La dualité d’Angor est perceptible est à chaque chanson, à chaque seconde… On a affaire à un esthète punk et à un amoureux transi de pop. Comment résister aux notes de Si ta lumière change ? Comment résister aux salves d’AK47 ?
Cet album a été publié sur le label Depuis La Chambre. Il s’agissait de ton label ?
Martin Angor : Non, c’était un label parisien qui cherchait des artistes. Les gens sont devenus des amis. C’était un tout petit label qui avait hébergé mon précédent groupe C++. Il y avait aussi Laurent Barbin.
Comment les as-tu rencontrés ?
Martin Angor : C++ avait eu un petit succès d’estime car un titre était diffusé sur France Inter. On commençait à tourner un peu. Ils nous ont contacté à cette période. Quand je me suis séparé de la fille qui jouait dans C++, ils m’ont appelé. Il y avait une liberté totale. Aucune pression… Ils m’achetaient du matériel pour enregistrer chez moi. C’était exactement ce qu’il me fallait.
Le scénario idéal. Tu étais installé à Paris ?
Martin Angor : Oui.
A partir de quel moment l’idée d’un disque solo a germé dans ta tête ?
Martin Angor : Dans C++, j’étais à la composition et aux arrangements. Un peu aux textes. Je trouvais ça assez frustrant de voir que je recyclais de vieux morceaux. J’avais l’impression que les morceaux qui passaient le mieux étaient ceux sur lesquels j’avais le plus travaillé. Il y avait déjà AK47 à cette époque. On voyait qu’il se passait un truc avec ce morceau. Il fallait que ce morceau vive.
Martin Angor – AK47
Tiens, quelle est l’histoire d’AK47 ?
Martin Angor : J’ai travaillé en Afrique. Tu vois des AK47 partout. N’importe quel jeune, n’importe quelle porte d’entrée d’immeuble… Il y a toujours quelqu’un qui a un t-shirt Rambo et une AK47. Il y a ça et les jeux vidéos. J’ai été un hardcore gamer à une époque. J’ai trouvé que parler d’amour et d’AK47 était drôle. A la base, c’est mon manager qui m’avait donné un micro statique à tester… Je l’ai essayé. Le son était un peu dur. Pour lui montrer, j’ai improvisé un truc avec des sons durs, des R des K… Et en 3 minutes, AK47 est sortie.
Quand on fait une recherche sur internet te concernant, on peut lire des chroniques qui te comparent à Dominique A ou Philippe Katerine. Qu’est-ce que tu en penses ? Cela t’a gonflé ?
Martin Angor : A un moment, oui. Au début des années 90, la techno était à la mode. Tout le monde s’est mis à faire de la techno. C’était au final assez rare de croiser des gens qui chantait en français. Les gens qui faisaient de la chanson française étaient rares. Et d’un seul coup ça a explosé avec Dominique A, Philippe Katerine… Moi, ça faisait des années que je chantais en français dans ma chambre et que j’enregistrais ça sur des cassettes. Ils étaient devant. Ils sont plus vieux que moi. Je dois être plus jeune de 5 ou 6 ans. Mais je n’ai pas été nourri par ça dans ma façon de travailler. Alors oui, à un moment cela m’a gonflé. Mais ça peut être pire. On m’a comparé à Miossec ou Daho. C’est plus chiant. Miossec, je ne connais pas. J’ai écouté quelques chansons comme ça.. Daho c’était l’ennemi. J’étais jeune et punk, Daho c’était de la variété.
Ah bon, tu étais punk ?
Martin Angor : Oui.
En quelle année ?
Martin Angor : Je suis né en 1971. C’était donc les groupes de la deuxième vague.
Lesquels ?
Martin Angor : Au début c’était très sectaire. S’il n’y avait pas une boite à rythmes et une guitare, je n’écoutais pas. Pour moi ce n’était pas de la musique. Au départ, j’écoutais du heavy metal. A l’âge de 14 ans, j’ai fait un voyage en Angleterre. Quelqu’un a acheté une cassette du disque des Sex Pistols et ça a été un choc. Le côté sans fioriture. Ce fut un choc esthétique très fort. Même encore aujourd’hui, quand j’entends une chanson avec deux accords, j’ai l’impression qu’il va se passer quelque chose. Alors qu’il ne se passera rien. Cela m’a vraiment marqué. Et puis le côté DIY. Je pense que des gens comme Dominique A ont ce côté. J’ai découvert que j’aimais le punk anglais. Mes potes écoutaient des trucs plus métal. Moi non. Je voulais rester minimal. La cold-wave est arrivée et j’ai fait un groupe qui tournait pas mal. On faisait partie de cette vague. En écoutant de la cold-wave, tu pouvais écouter du Krautrock, Magma… Et partir vers d’autres horizons. Le punk était sectaire.
Sex Pistols – Bodies
Ce disque a 10 ans. Tu l’écoutes un peu ? Comment le perçois-tu ?
Martin Angor : Non. Je l’écoute peu. J’en ai quasiment plus en physique. Je le vois comme une grande strate de ma vie. Il y a deux trois choses dont je ne suis pas très fier mais dans l’ensemble ça va. Il faut dire que j’y ai passé beaucoup de temps.
Ah oui, combien de temps ?
Martin Angor : Deux ans.
Tout seul ?
Martin Angor : Oui. Après je me faisais aider par des musiciens au moment d’enregistrer. Mon label était génial pour ça. Il m’a fait aller dans de grands studios. Le Microbe Studio ou le studio Marcadet. C’est là où Stéphanie de Monaco a enregistré son single. C’est un studio mythique. Le problème c’est que je préférais les prises que je faisais chez moi. Donc on les gardait. Les musiciens sont venus après. Il y a le batteur d’Eiffel. C’est un super musicien. Il y a aussi Luc DS, le pianiste de Bertrand Betsch. Mais j’ai du mal à travailler avec les gens. Même le batteur d’Eiffel me disait de garder mes prises. Je l’écoute mais je l’écoute de manière analytique. Il va falloir du temps pour que cette écoute analytique disparaisse. Je peux prendre plaisir à entendre une de mes chansons en soirée si je ne la reconnais pas tout de suite. Mais sinon non. C’est même quelque chose d’atroce. Je parle de choses intimes… A cette époque je perdais ma mère… Je parle aussi de ruptures, de trucs assez lourds. Dans un premier album, tu racontes toute ta vie. Dans un deuxième album, tu racontes ce qui se passe entre le premier et le deuxième. Un premier album c’est lourd.
Et pourquoi il n’y a pas eu de deuxième album ?
Martin Angor : Je ne sais pas. C’est tellement dur… J’en ai 3 ou 4 qui sont prêts. Mais à quoi bon ? Quand le problème de la professionnalisation s’est posé, je me suis rendu compte que je n’étais pas fan. Les créateurs que je connais sont des gens biens. Après tout le reste, cela ne m’intéresse pas. C’est du bavardage. Je ne veux pas passer ma vie à parler matos. J’aime bien mais après. Et puis le côté intermittent me fait peur. Je le ferai ce deuxième album. Mais il me faut du temps car je n’arrive pas à déléguer.
Et quel est ton meilleur souvenir lié à l’enregistrement de ce premier album ?
Martin Angor : J’aimais bien les essais qu’on faisait en arrivant dans les studios. Il y avait du matériel que je ne connaissais qu’en plug-ins et là tu les vois en vrai. Des super compresseurs, des super pré-amplis. Et cela sonnait bien mieux. Ce n’est même pas que c’est mieux que les plug-ins, c’est que c’est totalement différent. Je suis un grand passionné de reverb. Aux studios Marcadet, tu avais de vraies reverb EMT. C’est comme une table de ping-pong repliée et tu règles le temps de reverb selon la tension que tu mets. Mais les vrais bons souvenirs, c’est moi en caleçon pas lavé qui fait la soixante-douzième prise d’AK47.
Il y a 72 prises d’AK47 ?
Martin Angor : Oui, j’avais le temps… Si un mot n’allait pas, je recommençais. Je voulais que ça sonne comme je l’avais en tête.
Est-ce que lors de ces deux années, des disques t’ont marqué ?
Martin Angor : Il y avait des choses qui m’ont inspiré. Holden par exemple. Avant l’interview, nous parlions de Mocke. J’aime ses guitares, qu’elles soient douces ou criardes. Il est très noble dans ses prises de son. Je n’écoutais pas ce qui pouvait être proche de moi. Mais j’écoutais des choses très mainstream comme Britney Spears. Des voix qui s’arrêtent comme si tu arrêtais une bande Revox. C’est des choses que j’ai essayé de refaire. Il y aussi Kylie Minogue. A cette époque je n’écoutais pas Dominique A. Idem, je n’ai jamais voulu écouter Bashung. Il chante en français, c’est torturé et je ne veux pas y aller. Et quand je l’écoute, je trouve ça génial.
Et cette pochette ? Qui l’a réalisée ?
Martin Angor : C’est Olivier Dangla. C’est un graphiste que m’avait recommandé mon label.
Tu lui as laissé carte blanche ?
Martin Angor : Oui. C’est marrant car c’était un ancien rugbyman de Toulouse, ultra sain, qui ne travaillait qu’avec des mecs torturés. Je perdais ma mère à cette époque… Et il avait une idée très morbide et très féminine de ma musique. Au départ, c’est un de mes amis qui avait fait la pochette. Mais le jour où on devait envoyer les fichier à l’imprimeur… Il ne les a jamais envoyés. Il avait fait quelque chose de bien aussi. C’était une photographie de moi avec un bras arraché. Dans les deux cas, on m’a fait des pochettes de heavy metal. Et pourtant à cette époque, c’est plutôt Vincent Delerm qui était à la mode.
Tu es présent sur une des compilations des Inrocks, coincé entre Murat et Dominique A. Tu étais content ?
Martin Angor : Ah oui, c’était flatteur. Avant, les compilations des Inrocks, c’était quelque chose.
Oui, ce n’était pas les Inrocks Lab. Les compilations des Inrocks, de 1987 à 2007… C’est quand même du haut niveau. Tu l’as achetée ?
Martin Angor : Ah oui ! J’étais fier. En plus Beauvallet en parlait de manière élogieuse. Mais je ne suis pas un grand lecteur des Inrocks. Tout le monde voulait que je sois dans Magic. J’ai été dans les Inrocks et Télérama.
Quelle est l’histoire des Jours Étranges ? C’est ma chanson préférée de ton disque.
Martin Angor : A une époque, j’ai été brocanteur. J’avais arrêté mes études, je venais de quitter l’I.U.F.M. ou ma maîtrise… Je faisais ce métier avec mon beau-père et je n’aimais pas ce boulot. On sillonnait la France sans savoir où j’allais, sensation étrange de se réveiller au milieu de nulle part… Je devais gagner ma vie. Je souhaitais juste que le week-end arrive car je pouvais rentrer chez moi. Il y a ça et la drogue avec les allers-retours en Hollande. J’ai découvert, à 14 ans, le dadaïsme et le surréalisme. Je l’ai vécu comme un choc physique et esthétique. J’avais fondé Crème de fœtus, un groupe de poésie, de peinture et de musique, avec Vadim et Philippe. On se retrouvait chez un ami qui était le fils d’un grand psychiatre. On se retrouvait dans son salon qui était rempli de livre sur le surréalisme. L’écriture automatique est au final naturelle pour moi. Dans cette chanson, je me réponds à moi-même. Je ne peux pas te dire ce que cela signifie. Cela m’est tombé dessus. Cela fait longtemps que je ne l’ai pas entendu. Il est bien ce morceau. Les filles qui chantent en allemand. Cela me gêne maintenant. Et il y a aussi ces suites de chiffres. J’étais tombé sur le « Conet Project », ces longues suites de chiffres énumérés dans différentes langues à la radio, messages codés, pendant la Guerre Froide.
The Conet Project
Il y aussi les bruits de cour de récréation. Je me promenais avec un enregistreur… Cela m’a toujours fait peur.
Pourquoi ?
Martin Angor : Je ne sais pas. Mais avec un peu de reverb, tu as quelque chose d’effrayant. Il y en a dans les films d’horreur. Plus tard, j’ai travaillé dans des écoles. J’ai donc pu démystifier tout ça. J’ai anesthésié cette peur. Là, je suis gêné avec le titre du morceau car il y a Strange Days des Doors. A l’époque, je n’y a pas songé. Comme AK47, j’ai compris la liaison avec Elle a les yeux revolver et Taxi Girl. Il y aussi le futurisme…
Et que vas-tu jouer à La Lune des pirates ?
Martin Angor : Je joue plus ou moins toujours la même chose. Mais je vais jouer des nouveau morceaux. Peut-être Les Jours Étranges tiens.. Il y aura un nouveau morceau sur la RDA. Un morceau assez ironique où je suis en sous pull vert dans cette dictature molle. Et peut être d’autres morceaux… Il y aura peut-être Le Synthétiseur de Thomas. Mais ce n’est pas évident à faire sur scène. C’est quasi du rap.
Martin Angor - Martin Angor
Martin Angor de Martin Angor est édité via le label Depuis la Chambre.
Martin Angor sera en concert le mercredi 03 mai 2017 à La Lune des Pirates (Amiens) en première partie des Pirouettes.
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