Et si Burgalat décrochait le jackpot avec ce disque ? Depuis 1995 et les débuts de Tricatel, on s’est habitué à sa présence multiforme. Producteur (Houellebecq, April March), arrangeur, pygmalion des Dragons, patron de label… Être complexe, Bertrand Burgalat trouve encore le temps d’enregistrer des disques qui à défaut de se vendre par palettes entières, marquent de manière indélébile tous ceux qui se sont aventurés dans leurs sillons. Il a publié il y a quelques semaines un album qui reçoit un accueil critique dithyrambique. Comme d’habitude. Ce qui est moins habituel, c’est que le public réponde présent à cet album de 19 morceaux qui commence par deux instrumentaux et qui se clôture par le génial Étude in black.
Qu’est-ce que je l’écoute ton disque…
Bertrand Burgalat : Tant mieux ! C’est fait pour ça. Cela me fait très plaisir. Je n’ai jamais sorti un disque où j’ai senti immédiatement quelque chose qui passe. C’est très réconfortant. Quand tu fais quelque chose comme ça… C’est au final ce que tu espères. Mais tu ne peux rien prévoir et tu as peur d’être déçu. Là il y a quelque chose de très instinctif. C’est super ! Je ne suis pas habitué à ce genre d’accueil.
Le seul problème de ton disque est cette chanson : Les choses qu’on ne peut dire à personne. On est obligé de l’écouter en boucle pendant des semaines entières. En avais-tu conscience quand tu l’as écrite ?
J’avais le texte de Chalumeau. Il m’en avait envoyé plusieurs. J’ai trouvé ce texte dément. En une journée, j’ai fait plusieurs maquettes au piano. Un truc intimiste. Je fais la maquette. Le lendemain, j’ai fait cette version qui n’avait rien à voir. Je lui ai envoyée. Même si la maquette sonne moins bien, elle a les mêmes arrangements. Il n’était pas convaincu. J’ai laissé reposer. Je ne pouvais pas l’imaginer autrement. Quand je l’ai enregistrée, c’était assez court… Il y a cette partie instrumentale où il y a le passage avec les chœurs qui est improvisé. C’est Alice, Pierre, Blandine et Arthur qui improvisent. Ce passage qui se situe à 2 minutes 30 est merveilleux. Ils l’ont refait… C’est le plus beau passage du morceau. La ligne de chœur est improvisée. Nous sommes un peu dans l’irrationnel. C’est comme ça que je l’entendais. La musique, sur ce morceau, n’a pas de rapport avec le texte. Je suis d’habitude très pleurnichard. Déjà pouvoir faire un disque et ne pas avoir l’impression de me répéter est une victoire. Mais là… On m’a déjà parlé de disques que j’ai fait mais 15 ans après : « C’était génial ! »; J’aurais aimé avoir le retour de suite. Comme pour le Houellebecq où les premiers retours ont été narquois. Houellebecq chante… Pour The Sssound of Mmmuic pareil. Je n’ai jamais eu un retour enthousiaste qui soit si immédiat sur un album. Je trouve ça génial. Je n’essaye pas de l’analyser. Je me dis juste que je vais peut-être pouvoir faire un autre disque. Avant, faire un disque, c’était comme jeter une bouteille à la mer. Là, je me dis que je vais pouvoir en faire un autre. Je n’ai jamais connu ça. Si je sors un disque demain, je me dis qu’il sera sûrement écouté.
Bertrand Burgalat – Les choses qu’on ne peut dire à personne
Et il y a des chances pour que tu fasses une tournée ? On t’en demande
On a fait un concert avec Gonzaï. Nous n’avions pas beaucoup répété, nous n’avions jamais joué ces morceaux. Je n’ai jamais aussi heureux d’être sur scène. Parce qu’il y avait les Dragons, parce qu’il y avait Alice aux claviers et parce qu’il y avait Catastrophe. Pour le moment, notre tourneur n’a aucune demande. Ça peut changer. Je ne veux pas emmerder des programmateurs et je ne veux pas qu’ils soient déçus car on fait que 50 personnes. C’est une chose de remplir La Maroquinerie avec Gonzai, c’en est une autre chose de remplir une salle en province. J’aime jouer. Il y a tout un truc qu’on a semé en 22 ans qui commence à payer. Cela se passait de mieux en mieux. Chaque projet nourrit les autres. La façon dont Chassol aujourd’hui est compris et apprécié… C’est pour nous galvanisant. C’est un artiste qui touche beaucoup de monde. Comme Catastrophe qui est un projet qui sort totalement des normes. Ce n’est pas un groupe de rock classique… Ils se produisent dans des endroits pas faits pour ça. On est juste un diesel un peu lent à l’allumage. Tricatel est dans une dynamique que nous n’avons jamais connue, qui n’a jamais été aussi positive. Si dans un an je n’ai rien à dire, je ne dirai rien. J’ai aucune pression commerciale. Le succès d’estime, juste des auditeurs, c’est déjà beaucoup. On a encore beaucoup de choses à conquérir. Mais oui, j’aimerai bien faire des concerts.
Autre question qui est liée intimement à cet album. Tu n’as jamais aussi bien chanté. Tu t’es libéré ?
C’était déjà le cas sur mon album Toutes Directions. Je ne me pose plus cette question. Je ne me considère toujours pas comme un chanteur. Je pense que je mets mon énergie à faire de la musique dans toutes ses formes, y compris le chant. Je ne me réveille pas le matin en me disant que je suis un chanteur. Si je dois jouer de la basse, je vais jouer de la basse. S’il faut chanter, je vais chanter. Pour être chanteur, il faut un truc. Un truc théâtral. Moi j’essaie de faire des disques. J’ai passé les 20 dernières années à proposer à d’autres chanteurs des chansons. Elles n’ont jamais intéressé personne. Je les chante donc moi même. Ce genre de chansons doit être chanté avec une certaine fragilité (qui ne veut pas dire de l’approximation). Si c’est chanté en appuyant trop, elles peuvent perdre de leur spécificité. On fait donc les voix très simplement. En général, il y a deux ou trois prises correctes. Tout ça est très psychologique. L’autre jour, il y avait une belle énergie. Avant je pouvais être déstabilisé. Il y a une forme de timidité qui peut être pris pour de l’arrogance. Alors que ce n’est pas ça. Je me souviens d’une date avec les Dragons où nous jouions avec Ingrid Caven. Ce n’était absolument pas adapté. Je me suis fait démonté par la presse locale le lendemain car on m’a vu comme le parisien arrogant. Ce n’était pas ça du tout.
Il faudrait qu’on soit tous les cinq avec les Catastrophe. On développe une belle énergie. J’essaie de respecter les harmonies. Mais il y a des choses qu’on ne peut faire qu’en studio. Sans être approximatif, sans rien céder… On peut faire un concert de soul.
En parlant de studio… Pourquoi t’es-tu senti obligé de passer des studios de Puteaux aux studios dans le Comminges (Pyrénées) ?
J’ai travaillé du début à la fin avec Stephane Lumbroso comme depuis des années. Parfois il m’engueulait sur certaines prises que je voulais faire. A ce moment là il sous louait un studio à Puteaux. On a fait les basses, batteries et les cordes là-bas. Le studio n’a pas beaucoup de charme mais il maîtrisait tout. Tous les petits trucs, tous les arrières plans… Je les ai faits seul là-bas. C’est marrant avec ce disque, tout se passe bien depuis le début. Parfois un enregistrement peut bien se passer et le résultat est décevant. Là tout se passe bien. C’était le bon moment pour l’enregistrer. On a commencé fin octobre. Hors mixage, il y a quinzaine de jours pour dix neuf titres. Ce n’est pas dément. Il y a aussi une entente très forte. Quand on se produit soit même on n’a pas de distance. Avoir ce regard, froid et technique, dans lequel j’ai une totale confiance… Avec Stéphane, nous n’avons pas les mêmes goûts. Mais on arrive à des compromis qui sont très satisfaisants. Je ne veux pas refaire ce que j’ai fait. Son regard m’intéresse et est très important.
Et c’est sur la route entre Puteaux et le Comminges que tu as eu l’idée de faire une chanson qui s’appelle La Diagonale du Vide ?
Je ne connaissais pas cette expression. L’instrumental existait depuis un moment. Mathias devait me faire des textes. En discutant au bureau je lui évoquais ma fascination pour la ligne de train Paris-Toulouse. Elle fait partie de ces lignes que la S.N.C.F. a totalement abandonné. C’est aussi de la faute de la région Midi-Pyrénées. On a mis le paquet sur l’avion et la route et on a abandonné le train. Cette ligne, qui débute pour moi à Vierzon et qui finit dans le Lot est très poétique. Je ne voulais pas la traiter de manière condescendante. C’est pour cela qu’il y a des clins d’œil fantasmagoriques. Cela finit « Sans rancune à bientôt »… Comme le groupe A.Z.F. qui voulait racketter l’État. Officiellement on ne sait pas qui sait. Ils avaient mis des bombes sur cette voie ferrée et voulait une rançon. Comme ils n’avaient pas l’air trop bête, ils avaient compris qu’il y aurait des traceurs. A la fin, ils ont abandonné avec ce communiqué irréel qui terminait ainsi « Sans rancune, à bientôt ». Ils discutaient avec les autorités via les petites annonces de Libération. A l’époque, ça m’avait intéressé. La première bombe avait été placée à Folles. Mathias a fait le texte. J’ai voulu faire rentrer ce texte dans une mélodie qui n’était pas prévue pour ça. Cette France du milieu est très intéressante.
Quel est ton meilleur souvenir de l’enregistrement ?
La séance de pedal steel et de steel drum. Cela faisait longtemps que je voulais les utiliser. Sur 36 minutes, lorsque la pedal steel apparaît, cela prend une autre dimension. Et après… Un souvenir particulier… Si, quand tu enregistres les cordes. C’est toujours un moment spécial pour moi. Tu as écrit tes arrangements sur un petit morceau de papier et là tu es devant tous ses instruments. C’est toujours la même équipe. Il y a cinq violons dont trois premiers violons et il y deux altos et deux violoncelles. Ce n’est pas une formule classique. On fait quatre prises. Moi, je voudrais 60 cordes. Mais les disques que j’aime ont été enregistrés avec un nombre limité de violons.
De quels disques parles-tu ?
Des disques de soul. Il n’avait pas nécessairement 30 violons. Il devait y avoir des overdubs, du moins dès qu’ils ont eu des 16 pistes. Moi j’ai toujours fait ainsi. Aujourd’hui, il y a une uberisation des orchestres. Pour le prix de 9 cordes à Paris, tu en as 80 dans un autre pays. Ce n’est pas très loyal. Surtout qu’en France tu as des aides et des crédits d’impôts quand tu enregistres un disque. La moindre des choses est de travailler dans le pays qui te donne ces avantages.
Tu as une autre actualité. Tu as réalisé la bande originale du film Drôles d’oiseaux qui est sorti la semaine dernière…
Ce film est sorti le 30 mai et il rentre en troisième semaine. C’est la deuxième fois que je travaille avec Élise Girard et à chaque fois elle fait des films « à l’arrache » comme on dit. Le film est fait avec le budget d’un clip. Sur le plan créatif c’est génial. Elle arrive à exprimer ce qu’elle ressent et elle te laisse, en tant que créateur, faire. C’est ça pour moi être réalisateur. Si je me retrouve face à un réalisateur qui ne sait pas, je perds confiance donc mes moyens. Là, elle te donne des pistes. Comme il n’y avait pas d’argent, nous avons passé 3 jours chez Mélodium avec Nicolas Dufournet à Montreuil… Il y a un peu de matériel là bas. J’ai besoin qu’elle soit là. Devant les images, j’ai joué tout ce qui me passait par la tête. Au final, elle est plus réussie que si j’avais eu plus de moyens. J’aurais aimé avoir en avoir plus. Je suis très heureux de cette bande originale. Et puis aujourd’hui on dépense des fortunes pour acheter une chanson existante pour un film et on ne fait plus confiance aux créateurs. C’est agréable de montrer qu’avec rien tu peux faire une musique de film. C’est vraiment dommage pour les jeunes musiciens. Il y a des gens qui pourraient faire des trucs géniaux. Des gens font des films… Mais ne font pas appel aux musiciens. Je pense à Étienne Champollion. Il doit faire des B.O. Peut-être qu’il merdra au début, mais il doit faire des B.O. Tout comme Pierre Jouan de Catastrophe, il est fait pour plein de trucs donc des B.O.
Donc 2017, c’est l’année Burgalat ?
Écoute, on est pile au milieu de cette année et je suis très heureux de comment les choses se font. En même temps, on avait des miles en réserve. On peut voir le verre à moitié vide, on peut dire que je ne fais aucun festival. Même Chassol ne joue pas dans les festivals. Ce n’est pas qu’il ne l’aime pas, c’est une inertie… Ils ont mis 10 ans à programmer Ibrahim Maalouf, ils sont en train de le presser comme un citron. Au départ, ils n’en voulaient pas de Maalouf. Je ne veux pas être présomptueux. On y arrivera. On est disponible, on fait de la promotion. Mais on n’investit pas dans le marketing. Il y a des choses qui te font grimper les ventes.
Comme ?
Des partenariats. Comme prendre de l’espace dans un média ou te faire de l’affichage. Mais plus tu risques de vendre, plus tu risques de te planter. J’emmerde Cyril et Charles qui bossent avec moi au sujet des commandes. Ce qui nous menace le plus, c’est le succès. Tu passes à la vitesse supérieure et tu peux te planter. On investit dans les disques. Comme pour les vinyles. On fait des pochettes imprimées, un gatefold. On ne lésine jamais sur les disques. Quand Chassol a sorti son album, on a fait un double album et un DVD. Quitte à vendre peu, autant vendre bien.
Bertrand Burgalat - Les choses qu'on ne peut dire à personne
Les choses qu’on ne peut dire à personne de Bertrand Burgalat est disponible via Tricatel.
- Crescendo
- È l’ora dell’azion
- Le Zéphyr
- Diagonale du vide
- Sur les plages de la vie
- Les choses qu’on ne peut dire à personne
- Étranges nuages
- Tombeau pour David Bowie
- L’enfant sur la banquette arrière
- Tribunes au couchant
- 36 minutes
- Tour des Lilas
- Ultradevotion
- Son et lumière
- Musées et cimetières
- Hologramme
- Cœur défense
- Un ami viendra ce soir
- Étude in Black