2017 est l’année de la redécouverte de la discographie de Jason Molina. Son label historique a annoncé il y a quelques semaines la sortie des The Black Sabbath Covers qui témoignent de l’amour du métal de notre natif de l’Ohio. Avant cette belle annonce, une biographie de notre héros est parue aux États-Unis.
Et puis il y a cette initiative. Cette très belle initiative que nous devons à Stéphane Martin. Il a réussi a réunir une dizaine d’artistes belges et français pour publier un disque de reprises des chansons de Molina. Et l’exploit est à la hauteur de la difficulté de l’exercice. Car Molina, ça ne se reprend pas. Ou alors, il faut en avoir là où il faut. H-Burns sublime Hold on Magnolia . Cloup et Bouaziz, les deux ex-pensionnaires du label Lithium, enfants spirituels de Molina, transcendent le verbe de leur héros.
Stéphane Martin
Stéphane Martin est l’instigateur de ce projet. Gloire à lui !
Comment est née l’idée de ce projet ?
Stéphane Martin : J’écoute Songs :Ohia depuis le début des années 2000 de manière épisodique, j’y revenais très souvent. Début 2016, je me suis replongé dans The lioness et j’ai été complètement happé par ce disque, cela en était presque devenu une obsession. Parallèlement à cela, j’avais en tête d’un jour faire un label, mais le déclic ne s’était jamais produit. J’organise aussi depuis 2004 un festival dans un petit village d’Ardenne belge.
Un jour de juillet 2016, en arrivant au boulot (je travaille dans une médiathèque), je tombe sur un article des Inrocks où je lis que Mendelson était fan de Ghost tropic de S :O. J’avais rencontré 2 ans auparavant Pascal Bouaziz lors d’une conférence sur lui à la médiathèque de Namur, on s’était vu 10 minutes tout au plus. Le fait de lire que Mendelson dont je suis ultra fan apprécie Songs :Ohia dont je suis ultra-ultra fan, c’était ça le déclic. J’ai écrit un mail à Pascal en disant que je voulais faire un disque d’hommage à S : O. Une heure plus tard, il me répondait qu’il était partant ! Je me suis dit : Bon ben va falloir s’y mettre. Je n’avais absolument aucune idée de comment j’allais m’y prendre, vu que je n’ai jamais fait cela, mais je me suis lancé corps et âme.
Question totalement idiote… Les fondateurs de Riding With The Ghost sont donc des fans de Jason Molina. Tu te rappelles de tes premières écoutes de Jason Molina ? Par quel album es-tu rentré dans l’univers de cet auteur ?
J’ai écouté The lioness pour commencer, je n’ai pas de souvenirs précis, mais je me rappelle très bien de l’époque, je terminais mes études de bibliothécaire. Je vivais en colocation avec un gars que je connaissais un peu, il m’a fait découvrir des dizaines de groupes (Pavement, Grandaddy, Sparklehorse, Marcy Playground, etc.). On est resté très potes, on a créé le ‘Ptit Faystival’ ensemble et c’est le parrain de ma fille, je lui devais bien ça.
Comment as-tu bâti la liste des artistes qui participent à cette compilation ? Tu les savais déjà fan de Molina ?
J’ai assez rapidement pris l’angle de ne consacrer le tribute qu’à Songs :Ohia (même si j’aime beaucoup ce que Jason a fait avec Magnolia Electric Company), ensuite j’ai décidé de me limiter à des artistes belges et français. Pour le choix des groupes, je voulais avoir un lien avec chaque artiste, donc je n’ai pas fait d’appel. La priorité était d’abord que j’aime ce qu’ils faisaient et bien entendu ensuite qu’ils aiment Songs :Ohia. J’ai contacté 14 groupes et douze ont dit OK.
Tu as imposé des chansons ? Vous vous attaquez à des monuments de la discographie de ce garçon…
J’ai laissé une liberté totale aux artistes. Je voulais qu’ils se sentent à l’aise, que le projet soit aussi le leur. J’ai voulu ce projet comme un truc où chacun peut s’approprier l’héritage de Jason. Je ne suis pas du tout musicos, je me suis occupé de tout le reste sauf de la musique, cela me semblait normal que chaque artiste qui allait passer du temps sur mon projet se sente OK.
Certaines chansons sont traduites en français. C’est de votre fait ?
C’est le choix des 4 artistes. Là aussi, j’ai laissé une liberté totale. Je trouvais cela logique de la part de Mendelson, Thomas Mery, Michel Cloup de traduire en français. C’est l’idéal qu’ils puissent mettre leur influence dans la reprise. Bien sûr je me demandais ce que cela allait donner, mais je dois dire que je n’étais pas sceptique, je savais que cela allait sonner.
Comment cela s’est passé au niveau des droits ? Vous avez réussi à rentrer en contact avec les proches de Molina ?
Pour les traductions, j’ai dû contacter un bureau à Londres pour avoir l’autorisation des ayants-droits. C’était un moment très stressant car ils voulaient entendre les morceaux. Il a donc fallu les enregistrer sans être sûr qu’ils pourraient être utilisés. Alors que j’attendais des news depuis quelques jours, j’avais contacté le frère de Jason, Aaron pour lui expliquer le projet. Il m’a dit qu’il ne s’occupait pas de la partie business de Jason mais qu’il trouvait le projet vachement excitant et que Jason adorait partager sa musique avec les autres. Quand j’ai reçu l’autorisation, je ne te raconte pas le soulagement.
Une biographie est récemment parue… Votre compilation sortira en novembre. C’est moi ou on assiste à une redécouverte des chansons de Jason Molina ?
Je ne sais pas si on le redécouvre. Peut-être qu’avec les années qui passent, on se rend compte de son importance. A vrai dire je ne sais pas. Pour moi, il a toujours été là. Il a toujours été essentiel dans mon histoire d’amour avec la musique. Si le disque peut remettre Songs-Ohia sur les devants de l’actualité indie, tant mieux, mais je n’ai pas vraiment cette prétention. Je pense que ma première motivation a été de lui rendre hommage, de lui rendre, symboliquement et à ma petite échelle, honneur pour tout le plaisir, toutes les émotions qu’il me procure depuis tant d’années.
Et cette pochette ? Pourquoi avoir opté pour ce dessin ?
J’ai envie d’un portrait, pour mettre Jason vraiment au-devant. Un pote m’a montré les dessins de Florent Grouazel, j’ai trouvé que ça collait, je lui ai proposé de dessiner la pochette. Tout simplement.
Quel disque conseillerais-tu à un ado pour rentrer dans l’univers de cet artiste ?
Pour découvrir, je dirais le dernier album de Songs :Ohia, Magnolia Electric Co, peut-être plus accessible, un plus rock et américain ensuite Didnt’rain. D’un autre côté, The lioness et Ghost tropic sont des chefs d’œuvres.
Mendelson
Mendelson est un groupe de rock français fondé en 1995 par Pascal Bouaziz. Mendelson a publié cette année l’excellent album Sciences Politiques chez Ici D’ailleurs.
Comment as-tu découvert l’œuvre de Molina ?
Pascal Bouaziz : Pour de vrai : très tard. Songs Ohia tournait sur les platines autour de moi, mais à l’époque j’étais tellement fasciné par Will Oldham qu’il me cachait une grande partie de ses contemporains. Et donc c’est relativement récemment qu’un vieil ami que je n’avais pas vu depuis des années revu par hasard comme nous parlions de musique m’en a reparlé à moi qui venait toujours par hasard de voir le documentaire de son enregistrement au studio de Steve Albini qui m’avait déjà pas mal impressionné. Par sa méthode très libre d’enregistrer ses chansons justement, ses rapports avec son groupe la liberté guidée qu’il leur accordait et l’espèce de magie (à défaut d’un meilleur terme et moins galvaudé) qui se dégage de ces interprétations live in studio : la méthode qu’avec Mendelson nous avons adopté depuis notre deuxième album et perfectionné encore avec le projet Haïkus : c’est à dire, un groupe, une chanson, une prise, un mixage tout ça en temps réel.
Tu peux nous en dire un peu plus sur ta reprise ? Elle a été difficile à réaliser ?
On a repris la chanson qui nous ressemblait le plus au moment où il a fallu la faire de l’album qui nous plaisait le plus au moment où il a fallu choisir. Elle est tirée de Ghost Tropic qui est l’album le plus pur et le plus parfait à mon avis de toute la discographie de Molina, à classer toujours à mon avis au niveau de What’s Goin On’, Rock Botton et Astral Weeks.
La reprise a été relativement simple à enregistrer : nous avons pris le même groupe (ou presque) que pour l’album Haïkus, le même ingénieur du son (Sylvain Biguet) que pour Haïkus, la même installation dans la même pièce : on était en terrain très connu. La traduction s’est imposée elle aussi relativement facilement.
Tu as eu carte blanche pour le choix ? Pourquoi l’as tu choisie ?
J’espère que le choix sera évident à l’écoute de la reprise.
Quel est ton disque préféré de Molina ?
Ghost Tropic pour tout. Le son, magnifique, de l’album, noir, profond, boisé, électrique, comme un rêve de son d’album. Les chansons, parfaites. Le chant, bouleversant. L’enchaînement des chansons. La construction du disque avec ses interludes bien particuliers qui vous plongent tout de suite dans un autre monde, etc etc.
Songs: Ohia – Ghost Tropic
Michel Cloup
Michel Cloup, ex Diabologum, sera en concert le 9 novembre 2017 avec Béatrice Utrilla à Souillac pour défendre le disque États des lieux intérieurs.
On t’a donc demandé de reprendre une chanson de Molina… Tu as dit oui tout de suite ?
Michel Cloup : Non, j’ai d’abord réfléchi à ce que j’avais envie de faire, comment, quelle chanson. J’apprécie tellement Molina que je ne voulais pas me lancer dans un échec, car c’est très difficile à reprendre, les versions originales sont tellement fortes, tant dans l’écriture que dans l’interprétation. Pour être honnête, au départ, je ne pensais pas le faire car le pari me paraissait trop risqué.
Te rappelles-tu de ta première écoute de Molina ?
Non, pas vraiment. J’ai du l’écouter dans les années 90 et j’avoue que je n’ai entendu qu’un énième Palace Brothers, du coup je ne m’y suis plus intéressé jusqu’à la fin des années 2000 où je me suis pris Farewell transmission en pleine gueule. J’ai ensuite tout écouté, jusqu’à ses albums solos. Il m’arrive régulièrement de rater des artistes ou des albums au moment de leur sortie, pour de multiples raisons, et de tomber raide mort avec 10 ans de retard.
Songs: Ohia – Farewell Transmission
Pourquoi avoir opté pour une version française ?
C’est ce qui me semblait le plus naturel, n’étant pas vraiment dans le même registre vocal, je savais qu’il valait mieux partir sur une adaptation que sur une reprise pure. J’avais fait ça il y a plus de dix ans avec Experience sur un album de reprises où certains titres avaient été adaptés (notamment le I see a darkness de Bonnie Prince Billy transformé en Sombre). Aujourd’hui, je trouve plus intéressant d’adapter une chanson qui n’est pas en français au départ, ça offre beaucoup plus de liberté, au final.
Tu m’avais dit dans une interview précédente que tu avais pris la pire. Pourquoi ? Cela a été si difficile à reprendre ?
« La pire » signifiait pour moi la plus difficile à reprendre (c’est aussi une de mes favorites). Cela n’a pas été si compliqué au final, il y avait une très bonne base pour travailler !
Riding With The Ghost
Riding With The Ghost sera publié le 30 novembre 2017 via le label Watchfoss Records.
Vous pouvez le pré-commander ici.
Une release party aura lieu aux Balades Sonores (Paris) le 30 novembre 2017.
The Black Sabbath Covers sera publié le 24 novembre 2017 via Secretly Canadian.
Retrouvez tous les détails de ce disque sur la page Facebook du projet.
Riding with The Ghost
- Michel Cloup Duo – “Au croisement des chemins”
- June Moan – “John Henry split my heart”
- Fantascope – “Being in love”
- V.O. – “Not just a ghost’s heart”
- H-Burns – “Hold on Magnolia”
- Last of the Albinos – “Ring the bell”
- Loïc B.O. (avec Kiko) – “An ace unable to change”
- Thomas Mery – “Le corps, il se consume”
- Kärlek – “Coxcomb red”
- He Died While Hunting – “The big game is every night”
- Ignatz – “I’ve been riding with the ghost”
- Mendelson – “Simplement vivre”