Quand as-tu décidé d’écrire Éparse ? Il y a un événement qui a déclenché son écriture ?
Lisa Balavoine : Un événement déclencheur… Oui et non. J’ai commencé à écrire quotidiennement sur un blog pendant plusieurs années. A un moment, j’étais rentrée dans une sorte de gymnastique assez bien huilée : je pouvais écrire un petit texte tous les jours et me tenir à ça tout en ayant cette frustration de ne jamais pouvoir en faire quelque chose de construit. J’ai donc fermé mon blog et ai décidé de structurer ce que je faisais. J’avais pas mal de pistes qui partaient dans tous les sens et finalement j’ai trouvé un fil directeur qui m’a plu. J’ai tout arrêté fin 2015 et j’ai envoyé mon premier manuscrit début 2016. Tout a été très vite une fois que je me suis décidée.
Sans parler du fond mais en évoquant uniquement la forme… D’où te vient cette idée des fragments ou des collages ?
J’aimais l’idée de mêler différentes parts d’un personnage. Il s’agit d’un portrait fragmenté. J’aimais bien mêler des passages très narratifs et d’autres qui racontent des anecdotes, ajouter des références qui pouvaient être littéraires, cinématographiques, musicales ou artistiques. Une seule forme ne pouvait pas tout contenir. Je ne voulais pas faire un roman. Je lis beaucoup et je ne me sentais pas à la hauteur pour écrire un roman tel qu’on le conçoit généralement, avec un début, un milieu et une fin. C’est d’ailleurs cette apparence de puzzle que certains éditeurs ont pu me reprocher.
Et c’est la volonté de ton éditeur ou ta volonté d’avoir fait figurer la bande originale de ton livre ?
C’est ma volonté, pour moi c’était très important cette présence de la musique. Le texte est musical. J’essaye toujours de travailler les sonorités quand j’écris. Je vois beaucoup de refrains dans ce texte. C’est peut-être un défaut qui me vient de mes études. En fac de lettres, on faisait beaucoup de plans et j’adorais les plans ternaires. Le rythme, les rimes me viennent facilement. J’aime bien ce côté rythmique. La musique revient régulièrement, comme un rappel. C’était important pour moi que les gens qui apparaissent dans le parcours de la narratrice soient cités. Sur le site de l’éditeur, il y a une playlist.
Certains passages de ton livre pourraient être des chansons. Je pense notamment au fragment « J’ai perdu ».
Ça, je ne me rends pas compte ! Tu parles des listes ? Adolescente, j’écrivais beaucoup de chansons et de poèmes. C’est une habitude qui m’est restée.
Mais tu ne l’as pas remarqué en l’écrivant ?
Non, cela ne m’est pas venu à l’idée. Mais cela aurait pu. On m’avait déjà fait la remarque quand j’écrivais sur mon blog. Il y a toujours un côté musical dans ce livre en particulier. C’est un peu ce qu’écrivait Baudelaire dans son poème Correspondances, « Les parfums, les couleurs et les sons se répondent ». Je crois que dans notre mémoire, tout est lié. Très souvent, une chanson appelle un souvenir. Souvent comme une trame de fond car nos parents écoutaient ça… Ou alors on écoutait cette chanson en boucle car elle a accompagné un moment de notre vie.
Ce personnage a besoin de balises, de repères. C’est pour cela que les morceaux sont très variés : on va des années 70 aux groupes très indés et plus contemporains.
Tu te rappelles de ton premier souvenir musical ?
Oui. C’est La Foire De L’Est d’Angelo Branduardi. Mon père, qui faisait de la guitare, l’écoutait beaucoup. Il y a cette chanson et La Grenouille de Steve Waring. C’était des chansons pour enfants faites par des chanteurs pour adultes. Ce sont mes chansons d’enfance. Ma mère écoutait de la chanson française, mon père du folk. Mais mes propres souvenirs, c’est La Foire de L’est. Je la connais encore par cœur. Et le clip de Love Is All !
https://www.youtube.com/watch?v=jTZ0iiZ-5oo
Ce qui est marquant dans la Bande Originale d’Éparse, c’est les premiers morceaux. Il y a Portishead en première position mais les numéros 2 et 3 sont Dominique A et Michel Cloup… Quel rapport as-tu avec le label Lithium ?
Je n’ai pas de rapport avec les labels. Je n’y connais rien. J’écoute beaucoup de musique mais je ne connais pas les labels. Ce n’est pas que cela ne m’intéresse pas mais cela ne me porte pas. J’aime beaucoup plus la musique indé (en vieillissant) et surtout j’aime les voix. Pour Cloup et A, c’est aussi le texte. Cloup est un type hyper intéressant avec un univers extrêmement riche. Comme Dominique A.
Pour les chansons anglaises c’est différent. Je ne suis pas experte en anglais donc je peux passer à côté de certaines subtilités du texte. Je vais donc plus accrocher sur des mélodies, des émotions.
Et quand as-tu découvert Dominique A ? Le soir où Lenoir a passé La Fossette sur Inter ?
Non ! J’y arrive un peu plus tard. J’y arrive via Françoiz Breut. Quand elle sort son premier album, je tombe amoureuse de cette fille, de sa voix… Je découvre Dominique A à ce moment car ils avaient fait un duo et vivaient ensemble. Je suis revenue en arrière et j’ai continué.
Et quel rapport as-tu avec Le Courage des Oiseaux ?
C’est un rapport lié à ma propre vie. Quand tu écoutes le texte et que tu te sépares, tu as l’impression que le type comprends ce que tu ressens. Le fil va-t-il casser ? Le fil va tenir ? Tu ne sais pas. Quel chemin va prendre ta vie ? J’ai un rapport très instinctif à la musique. Quand ce qui est dit fait corps avec ce que je ressens, cela me parle. C’est la même chose en littérature. Je suis très touchée par des textes autobiographiques comme ceux d’Annie Ernaux. Elle a écrit un livre sur son avortement, sur son père, sa mère. Cela peut laisser des gens totalement froids mais moi ça me touche. Elle fait de son expérience personnelle quelque chose d’universel. En chanson, c’est pareil.
Les chansons qui me marquent le plus sont celles qui me parlent de ma vie. Je fais une projection. Comme un transfert en psychanalyse.
Dominique A. – Le courage des oiseaux
Il y a ce passage sur la mort de Dalida… C’est un passage important du livre.
Je m’en rappelle encore très bien. On vient de revivre quelque chose de similaire, pour certains enfants d’aujourd’hui, avec la mort de Johnny. C’est ce moment étrange où une star meurt. Moi je n’écoutais pas Dalida, mes parents non plus mais je regardais les shows de Maritie et Gilbert Carpentier et elle y était souvent. Je n’aimais pas ses chansons à l’époque. Mais en tant qu’enfant, j’ai senti que c’était un moment important. Des gens pleuraient à la radio, tout le monde en parlait. Tu te dis que le temps s’arrête. En ayant une mère dépressive, cela m’a marquée. Dalida se suicide alors qu’elle a tout. Je crois que c’est le premier suicide qui m’a interpellée. Je me suis dit « On peut aller mal quand on a tout ». Aujourd’hui cela questionne l’histoire que j’ai entretenue avec ma propre mère. Quand on est enfant, la mémoire tourne à plein régime. La mort de Dalida, ce n’est pas un événement important. Je ne me souviens pas de l’élection de Mitterrand mais je me souviens de la mort de Dalida. Dans l’échelle de mon enfance, c’était plus important. Je vivais avec quelqu’un d’instable, donc je me suis projetée sur quelqu’un d’instable.
Restons dans le suicide… Tu as vu Nirvana en concert ! En quelle année ?
En 1992 au Zénith de Paris. Je venais de passer le bac. C’est pour ça que je n’étais pas censée y aller. On est arrivés en retard et on a loupé les Teenage Fanclub qui faisaient la première partie. Pour moi, c’est une époque très importante du point de vue musical. Adolescente, je regardais les films de Gus Van Sant : Drugstore Cowboy et My Own Private Idaho. Il y avait cette ambiance particulière autour de jeunes camés, de gens qui zonent et qui portent tous des jeans déchirés et des chemises à carreaux. J’étais très envieuse. J’avais une vie très rangée, à Amiens, où il ne se passait rien. Je rêvais de vivre ça. Je ne me suis jamais droguée mais je fantasmais sur Detroit, Seattle. Je voulais connaître ça.
Et tu ne pouvais pas ne pas être amoureuse de Kurt Cobain. Il était tellement beau.
Et c’était bien ce concert de Nirvana ?
Oui. Mais Kurt Cobain était un peu absent. Il était là sans être là.
Il était déjà parti.
Et tu as vu The Velvet Underground…
Oui. Le concert totalement improbable. Je les ai vus en première partie de U2 en 1993 à l’hippodrome de Vincennes. C’était pour la tournée Zooropa de U2. C’était une reformation du Velvet Underground. Les gens étaient là pour U2 et on n’a rien entendu. Un vrai gâchis.
Et Blondie !
Oui c’est assez récent. Il y a 3 ans à Rock En Seine.
Tu es fan de Blondie ?
Non mais disons que Debbie Harry représente pour moi le canon de la sexytude rock. J’aime bien Heart Of Glass, Atomic, One day or annoter. J’ai des albums de Blondie. C’était un moment émouvant car à la fois beau et triste. Elle portait une perruque et des lunettes, elle était un peu une caricature de sa beauté passée. C’est courageux de se montrer comme ça quand on a été une icône. Cela m’a un peu rendue triste, peut-être que je n’aurais pas dû la voir en concert. Mais je n’aurais pas vu Blondie.
TOP 10
1) Ton premier concert ?
Avec ma mère, Souchon. Mon premier concert seule c’est Jean Jacques Goldman. Je devais avoir 13 ans. Mes premiers concerts d’ado ça devait être la Mano Negra et Noir Désir.
2) Ton meilleur concert de 2017 ?
Slowdive à Rock En Seine parce que je ne les avais jamais vus. Et Peter Kernel au Petit Bain en acoustique/symphonique. Je suis fan de Peter Kernel. Et celui de PJ Harvey à La Route du Rock.
3) Ton album préféré de 2017 ?
Je n’ai pas écouté beaucoup de musique cette année. J’ai beaucoup écouté English Tapas des Sleaford Mods. Mais je ne sais pas s’il est de 2017. J’ai bien aimé le dernier Baxter Dury. Et le Charlotte Gainsbourg. Je vois pas mal de liens entre son album et mon livre, toutes proportions gardées évidemment. Cette façon de parler de soi, de ses parents, de sen enfants qui grandissent. Beaucoup de choses m’ont émue sur ce disque.
4) Ta chanson préférée de cette année ?
K. de Cigarettes after sex.
5) Ta bande originale de film préférée ?
Le Temps des Gitans d’Emir Kusturica. Elle me prend aux tripes. C’est une période de ma vie importante pour moi. Mais j’aime aussi celle des Dents de La Mer.
6) Un écrivain qui aurait dû faire un disque ?
C’est difficile. Je ne sais pas quelle voix ils ont… Pour écrire des paroles ? Baudelaire. Il y a des putains de chansons. Babx a repris du Baudelaire récemment. Sa reprise de La Mort des Amants est super.
Dans les écrivains actuels… Aucune idée.
Babx – La mort des amants
7) Un chanteur qui aurait dû écrire un livre ?
Leonard Cohen. Il a écrit des poèmes, mais j’aurais aimé lire un roman de lui. Il en existe peut être mais je ne les ai pas lus.
8) Ton album préféré de Nirvana ?
Nevermind. Ce n’est pas forcément l’album qui contient mes chansons préférées. L’album que j’écoute le plus est l’Unplugged In New York. Mais il y a Smells Like Teen Spirit. Cette chanson, c’était une énergie nouvelle pour nous. Ce fut une vraie révélation.
Nirvana – Smells Like Teen Spirit
9) Ton plaisir coupable en musique ?
Plein. Avec mes gosses, on écoute Céline Dion. On chante ses vieilles chansons et ça nous file la patate. George Michael, A-Ah.. J’aime plein de merdes. J’écoutais beaucoup la radio avec ma mère. Donc j’ai écouté et j’aime plein de bouses. Aucune honte.
10) Tu organises un festival dans ton salon… Qui invites-tu ?
Peter Kernel car ils sont super et car ils font des confitures. Baxter Dury pour voir s’il y a une ouverture car il est célibataire en ce moment. Dans des registres différents, j’inviterai les Daft Punk et Delerm. Et des chanteuses comme Cat Power et Feist. Et Will Oldham, pour l’entendre sur I see a darkness. Son duo avec Scout Niblett, Kiss, est une de mes chansons préférées.
Question bonus : un chanteur mort avec qui tu aimerais bien boire un verre ?
Gainsbourg, sans hésitation, entre timides on ne se serait peut-être rien dit.
Éparse de Lisa Balavoine est édité chez JC Lattès.
Lisa Balavoine - Éparse