On pourrait rebaptiser cet article « On a demandé à La Rive de sortir ce disque, vous ne serez pas fâché car vous allez le trouver excellent ». Les chansons de ce disque ont un avantage sur toutes les autres sorties de cette année : le temps. Alors qu’on a de cesse de se dépêcher, les deux membres de La Rive ont pris leur temps. Et cela s’entend. Leurs chansons ont donc une patine incroyable qui les rend invincibles. Sur l’autre rive est l’écho français aux guitares de Damien Jurado et devient un trait d’union entre les partisans d’une chanson française exigeante et les rêveurs qui rencontrent leurs héros la nuit.
Depuis combien de temps vous connaissez-vous ? Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Didier : Nous nous sommes rencontrés au lycée.
Mikael : Nous sommes des potes de seconde. Cela fait donc 37 ans…
Et quel âge a votre projet La Rive ?
Mikael : Il date de 2008/2009. Donc 8, 9 ans. Tout en sachant que nous avons joué en groupe avant La Rive dans les années 90. Nous avons fait des concerts sous le nom de Christine, un projet essentiellement en Anglais. Après, il y a eu une pause de 10 ans. Nous avons eu chacun un enfant et nous avons tout arrêté, sans que ça soit forcément lié d’ailleurs.
La Rive – Adela
Et c’est donc votre premier album ?
Didier & Mikael : Oui
Didier : Le premier album de la maturité.
Il aura donc fallu 9 ans…
Didier : Ne compte pas les années !
Mikael : Quand nous avons repris en duo, nous voulions avant tout nous faire plaisir, creuser notre propre sillon.
Didier : C’est Mikael qui a eu l’idée de remettre le duo en route. Il a réussi à me convaincre et m’a remis le pied à l’étrier.
Mikael : J’avais deux compositions que j’avais chantées pour les faire écouter à Didier. Je suis allé le voir en lui demandant de les réenregistrer. Il était d’accord mais m’avait prévenu qu’il ne donnerait pas suite. Une fois les deux chansons terminées, on a commencé à se dire qu’on allait continuer.
Ton stratagème a donc fonctionné !
Mikael : Oui ! Didier était assez réticent au début car il pensait que son travail ne lui laisserait pas assez de temps libre.
Didier : On s’est dit au départ qu’on repartait de zéro mais je crois bien me rappeler qu’on s’était dit aussi que si on pouvait enregistrer un album on le ferait. Il y avait cet arrière-plan.
Mikael : Nous n’avons fait aucune répétition, aucun concert. On s’est concentré sur les compositions. L’idée était de faire quelque chose de plus personnel. On pensait qu’on aurait plus de liberté dans un format chanson, moins pop. On a aussi décidé assez tôt de se priver de batterie, un parti pris auquel on s’est tenu jusqu’à la fin. L’idée de l’album a mûri quand on s’est retrouvé avec plusieurs dizaines de morceaux maquettés.
Comment travaillez-vous tous les deux ?
Mikael : On a évolué au fil du temps. Au départ j’envoyais toujours des textes et des mélodies chantées à Didier. Il m’avait tout de suite dit qu’il ne souhaitait pas participer à l’écriture des paroles. À partir des textes que je lui envoyais, il cherchait de nouvelles mélodies (bien meilleures que les miennes en général !) et on choisissait celle qu’on préférait. Maintenant je me contente de plus en plus de lui envoyer des textes.
Didier : Quand nous avons débuté, à l’époque de Christine, on écrivait chacun nos chansons (tant les musiques que les textes). Là, les choses sont différentes, je n’ai plus l’énergie pour écrire des textes. Mais dans les chansons qu’on a gardées pour l’album, il y a aussi une mélodie de Mikael.
Laquelle ?
Didier : La Lune.
Mikael : Et le texte d’Incendies est de Didier. En fait, nous nous sommes un peu spécialisés avec le temps.
Ah c’est très étonnant ! Il y a une influence américaine et une influence française. Deux univers cohabitent de manière assez harmonieuse.
Mikael : Ce sont deux univers assez proches finalement et qui se rejoignent souvent. Notre culture musicale est plutôt anglophone et la musique anglo-saxonne est une source d’influence majeure mais nous tenions à ce que nos racines et notre identité transparaissent dans notre musique. La chanson française fait partie de notre culture. Très tôt des artistes français ont fait entrer des éléments de la culture pop dans leur musique. Tout ça est un vivier dans lequel on peut piocher. Il était essentiel pour nous que les gens sentent d’où l’on vient et qui on est en écoutant l’album. Ça passait par l’utilisation du français mais aussi par le choix des mélodies et des arrangements.
J’étais persuadé, comme on se connaît un petit peu à travers les réseaux sociaux, que c’est toi Mikael qui écrivais la musique de La Rive.
Mikael : Didier et moi avons une culture musicale très proche qui s’est enrichie des apports de l’un et de l’autre avec le temps. J’ai commencé à acheter beaucoup de disques, puis Didier a pris le relais. Nous sommes tous les deux des boulimiques de musique mais Didier est le vrai musicien du groupe. C’est lui qui arrange les morceaux.
Vous l’avez enregistré seuls ?
Didier : Oui, nous avons tout fait à deux.
Mikael : Il y a eu plusieurs étapes et ça s’est étalé sur de longs mois. Tous les morceaux présents sur le disque ont été d’abord enregistrés sous forme de démos, à la maison. Quand nous sommes passés à l’album, nous nous sommes trouvés devant des choix à faire. Est-ce qu’on s’entoure de musiciens ? Est-ce qu’on refait tout ? On en avait discuté avec Pascal Blua et Matthieu Dufour. On a décidé assez vite de reprendre les mêmes bases. On s’est fait prêter de bons micros et on a réenregistré ce qui devait l’être, c’est à dire les voix et les guitares acoustiques. On a eu accès à des studios de doublage, donc pas dédiés à la musique à la base, grâce à l’activité professionnelle de Didier.
Pascal m’avait prévenu que vous aviez énormément abattu de travail. C’est vrai !
Mikael : On le revendique ! On avait une idée assez précise de ce qu’on voulait dès le départ. L’essentiel était de tendre vers quelque chose de personnel, de faire avec nos limites et nos spécificités, de les mettre en avant plutôt que de les cacher. Je ne sais pas si on a réussi mais c’est ce qu’on voulait en tout cas. En tant que musiciens, nous partons d’assez loin. La difficulté était d’intégrer les arrangements de cordes aux chansons tout en gardant un côté dépouillé. Il fallait donc s’arranger pour que tout sonne à peu près bien, et on a fait avec les moyens qu’on a trouvés.
Didier : Au niveau du son, il faut aussi parler du travail de Jean-Charles Versari. C’est lui qui a fait le mixage du disque. Il utilise une console Trident des années 80 qui a donné vie au son. On était vraiment aux anges car un côté magique est apparu : les timbres, la profondeur. Soudain, tout prenait corps.
Mikael : Tout se joue sur des détails. Le mixage et le mastering ont été des moments importants. Jean-charles a réampé toutes les guitares électriques et la basse (enregistrées sur un simulateur d’ampli), tout s’est mis à la fois à mieux sonner et à devenir plus précis. Ce fut un réel plaisir car les chansons nous échappaient pour la première fois. Le mastering a été une autre étape importante. Chab a vraiment fourni un gros travail et notre son s’est encore enrichi. D’une manière plus générale, je m’aperçois que toutes les personnes avec lesquelles on a collaboré se sont réellement investies et c’est vraiment une source de satisfaction énorme. Et ça ne concerne pas seulement l’enregistrement mais aussi le travail autour de l’enregistrement. Des gens comme Matthieu Dufour (Pop, Cultures & cie, La mue des chimères), Pascal Blua (Stereographics, Mouse Design) et Greg Bod (Le Cabinet des curiosités) nous ont toujours soutenus et conseillés.
Quelle est l’histoire d’Adela ? Il s’agit d’une de mes chansons préférées.
Mikael : Je crois me rappeler qu’elle vient d’une mélodie de Didier.
Didier : Non. Tu m’as d’abord envoyé le texte. Tu l’avais écrit très rapidement.
Mikael : Au départ le morceau s’appelait L’amour perdu. Greg (Bod) et Matthieu (Dufour) l’avaient diffusée, Greg nous avait fait une vidéo. J’étais un peu réticent à la garder pour l’album mais je me suis aperçu que c’était seulement le titre que je n’aimais pas. La mélodie et les arrangements donnent un ton particulier au morceau, notamment les ondes Martenot. Je ne me rappelle pas l’origine du texte, je crois que j’avais trouvé « triste figure, froide lumière… » et que ça m’avait donné envie de continuer. Adela, le nouveau titre, vient du 3ème prénom de ma fille, Adelaïde.
Didier : Les paroles ont accouché de deux mélodies dont l’une plus sombre qu’on a gardée. Les arrangements sont venus d’un bloc. Pour l’anecdote, Adela a été enregistrée en rejouant sur la toute première version acoustique improvisée datant du jour où la mélodie a été trouvée. Le tempo est donc fluctuant, de même que la durée des couplets est inégale. Toutefois, à l’arrivée, ça a l’air de donner quelque chose qui touche les gens, puisqu’on a déjà eu quelques retours sur ce morceau, notamment, à notre grande surprise, de la part de Stuart Moxham, ex-Young Marble Giants.
Vous avez abandonné beaucoup de chansons en cours de route ?
Didier : Oui, pas mal. Nous avions entre 40 et 50 chansons, toutes maquettées et arrangées. Dans un premier temps, nous en avons présélectionnées 15. Puis nous avons resserré les mailles du filet et il n’en est plus resté que 12, qu’on a toutes réenregistrées. Par la suite, nous en avons encore éliminé deux, et assez longtemps, nous avons pensé que l’album comporterait 10 morceaux. Finalement, l’instrumental du début a été rajouté in extremis.
Mikael : On a réajusté. L’idée n’était pas de publier juste une collection de chansons mais un album qui forme un tout, avec des chansons reliées entre elles par une atmosphère et des thèmes communs. Il fallait aussi que l’ensemble soit digeste. On s’est aperçu qu’on tenait l’album quand on est passé de 12 à 10 chansons. Les deux chansons qu’on a enlevées étaient longues, ça rendait l’écoute de l’ensemble assez éprouvante !
Quel est votre meilleur souvenir de l’enregistrement ?
Mikael : Les nouvelles prises de son au studio furent un très bon moment. On est passé des versions démos aux versions du disque. Pour les prises de voix, c’était « on lance le magnéto et on fait 20 prises sans se poser de questions ». On a enregistré le week-end dans les studios vides. Les semaines suivantes, on a tout réécouté pour sélectionner les meilleures prises en cherchant les émotions.
Didier : On a bien fait de multiplier les prises voix sur la plupart des morceaux ! Quant au meilleur souvenir, d’une manière générale, c’est l’exaltation à la pensée de franchir le pas, de se lancer.
Vous n’êtes pas les premiers surpris de sortir un disque au bout de tout ce temps ?
Didier : C’est l’aboutissement d’un parcours naturel, qui a pris du temps. Il y a des gens qui peuvent sortir un disque dès leurs 6 premiers mois d’existence. Nous, non.
Mikael : Nous n’étions probablement pas prêts. Il y a énormément de bons disques qui sortent, de bons artistes dans tous les domaines et je suis persuadé que certains des artistes les plus talentueux n’ont jamais publié ou exposé et resteront à jamais inconnus. Ceux qui rendent leur travail public sont ceux qui ont l’égo le plus développé ou la motivation la plus grande quand ce n’est pas une affaire de réseaux ou d’argent tout simplement. Il n’y a aucune raison de publier un travail qui ne soit pas absolument vital pour soi-même. À notre petit niveau, nous avons commencé tard la musique et il y a eu de grosses interruptions. On a touché notre première guitare à 22 ans. A cet âge là, certains ont déjà sorti 3 disques Pour notre album, sur la fin, tout a pris du temps. L’enregistrement, le mixage, le mastering… La moindre rectification te met 6 mois dans la vue. Pour la pochette et le choix de la photo, on a eu du mal à se décider et Pascal Blua a été patient. Tu penses que c’est facile de choisir une photo, mais non ! On ne voulait pas d’une photo avec la mer ou une rive. Après, pour se démarquer de cette image tout en restant proche de l’atmosphère du disque, ce fut assez difficile. Mais maintenant, grâce à la photo de Sophie Pelletier et au travail de Pascal, ça le fait.
Sur L’autre Rive de La Rive est disponible via ce lien
L’artwork de l’album est signé Pascal Blua.
- I
- Sombre soleil
- La lune
- Adela
- L'hiver
- Cap Fréhel
- Incendies
- La jetée
- Drancy
- Sur l'autre rive
- Ne pas sentir