole – Something to believe
Un petit côté Sufjan Stevens mais avec beaucoup plus de simplicité, voire de naïveté. Très touchant. And so cool
- Samuel Cajal – Langoureusement
Samuel Cajal (membre de 3 minutes sur mer) pose une à une les pierres de ce qui sera son album solo. Il m’a fait l’honneur de me faire écouter ses démos. Elles sont superbes, notamment cette chanson qui est d’une grande sensibilité.
- La Maison Tellier – Haut, bas, fragile
Pourquoi je ne regarde pas la télévision ? Parce que la télévision ne me regarde pas. Pourquoi je lis tel livre ou écoute tel album ? Parce qu’il me regarde. Parce qu’il me raconte quelque chose de moi et de mes semblables. Cette chanson de La Maison Tellier, précisément, me parle, me raconte quelque chose de moi et de ma génération. Et cette chose qu’elle me raconte m’émeut profondément.
Samuel Cajal – Langoureusement
La vie apprivoisée de Bertrand Betsch est disponible sur le label Les Imprudences.
Bertrand Betsch - La vie apprivoisée