Nada Surf (e) toujours

Vingt ans après leur premier passage à Lyon, les new yorkais sont toujours aussi popular (le concert en février à l’Epicerie Moderne est déjà complet) et construit une œuvre discographique cohérente. Le groupe fête les 15 ans de son troisième album Let Go en le jouant en intégralité, SK* a voulu en savoir plus sur sa conception avec Matthew Caws.

Comment s’est passé l’enregistrement de Let Go ?

Matthew Caws : Notre idée était d’enregistrer Let Go avec Fred Maher, le même producteur que The Proximity Effect. On avait beaucoup aimé travailler avec lui. C’est un type intéressant qui a quitté le domicile familial à 17 ans pour être le batteur de Lou Reed. Il produira même son album New York. Il a aussi produit deux de mes disques favoris, le premier album de Luna, Lunapark et Girlfriend de Mattew Sweet. On a tourné dans tout le pays en vendant aux concerts des copies de The Proximity Effect dont nous venions d’obtenir les droits et que nous avions sorti nous-mêmes pour se faire un peu d’argent et payer l’enregistrement. On avait environ 5000 dollars à l’époque et on est parti pour Los Angeles.

Discographie

Quelques jours avant de partir, Fred a eu l’opportunité d’aller travailler sur le nouvel album de Korn. C’était bien sûr mieux payé et il avait besoin de cet argent. On ne lui en a pas voulu. Par chance, l’ingé son de Fred, Chris Fudurich qui avait travaillé avec nous était disponible. On s’est installé au studio de Venice Beach où on avait déjà bossé, essayant de se rappeler tout ce que l’on avait appris avec Fred et comment faire un disque sans producteur. Chris est un incroyable ingénieur du son et il nous a grandement aidés dans la direction à prendre tout en obtenant de super sons. Après avoir enregistré les titres basiques, on a fait les overdubs dans la maison de Chris qu’il partageait avec Fred. A la fin de la journée, on buvait des bières en écoutant les histoires de l’élaboration de l’album de Korn. Il y avait tellement de gens qui bossaient dessus !

Nada Surf – Inside of love

On est revenu à New York avec à peu près la moitié du disque terminé. Mais il y avait encore beaucoup de boulot et on avait presque plus d’argent. Quelques années auparavant, j’avais été stagiaire dans un grand studio, le Magic Shop. Je n’ai pas vraiment appris la réalisation mais pas mal de choses sur les bandes et le processus général pour faire un disque. Le stagiaire en chef avec qui j’avais travaillé, Juan Garcia était maintenant l’ingénieur du studio. Le propriétaire m’a alors donné deux jours de studio et on a enregistré Blizzard of ’77, Happy Kid et Neither Heaven Nor Space. On avait encore quelques overdubs à faire, on a donc attendu deux mois, trouvé un peu d’argent pour aller dans la vallée de l’Hudson où un vieil ami, Bryce Goggin avait loué une ancienne église et l’avait aménagé en studio appelé Higher Power. On dormait dans des sacs de couchage à même le sol, on était réveillé par un énorme chien japonais, un Akita qui nous reniflait le visage. Bryce a travaillé très vite, je me souviens de lui me lançant un micro pendant qu’on faisait les guitares, j’eus à peine le temps de le rattraper qu’il me jetait les écouteurs. Bryce avait travaillé sur les disques de deux de mes groupes favoris, Chavez et Pavement.

Pendant ce temps, je négociais avec un label de Seattle, Barsuk. On avait tourné avec un de leur groupe, Rilo Kiley et je connaissais le parton du label. J’étais fan du plus gros groupe du label, Death Cab For Cutie depuis leur premier album. Tous leurs disques étaient produits par leur guitariste, Chris Walla. Avant que l’on signe chez Barsuk, pendant que l’on hésitait (ils ont été très sympas et patients), Chris a mixé deux de nos titres pour 100 dollars chacun, un prix défiant toute concurrence. Comme il ne voulait pas travailler sur un ordinateur, j’ai transféré les chansons sur bandes et filé à Seattle. On l’a fait au studio de Pearl Jam, Chris était à la maison pour quelques jours, il avait une nouvelle petite amie et aussi un sacré rhume. Je lui serais éternellement reconnaissant, il a mixé Blizzard of ’77, Happy Kid et Killian’s Red. Pour Happy Kid, il a fait quelque chose d’incroyable, il a passé deux heures pour obtenir le son qu’il désirait, en utilisant un 24 pistes et puis en transférant sur un 2 pistes, laissant jouer le morceau sans toucher à la table. Pas de changement de volume, zéro automatisation. Un mélange d’analogique, de chanson rock avec beaucoup de sections différentes, c’était assez inouï.

Nada Surf – Blizzard of 77

Un ancien voisin et ami, Louie Lin qui faisait de la musique pour la télévision et la publicité avait un studio dans le bas de Manhattan. Il possédait de vieux synthé et un super goût. Il a rajouté quelques claviers et a mixé Neither Heaven Nor Space en ajoutant une dimension d’espace, de sentiments. Juste après la phrase, « you can hear ghost trains », il y a un son subtil qui rappelle le bruit d’un train dans un virage. Louis a participé à la plupart de nos disques depuis, mixé une ou deux chansons par album et produit notre disque de reprises, If I Had A Hi-Fi dans son nouveau studio Resonate à Austin au Texas. Il sera présent au concert de Lyon, il ne tourne pas beaucoup mais on pensait que c’était important de l’avoir avec nous pour ces concerts.

Des années auparavant, j’étais associé à travers un ami avec une communauté en ligne appelé Echo. C’était très primitif, justes des messages qui permettaient de rencontrer des gens très intéressants et l’on se voyait en personne chaque mois. C’est comme ça que j’ai rencontré Joe McGinty, une vraie pointure de la scène musicale New Yorkaise. Il avait été membre des Psychedelic Furs, tourné avec Joey Ramone et Ronnie Spector. Il organise un incroyable événement appelé ‘Loser’s Lounge’ avec un groupe et Joe au piano. Tous les deux mois, le week-end, ils apprennent 30 ou 40 chansons et il y a des chanteurs différents. J’ai participé pendant deux ans en reprenant la musique de Brian Wilson, Harry Nillson, Burt Bacharach, Roxy Music et plein d’autres. De Let Go à notre dernier disque You Know Who You Are, Joe a ajouté des claviers à tous nos disques. Son studio Carrousel à Brooklyn possède l’une des plus belles collections de claviers et de synthétiseurs au monde.

Ainsi, avec un peu de temps et d’efforts, quelques aides sympas et une certaine chance, l’album Let Go a vu le jour. On a dit oui à Barsuk aux Etats-Unis, à Heavenly Recordings au Royaume Uni, Labels en France et en Europe, Liberation en Australie et Inker au Brésil !

Nada Surf

Quel est ton meilleur souvenir de cet enregistrement ?

Un jour au Studio Magic Shop, j’y allais pour faire quelques petits ajustements à la fin du mixage, l’ordinateur ne marchait pas et il a fallu un moment pour le réparer. Je ne pouvais me permettre un jour sans rien, je m’inquiétais. Steve Rosenthal, le propriétaire du studio est venu dans la cabine et voyant mon désappointement m’a dit : « Veux-tu venir en bas écouter Satisfaction ? Je me suis dit, d’accord, j’adore cette chanson, peut être que cela me remontera le moral. Je le suis dans son studio de mastering, il avait un vieil enregistreur Ampex 2 pistes. Il appuya sur un gros bouton vert et me dit, « je reviens dans quelques minutes » et me laissa seul dans la pièce. Il y avait un vieux carton à côté de la console, il avait été réparé avec du scotch et il prenait la poussière. Et là j’ai compris ! Il voulait dire, écouter LA version de Satisfaction, c’est-à-dire le mix original. Steve avait parfois de vieilles bandes à remasteriser et il était soudain évident qu’il bossait sur les Stones. La guitare de Keith s’échappa des hauts parleurs. Le groupe défonçait. Cela sonnait trois fois mieux que la version du disque, plus grand, plus sonique, mieux que tout ce que j’avais entendu. Je pouvais entendre un contraste que je n’avais jamais remarqué avant entre la voix légèrement déformée de Mick Jagger et la musique d’origine derrière. Il y avait une profondeur intérieure à laquelle je n’avais jamais pensée mais que je ressentais quand j’entendais cette chanson sur un vieux tourne-disque, dans une bagnole ou dans une fête d’école et celle-ci était délibérée et astucieusement construite. Steve est revenu dans la cabine et m’a dit « c’est incroyable non ? » Je ne pouvais qu’être d’accord.

Quelle est ta chanson préférée du disque et pourquoi ?

Peut-être Treading Water. J’aime les paroles, elles me ressemblent toujours, peut-être pas tout le temps mais parfois. L’arrangement nous ressemble, on essaye d’aller ailleurs et de revenir.

Matthew Caws – Treading Water

La mienne c’est Blonde on Blonde comme beaucoup de fans, peux-tu nous parler de ce titre qui parait très simple en apparence, de cette merveilleuse mélodie et de ta façon si apaisée de chanter ?

Blonde on Blonde est bien sûr le titre d’un album de Dylan que j’écoutais un jour en allant de Brooklyn à Manhattan pour acheter un cadeau d’anniversaire à un ami. Il tombait des cordes, j’étais un peu déprimé mais j’avais un bon imperméable. Ce disque de Dylan, un de ses meilleurs que j’ai écouté des centaines de fois m’a réconforté. Je me suis senti chanceux d’être vivant même un jour de spleen. Quand je suis rentré chez moi, je me sentais bien, je suis heureux que cela vous plaise, merci mais je ne sais pas quoi dire, c’est une chanson paisible que j’ai essayé de chanter paisiblement.

Nada Surf – Blonde on blonde

Et ce titre en français (Là pour ça), comment est-elle née ? Est-ce que « les mecs sont vraiment des salauds » ?

Daniel a écrit et chante cette chanson. Je l’aidé avec un peu pour la musique. Je sais qu’il voulait écrire un titre en français depuis un moment et il avait rassemblé des expressions qu’il aimait. Il y a quelques charmantes tournures de phrase. Quant aux mecs, « peut-être pas tous :-) » (En français NDLR)

https://youtu.be/Q3P5kYc1QJ0

Nada Surf - Let Go

Peux-tu nous parler du choix et du sens de la pochette de Let Go ?

La pochette est un détail d’une immense peinture de notre ami Mark Ferguson. Elle provient d’une série qu’il a faite sur un temps long où il réfléchissait à l’obsession et à la répétition. Il a compté les pas entre sa maison et son atelier, il comptait les ronds de couleurs de ses peintures. Libre à vous d’y voir une signification. J’aime ça, il y a un peu de chaos, un peu d’ordre, un sentiment d’apesanteur, un sens de l’espace et des possibilités infinies.

Peux-tu évoquer votre relation particulière au public français ? Vous êtes un des groupes ‘indé’ favoris ici depuis vos débuts, tu as une explication ?

Cela a probablement aidé que Daniel et moi sommes allés au lycée français de New York et que l’on parle la langue (même si je fais beaucoup d’erreurs !). Mes parents sont enseignants et on a habité Paris durant leurs années sabbatiques. On a vécu là de mes 5 à 12 ans et la première année je suis allé dans une école française. Je n’ai rien compris pendant deux mois entiers mais je ne me rappelle pas avoir été stressé. C’était au contraire plutôt apaisant de ne rien comprendre. Mais quand tu es aussi petit, les gens n’attendent rien de toi. Cela a été un peu plus dur pour ma sœur de trois ans mon ainée. L’été nous avons vécu dans le Vaucluse dans la patrie de René Char que ma mère traduisait et annotait. Ma sœur et moi avions l’habitude de nous assoir dans la cuisine buvant de la limonade en mangeant des guimauves et en jouant avec notre chien Tigron.

Daniel est espagnol mais son père était diplomate, ils vivaient à Bruxelles quand Daniel était enfant. Plus tard ils ont habité Paris puis New York. Par hasard, on a eu un succès rapide en France. Après nos débuts aux Transmusicales de Rennes en 1996, une radio, Fun Radio qui à l’époque jouait plutôt du rock pour les jeunes a commencé à diffuser Popular en boucle, puis le titre a été utilisé pour une publicité dans l’année. Beaucoup de gens l’ont entendu. Et parce que l’on adore la France et ses habitants, on est toujours heureux de venir jouer ici. Quand le deuxième album est sorti, on a fait une tournée de 28 jours en France, dans toutes sortes de villes où les groupes américains allaient rarement. Je me sens très chanceux d’avoir passé tant de temps là. Je ne suis pas français, mais il y a une partie de moi qui se sent vraiment à la maison ici, c’est un peu dans mon sang.

Un souvenir particulier de Lyon ?

On a joué au Transbordeur plein de fois et c’était une de nos premières expériences de tournée. Dans la plupart des salles, on vous donne 15 ou 20 dollars chacun et vous devez trouver un lieu pour diner. A Lyon, il y avait un cuisinier ave une vraie cuisine et tous les techniciens et les musiciens mangeaient ensembles, discutaient et mangeaient encore ! C’est quelque chose d’unique et j’en ressens encore la chaleur après toutes ses années et concerts. Quelle que soit votre journée, c’était un vrai moment d’humanité, de célébration et de reconnaissance.

Qu’est ce qui a changé en 15 ans ?

C’est difficile à dire, je parie que la réponse n’est pas loin de celle que vous pouvez apporter en vous demandant ce qui a changé pour vous. Il n’y a pas de réponse adéquate, nous sommes sans doute plus calmes et raisonnables ou … plus fous. On prend de l’âge mais on conserve ce que l’on a été, on ne fait qu’ajouter de nouvelles pages.

Que ferez-vous dans 15 ans ?

Je ferais toujours de la musique d’une manière ou d’une autre, c’est une obsession, c’est une échappatoire aussi mais je pense que j’ai toujours voulu cela.

Un rêve fou ?

J’ai quelques idées de projets. Je pense souvent aux façons d’aider les gens. Je suis ouvert d’esprit et j’essaye de partager cette ouverture. C’est dur de comprendre comment exactement, si vous me voyez commencer un projet non musical, vous saurez qu’un de mes rêves insensés se réalise.

Peux-tu évoquer la setlist en deux parties du concert à l’Epicerie Moderne ?

Nous jouerons Let Go en entier et on reviendra jouer un autre set avec des titres de notre répertoire. Je parie qu’il y aura aussi quelques histoires. Je chanterai pas mal de chansons alors venez m’aider !

Parmi les disques de 2002, l’année de la sortie de Let Go, lequel choisirais-tu et pourquoi ?

Je dirais Spoon avec Kill the Moonlight parce que je pense qu’ils étaient dans une période de transition plus longue que pour les autres groupes à ce moment-là qui a commencé avec ce disque. Il faut écouter leur dernier, Hot Thoughts ! Mon préféré demeure cependant Ga Ga Ga Ga Ga qui vient d’être réédité et en concert c’est vraiment terrible. Ne les ratez pas s’ils passent près de chez vous !

Peux-tu dire quelques mots sur ton travail pour le court métrage français, Pleurer des larmes d’enfance ?

Sarah Barbault et sa sœur Emilie Barbault-Nizier m’ont envoyé un scénario il y a des années, me demandant de jouer dans le film qu’elles avaient écrit. Elles n’ont pas fait le film finalement mais elles ont continué d’écrire, de travailler et on est resté en contact. Elles sont devenues de très bonnes amies, elles ont beaucoup de talent. Elles ont réalisé deux clips merveilleux, Waiting for you pour mon groupe Minor Alps avec Juliana Hatfield et Rushing pour Nada Surf. J’ai composé de la musique pour deux de leurs courts métrages, Un Jour de Lucidité et Pleurer Des Larmes D’Enfance, film bouleversant sur l’inceste et je suis en train de travailler sur leur troisième, Everything Is One Thing. Sarah et Emilie sont deux de mes personnes préférées au monde pour collaborer. On est très enthousiastes pour faire davantage de choses dans le futur.

Un nouveau disque en préparation ?

Je me remets enfin à penser à la musique. Ma femme et moi avons eu un petit garçon il y a sept mois et il a bien sûr été le centre de nos préoccupations. Mais j’ai eu pas mal de petits moments de calme qui se sont additionnés et je ressens le besoin d’en faire plus, c’est bon signe !

Pour finir, as-tu un groupe à faire découvrir ou un récent coup de cœur ?

Je regarde beaucoup de films en ce moment et je recommande A Ghost Story, un film très lent mais incroyable avec un fantôme à l’ancienne, The Lure, un film d’horreur polonais à petit budget avec des sirènes et un scénario de série B très percutant avec une super musique et The Big Sick (Mal d’Amour produit par Jude Apatow), une histoire vraie, une très bonne comédie américaine sur les relations humaines. Sinon Walter Martin de The Walkmen sort un nouveau disque dans quelques mois et c’est très bon. Jetez-y une oreille !

L’album de reprises de titres de Nada Surf, Standing At The Gates : The Songs of Nada Surf avec entre autres Aimee Mann, Ed Harcourt, Charly Bliss, Kingfish ou Ron Gallo sortira le 2 février chez Mardev Records.

Ron Gallo – Happy kidl

Nada Surf sera en tournée pour les 15 ans de Let Go et passera par l’Epicerie Moderne le vendredi 9 février avec Arman Méliès en solo (complet) et à l’Espace Culturel André-Malraux de Six-Fours le 10 février (des places à gagner très prochainement)

Let Go de Nada Surf est disponible chez Labels.
You Know Who You Are, le dernier album de Nada Surf est disponible chez City Slangs.

Nada Surf - Let go

Nada Surf - Let Go

Tracklist : Nada Surf - Let Go
  1. Blizzard of '77
  2. The Way You Wear Your Head
  3. Fruit Fly
  4. Blonde on Blonde
  5. Inside of Love
  6. Hi-Speed Soul
  7. No Quick Fix
  8. Killian's Red
  9. Là pour ça
  10. Happy Kid
  11. Treading Water
  12. Paper Boat

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