Cecile Schott, aka Colleen revient avec un nouvel album. Deux ans après Captain Of None (Thrill Jockey), la française a écrit des morceaux qui lui ont été inspirés par l'imbrication entre des événements personnels et les attentats de Paris du 13 novembre 2015. Enregistrés à San Sebastian, les morceaux de A Flame My Love, A Frequency

A Flame My Love, A Frequency est intimement lié au 13 novembre et aux attentats qui ont touché Paris. Il faut percevoir ce disque comme une catharsis ?

Colleen : Je vois que ce qui a le plus frappé les personnes lisant le communiqué de presse est la référence aux attentats du 13 novembre, mais il y a eu un aspect tout aussi important dans la genèse du disque, la maladie grave et soudaine d’une personne de ma famille très proche. Ce sont ces deux événements, survenus au même moment qui m’ont conduit à ressentir une peur très forte qui a duré de nombreux mois. Durant l’été 2015, juste après la tournée de mon précédent album Captain of None, je m’étais immédiatement plongée dans des essais sonores pour un prochain album car je venais d’acquérir deux nouveaux instruments (le Pocket Piano et la pédale Moog MIDIMuRF), période interrompue pendant 2 mois lorsque cette personne est tombée malade et que j’ai dû aller à son chevet plusieurs fois. Quand je me suis remise au travail fin novembre, après avoir également été de passage sur Paris juste le jour des attentats, j’ai immédiatement senti que créer cet album était l’une des rares choses que je puisse essayer de faire pour sortir de ma léthargie et créer un univers plus beau que le monde du réel tel qu’il était à ce moment-là.
Me plonger dans le jeu sur les fréquences, les rythmes, les filtres et enveloppes a été une manière idéale de retrouver du mouvement et même de la joie et de l’excitation à un moment où j’avais l’impression de stagner dans la tristesse, l’incompréhension et le doute par rapport au lendemain.

Colleen – Winter Dawn

Peux-tu revenir sur ta journée du 13 novembre ? Tu ne résides plus à Paris et tu t’y trouvais…

Oui, je venais de passer dix jours dans ma maison natale en province aux côtés de ce proche gravement malade. A un moment donné il fallait bien rentrer, chose qui m’oblige toujours à passer par Paris pour prendre mon train pour l’Espagne. Comme par ailleurs je devais déposer mon archet de viole de gambe pour le faire réparer chez un luthier de la rue des 3 Bornes, il fallait que je passe un jour de semaine, qui est tombé le vendredi 13 novembre. J’ai fait le trajet à pied depuis chez les amis qui m’hébergeaient jusqu’à la rue des 3 Bornes, et au retour de chez le luthier, vers 17h, suis passée par la rue de la Fontaine au Roi, juste devant les terrasses qui le soir ont été touchées par les attaques, puis je suis rentrée tranquillement chez mes amis, chez qui nous dinions lorsqu’un coup de fil de mon ami en Espagne nous a prévenu de ce qui était en train de se passer. Mon expérience n’a bien sûr rien de particulièrement remarquable, puisque des dizaines de milliers de personnes sont sûrement passées par là ce jour-là, et que nous avons été des millions sur Paris à suivre en direct ces événements en entendant les sirènes dehors, mais me trouver précisément dans ce quartier que je n’ai jamais particulièrement fréquenté, uniquement pour une question d’archet, dans cette ville où j’ai vécu 11 ans et où je ne passe plus qu’en coup de vent et par obligation maximum 2 fois par an, par une journée aussi belle qui me faisait voir à nouveau les côtés positifs de cette ville, mais qui a fini aussi tragiquement – le tout mêlé à cette maladie d’un être cher – tout cela m’a bien sûr semblé être une de ces coïncidences extraordinaires de la vie. J’aurais bien sûr été bouleversée si j’avais suivi les événements depuis l’Espagne, mais il est clair que plus on est proches temporellement et géographiquement d’un lieu où se déroule un drame d’une telle ampleur, plus l’on se sent concerné. Je suis rentrée le lendemain en Espagne comme prévu, et après environ 2 semaines passées à lire des articles et regarder les infos en ligne, j’ai décidé d’arrêter presque toute lecture sur les événements et de me remettre au travail afin d’essayer de sortir de cette spirale d’angoisse.

Combien de temps t’a pris l’enregistrement de ce disque ? Tu l’as enregistré seule ?

De fin novembre 2015 à fin 2016 j’ai créé la plupart des morceaux, avec l’arrivée d’un deuxième synthé (le Septavox) en octobre 2016 qui est venu apporter encore plus de possibilités et m’a permis de créer les derniers morceaux. Les paroles sont venues difficilement, petit à petit, et sont encore plus minimales que ce que j’avais envisagé au départ. Puis de décembre 2016 à mars 2017 enregistrement des pistes définitives (instrumentaux et voix) avec mixage au fur et à mesure. Tout a été terminé en avril 2017, et j’ai tout fait de A à Z : jouer, enregistrer, produire, mixer.

Pourquoi ne pas avoir fait d’overdubs ?

C’est mon premier album purement électronique, et j’avais une idée de production en tête bien précise : avoir un son réellement chaleureux, par moments aquatique, loin de toute froideur digitale. Le son des pédales Moog a été essentiel dans cette approche, et comme elles sont 100% analogues, extrêmement réactives et sans possibilité de sauvegarde de settings, il faut donc à chaque fois jouer sur les paramètres en direct. Et comme par ailleurs je ne suis pas du tout branchée MIDI, je me suis rendue compte très rapidement que s’il fallait retoucher (en mode copier-coller, comme je l’ai beaucoup fait sur mes disques précédents) les pistes audio instrumentales en cas de « canard », cela allait s’avérer extrêmement fastidieux, car il est beaucoup plus facile (en tout cas dans mon expérience) de couper au sein d’ondes sonores générées par des instruments acoustiques qu’électroniques. J’ai donc décidé que l’album serait enregistré dans des conditions live : matériel branché direct dans la carte son avec bus pour les effets lorsque c’était nécessaire, appuyer sur la touche enregistrer dans le même logiciel que j’utilise depuis mes débuts (Acid) et jouer. J’ai joué chaque morceau jusqu’à obtenir les bonnes prises, et il a fallu parfois joindre quelques parties lorsque clairement les meilleures interprétations étaient dispersées sur des prises différentes, mais le travail de retouche s’est arrêté là.
Pour ce qui est de la voix, je pense que j’ai pris confiance par rapport à mes premiers enregistrements en 2012, et je me suis aperçue que je n’avais plus besoin de masquer les petits défauts d’intonation derrière un double enregistrement de la voix (une pratique très courante dans la musique contemporaine, et qui effectivement masque efficacement plein de petits défauts). Ce choix m’a également paru cohérent avec le contenu des paroles, quelque chose de plus direct et viscéral. L’absence d’overdub sur la voix ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’effet : je continue à adorer mettre du delay sur ma voix, soit via la Moogerfooger MF104M, soit via une émulation de delay à bande.

Qui est l’auteur de la pochette de cet album ? Pourquoi as-tu choisi cette pochette ?

C’est l’artiste Iker Spozio, qui est également mon compagnon dans la vie. Iker a fait mes pochettes depuis mon deuxième album en 2005 (à la fois les illustrations, collages ou peintures et le design) et il m’est inconcevable de travailler avec une autre personne, pas juste par fidélité à son travail et à notre lien personnel, mais également parce que nous avons vraiment une évolution parallèle au niveau créatif. Lorsqu’il a fait ce tableau, ainsi que le tableau qui est à l’arrière de la pochette du disque, j’ai immédiatement sû que ça devait être la pochette de l’album, car j’avais déjà le titre en tête : la forme centrale peut faire penser à une onde sonore, une vague, une forme végétale, ce qui est en lien avec certaines des images employées dans les paroles du disque, et l’équilibre entre la froideur et la chaleur des couleurs m’a également semblé correspondre parfaitement à mon approche sonore. Il y a un travail formel important dans le travail d’Iker, mais tout est fait à la main, avec des techniques anciennes (peinture à la tempera dans ce cas), et j’espère que l’on retrouve les mêmes caractéristiques dans mon travail.

Comment te sens-tu deux jours avant sa sortie ?

Heureuse que le disque sorte enfin, car les 6 mois d’attente entre la fin de l’enregistrement et la sortie sont longs, mais surtout heureuse à l’idée de penser que quelque chose qui a été créé dans une période malheureuse pourra peut-être donner du réconfort et un peu de bonheur à ceux et celles qui l’écouteront, comme cela a été le cas pour moi durant sa création.

Colleen - A Flame My Love, A Frequency

A Flame My Love, A Frequency de Colleen est disponible via Thrill Jockey/Differ-Ant.
Elle jouera au BBmix qui se tiendra à la fin du mois de novembre à Boulogne-Billancourt.

Colleen

Tracklist : Colleen - A Flame My Love, A Frequency
  1. November
  2. Separating
  3. Another World
  4. Winter Dawn
  5. Summer Night (Bat Song)
  6. The Stars Vs Creatures
  7. One Warm Spark
  8. A Flame My Love
  9. A Frequency

BBmix

Avec : James Holden & The Animal Spirits, La Monte Young Tribute, Colleen, Groupshow
LieuDatesSite web
Carré BelleFeuille. 60 Rue de la Belle Feuille - Boulogne Billancourt24/11/2017 au 27/11/2017site officiel
Tarifs : Plein tarif : 11.49€

Pouet? Tsoin. Évidemment.

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