Prenant un virage à 180 degrés, Brisa Roché est partie à Bristol enregistrer son disque avec John Parish. Acculée, Brisa Roché s’échappe du bord du précipice et rebondit avec Father son meilleur album à ce jour. Portée par Parish et inspirée par Lucinda Williams, Brisa prend la tangente et enchante nos journées avec un disque aussi solide qu’émouvant.
Comment te sens-tu trois jours après la sortie de Father ?
Discographie
Brisa RochéBrisa Roché : C’est la sortie que j’ai le moins vécu. On m’a volé mon téléphone. Et j’ai passé toute la journée au commissariat pour identifier les deux suspects que les policiers avaient arrêtés. J’ai dû retourner le lendemain dans le même commissariat pour apporter le numéro de série de téléphone. Numéro que j’ai d’ailleurs mis plusieurs heures à retrouver.
Et tu l’as retrouvé ?
Non. Même pas ! Je n’ai donc pas eu le bonheur d’aller le voir dans un magasin.
C’est ton habitude ? Pour chaque sortie, tu vas chez un disquaire ?
Je vais le voir une fois. Le jour de sa sortie, une fois. Je vais le fêter cette semaine. J’ai lu les premières chroniques et j’ai l’impression d’être devancée.
C’est ton disque le plus personnel ?
Oui. Mais pas pour les raisons qu’on imagine. Tout a été toujours très intime dans mon écriture. C’est ainsi, je suis comme ça. C’est pareil quand j’écris pour les autres. Je fais toujours quelque chose de très précis et de très intime. Cet album est le plus intime car il évoque un sujet intime et j’ai joué de la guitare sur tous les morceaux. J’ai jeté les bases de ce disque moi-même. Ce n’est pas mon habitude.
Tu délègues d’habitude ?
Je fais les maquettes moi-même. Mais je peux choisir des mélodies composées par des amis. John Parish est ici le gardien de la pureté du projet et il m’a boostée. La version finale est très proche de mes maquettes. Et ça c’est totalement nouveau pour moi. C’est très intime pour moi. Je me suis aussi laissée composer comme quand j’étais adolescente sans essayer de construire des morceaux avec des super ponts. Je n’ai pas voulu faire dans le démonstratif. J’ai accepté ce qui venait. Ces chansons ressemblent à ce que je composais quand j’étais jeune fille. Alors oui, je parle de mon père. Mais je parle toujours quelque chose de très intime dans mes disques. Enfin je sors ce disque sur mon propre label…
Black Ash ?
Oui c’est ça. J’ai investi pas mal de moi-même sur ce disque.
Et pourquoi avoir choisi John Parish ?
J’ai grandi dans les montagnes avec un mode de vie très sain : je ne me droguais pas et je ne buvais pas. J’avais la peau très blanche, j’avais les cheveux très longs… J’étais très romantique et surtout un peu dans mon monde. Quand je composais des morceaux, j’avais une voix très claire et ça donnait une atmosphère très féerique. Un peu à la Joni Mitchell. Il y avait aussi, à cette époque, le mouvement universitaire féministe avec Liz Phair. Au final, cette pureté m’a frustré. J’avais un vécu plus dur et cette voie artistique ne me permettait pas de l’exprimer. J’étais en décalage avec moi même et j’en ai été très frustrée. Et Dry de PJ Harvey est sorti. Ce fut un choc. Ça, ça me parle ! Je suis assez duale et ce disque a été une révélation. C’est une musique à la fois masculine et féminine… Tout me parle. J’adore les contrastes de ce disque. Je ne suis pas fanatique de qui que ce soit mais je n’ai jamais oublié ce disque et PJ Harvey. Mon précédent disque est à l’opposé de ce Father. J’avais peur que ce disque sonne mal. Je suis entré en contact avec quelqu’un pour le mastering de Beau Oui comme Bowie. Et on a discuté de Father. Comment le faire sonner ? Soul ? Americana ? Je ne savais pas quoi décider. Du coup, je me suis dit que Nick Cave pouvait m’aider. Je lui ai donc écrit une grande lettre. Au même moment, j’ai travaillé sur Beau Oui comme Bowie et le nom de John Parish est réapparu. La personne en charge du mastering le connaissait et savait que j’aimais son travail. Six semaines se sont passées. Et j’ai reçu un mail de John… Ce dernier m’a écrit pour me dire qu’il adorait ce projet. La même semaine, le Centre Pompidou m’a appelé pour ouvrir l’exposition Walker Evans et Mondino m’a mailé pour me proposer de faire la pochette après qu’il ait entendu les maquettes. Et puis Nick des Yeah Yeah Yeahs a accepté de venir jouer de la guitare sur quelques morceaux.
Quelle semaine !
Elle m’a convaincu de faire ce disque.
Combien de temps a duré l’enregistrement de ce disque ?
Deux semaines ! Une semaine pour l’enregistrement et une pour le mix.
Et peux-tu m’en dire plus sur la larme qui coule le long de ton visage sur la pochette réalisée par Mondino ?
Je sais que ces larmes ont une signification dans les prisons américaines. Chaque larme a son symbole. Les larmes pleines ne veulent pas dire la même chose que les larmes vides.
Je n’ai pas voulu faire ça pour dire que j’avais tué quelqu’un ! On pourrait penser que je tue mes fantômes en créant mais ce n’est pas ça du tout.
La séance photo a été le résultat d’un long cheminement de questions avec Mondino. Au départ, nous sommes partis sur quelque chose qui se rapprochait d’Eva Gardner. Quelque chose de très Hollywood, très années 40. On s’est dit qu’il fallait quelque chose de différent. J’avais pensé à faire une larme avec une lune dedans. Pour symboliser la tristesse. Mais cela ne fonctionnait pas. Il voulait un symbole masculin comme une moustache… J’avais pensé à faire une couronne de fils de fer avec une larme mais il n’a pas été convaincu. C’est assez premier degré au final.
As-tu eu des modèles pour enregistrer ce disque ?
Oui ! Mais je viens seulement de l’écouter. Je savais qu’il m’avait influencé car je le possédais mais je ne l’avais pas écouté. Ce disque évoque des souvenirs assez douloureux et ce disque n’est pas une thérapie. J’étais en tournée et Thibault, mon guitariste, m’a posé des questions sur mon père. On a eu une grande conversation à propos de lui. Peu de temps après, je suis allé voir Lucinda Williams. J’ai pleuré pendant un tiers du concert. J’ai déménagé deux semaines plus tard… J’ai construit les chansons de Father à ce moment. Huit chansons sur mon père sont apparues grâce à ce concert. Et lors de concert, j’avais acheté son dernier album. Mais je ne l’avais pas écouté jusqu’à ce week-end. Ce disque parle de la mort d’un être qu’elle a aimé. Sans avoir compris, ce disque et son concert m’ont donné la permission de faire Father. Ainsi que la conversation avec Thibault !
Tu as écrit ce disque en France ?
Oui. Mais les huit morceaux ne sont pas tous présents sur Father. Six seulement apparaissent sur le disque. Et le reste de l’album a été composé en amont en Californie. C’est John qui a fait le choix des morceaux. Je lui ai laissé le choix. Et comme il est très têtu… Aucune négociation a été possible.
Quel est le meilleur souvenir de l’enregistrement avec John ?
Tout a été très émouvant. Un mot revient souvent… Patience. Il s’agit du prénom de la septième (et dernière) femme de mon père. Elle s’appelle Patience Prudence Christ. Elle était pâtissière et elle vit aujourd’hui en Ecosse. Elle est venue vivre l’enregistrement avec nous. Pour la première fois, j’ai une relation positive avec un adulte. Elle m’a soutenue pendant toutes les phases de l’enregistrement. Elle nous a fait les meilleures pâtisseries. On a beaucoup échangé et parlé de mon père. Et pris quelques kilos. Elle est devenue très amie avec John. Il l’avait connue à travers les morceaux. Et il l’a découverte en vrai après. Je me suis rendu compte que John avait l’âge pour être mon père. Il est d’ailleurs le modèle du père parfait. Il m’a soutenu et m’a fait dépasser mes propres limites. Du coup, vivre avec Patience et voir John sous l’angle paternel. Cet enregistrement a été fantastique.
Brisa Roché - Father
Father de Brisa Roché est disponible via Black Ash/Wagram.
Brisa Roché sera en concert au Café de la Danse (Paris) le 3 octobre 2018.
- 48
- Fuck My Love
- Patience
- Cypress
- Engine Off
- Cant Control
- Black Mane
- Before Im Gone
- Holy Badness
- Blue Night
- Carnation
- Trout Fishing Again