Comment avez-vous rencontré l’équipe de Talitres?
Vinda : Au début des années 2000, j’ai commencé à écouter The National, The Walkmen, Motorama et tous les artistes de Talitres. A cette époque, j’écoutais sans cesse les Walkmen. Je n’aurais pas pu imaginer me retrouver sur le même label que mon groupe favori. Quand j’ai reçu un e-mail me proposant un contrat, ce fut assez difficile d’y croire.
Eko : Nous devons remercier Vlad Parshin pour tout cela. Il a partagé notre travail avec Sean Bouchard. Nous sommes proches de Motorama et ils ont beaucoup de valeur pour nous deux. Nous sommes heureux de constater qu’ils ont aimé notre travail.
Quelle est votre formation musicale ?
Eko : Je n’ai pas eu d’éducation musicale. Ma seule formation a été quelques leçons de guitare par un professeur qui m’a appris quelques accords. Après ça, j’ai transformé mes poèmes en chansons. Je me considère plus comme un poète qu’un musicien.
Vinda : Ma seule éducation musicale vient des cassettes et de la radio que j’ai écoutée en grandissant. J’ai appris à jouer tout ce que j’ai entendu à la radio. C’est l’histoire typique du garçon qui a appris seul sans jamais avoir appris à la lire la musique. Au final, la seule leçon de musique que j’ai reçue est celle des Kung Fu Junkie qui m’ont invité à jouer avec eux en 2009. Pour être honnête, je n’avais aucune idée de ce qu’il allait en être et que je devais faire. Ce qui m’excitait le plus, c’était l’aventure que nous faisions. Après ça, toutes les aventures se sont transformées en expériences et j’ai commencé à comprendre ce qui me satisfaisait le plus dans la production musicale.
Vous avez tous les deux évolué dans d’autres groupes et vous avez participé à des mouvements protestataires. Vous pouvez m’en dire deux mots ?
Vinda : Mon premier groupe s’appelait Kung Fu Junkie. Nous produisions une musique que nous définissons comme ‘Eurasian Computer Music’. Derrière des mélodies électro pop, nous évoquions les expériences collectives, l’orientation sexuelle, le corps et l’individu au sein des structures sociales. Ces thèmes étaient importants pour notre public car il subissait des transformations de manière imprévisible et à un degré inconnu. Ces transformations ont créé un climat qui facilite l’installation de leaders religieux malhonnêtes et de politiciens. Kung Fu Junkie a donc permis à tous ceux qui étaient fatigués et ennuyés de cet environnement dépressif et immobile de sortir et de danser sur de la musique amusante. Ce groupe a pu diffuser à toute une génération des idées comme celles de l’amour libre et de l’égalité. Kung Fu Junkie fait et continue de faire partie de la vie d’une génération. Ce groupe fait aussi partie de ma vie. C’est ça le plus beau.
Eko : Nous étions dans des groupes actifs sur le plan politique. Notre musique est présente là où se trouve le changement et là où les gens prennent des mesures sociales pour changer la société.
Comment vous êtes-vous rencontrés et pourquoi avoir formé ce duo Eko & Vinda Folio ?
Eko : Nous nous sommes rencontrés quand nous étions étudiants et nous sommes amis depuis 2012. Nous nous sommes engagés dans le mouvement protestataire et nous avons commencé à collaborer quand le système politique de notre pays a changé. Nous avons graffé nos paroles dans les rues et cela nous a convaincu que notre musique est une musique faire par des gens qui se sont émancipés et qui veulent se libérer du contrôle social. Notre rhétorique a eu des échos avec ce mouvement.
Vinda : De nos jours l’activisme est comme une culture alternative en Géorgie. Ce pays tente de rattraper le temps perdu et essaye de se développer très rapidement. Elle n’a pas évolué au vingtième siècle quand elle était sous l’égide de l’Union Soviétique puis quand elle s’est retrouvée seule après l’effondrement de cette Union. Des vagues conservatrices empêchent cette évolution. Ces problèmes ne font pas la Une des médias et sont noyés dans le flux des informations mais ils sont à l’origine d’une grande colère dans le pays. Nous avons essayé d’exprimer cette protestation face à ces structures artificielles et nous avons proposé notre propre vision de la destruction de ce système. C’était à une époque où la police était puissante et elle a commencé à perdre les pédales et à terroriser les gens ordinaires. La prochaine chanson que nous allons sortir s’appelle Rats Mama Unda (ce que veulent les pères) évoque cela. Nous essayons de montrer comment cette vague de cruauté a réussi à opprimer une société toute entière à cause du conservatisme et de l’obéissance aveugle aux autorités.
Quelle est l’histoire de Shen Anateb ?
Eko : Cette chanson a modifié le destin de notre groupe. Notre public attendait quelque chose avec des revendications sociales et nous avons décidé, pour changer, d’aller vers quelque chose de romantique. La mélodie est venue en premier. Nous avons fredonné la mélodie pendant longtemps avant que nous nous trouvions les paroles
Vinda : Cette chanson est très spéciale pour nous car elle combine et esthétise la naïveté de nos expériences romantiques. Mais elle évoque aussi le moment où vous dansez avec quelqu’un dans un état de fatigue avancé et la façon dont vous dansez tel un feu d’artifices qui ne se termine pas.
Eko & Vinda Folio – Shen Anateb
Comment écrivez-vous vos chansons ?
Vinda : D’habitude, je compose la musique dans mon appartement. Après que la mélodie est installée, Eko me rejoint et nous commençons à écrire les paroles. Elles sont construites comme des mosaïques. On joue à se jeter des phrases. Parfois l’un en commence une et l’autre la termine.
Eko : Chaque chanson a sa propre façon de venir à la vie. Nous commençons habituellement par discuter de la mélodie et Vinda le compose ensuite. Puis nous travaillons sur les paroles et cela nous demande autant de travail que pour la mélodie. La langue géorgienne est très particulière : elle a sa propre mélodie qui doit être explorée.
Quels sont vos projets pour 2017 ? Un album ? Une tournée française ?
Eko : Nous passons tout notre temps à travailler sur notre album. Nous sommes en train d’enregistrer quatre nouvelles chansons qui forment un concept et qui formeront un ensemble cohérent.
Vinda : Eko & Vinda Folio et Kung Fu Junkie publieront chacun un album cette année. Les deux sont tout aussi importants pour moi car nous y avons mis beaucoup de nous dedans. Pour une tournée française… Nous n’avons aucun concert de prévu et il est probablement trop tôt pour en parler. Tout dépendra de l’accueil du public français. Nous avons une grande responsabilité. Il ne s’agit pas uniquement de notre musique. Les Français vont aussi entendre le géorgien pour la première fois. Il faudra donc travailler dur pour donner le meilleur de nous même si nous faisons une tournée française.
Quel est le meilleur album de 2016 ?
Eko : Dialogues de Motorama est l’album de l’année. Et de loin.
Vinda : Pool de Porches et Voshod de Manicure sont les albums les plus élégants de 2016 pour moi. Il y a une beauté presque inconcevable qui surgit de cette musique grâce à l’alternance des sonorités électro et aux différentes mélodies.
Vous aviez réalisé des vidéos très militantes. Vous prenez un tournant plus sentimental avec cette sortie ?
Vinda : Nous n’avons jamais eu l’intention d’écrire uniquement des chansons à caractère politique. Ces limites pourraient tuer quelqu’un. Je pense que tout le monde devrait faire ce qui est bien pour lui et ne pas tenir compte des attentes des autres. Dans ce monde où les décisions quotidiennes sont dictées et régies par la violence et les phobies, chanter l’amour n’est pas si loin de l’activisme social. Tout commence avec l’individu.
Eko : Aujourd’hui, notre musique possède deux thèmes principaux que sont le romantisme et les considérations politiques. Les questions sociales sont à la fois les mêmes dans tous les pays et à la fois très différentes. Quant à l’amour, il n’a pas de frontière ni de nationalité ni de religion. Ce sentiment appartient à tout le monde. C’est universel.
Le 45 tours de Shen Anateb est disponible sur le site de Talitres.
- Shen Anateb
- Agurit Kelshi
Merci à Mariam Amirejibi-Mullen pour la traduction anglo-géorgienne.