On avait vu Her au TINALS à Nîmes en 2016 où le concert avait déjà été assez magique, vous rentrez de Londres, comment a été l’accueil là-bas ?
On a la chance d’avoir toujours été très soutenus par l’Angleterre, en tout cas par Londres mais aussi les Etats-Unis à New York et Los Angeles et cela nous a beaucoup aidés au début du projet. Avec les plateformes de Streaming, on peut voir désormais qui écoute et on a remarqué que beaucoup venaient de là-bas et l’on s’est dit bon ok, il faut que l’on se jette dans le grand bain. Au début c’était de très petites jauges et l’on a pu annoncer complet ce qui a fait beaucoup de bien à Her pour prendre confiance.
Discographie
HerIl y a une vraie montée en puissance, au début vous étiez un peu secret, il n’y avait pas trop d’informations pour les néophytes qui ignoraient votre passé Popopopops, c’était volontaire ?
Totalement, on voulait vraiment que le public se fasse une opinion sur nous sans que cela soit biaisé par une image due à du marketing. Pendant plusieurs mois on a refusé d’avoir des photos de presse, on avait uniquement un visuel et un titre.
Justement cette photo que vous avez pour la pochette n’a jamais posé de soucis avec les algorithmes de Facebook ?
Non, ou peut-être en Angleterre cela a été davantage compliqué car les mœurs sont assez différentes notamment par rapport à la nudité, au langage vulgaire. Mais globalement on n’a pas eu trop de soucis. Un truc un peu drôle, on est assez attaché à la cause féministe, Simon et moi, et on a eu l’occasion d’être ambassadeur de la campagne He for She de l’ONU, et ce qui est paradoxal c’est qu’il y a eu une association qui avait fait une campagne d’affichage dans une ville où l’on jouait pour presque faire interdire le concert. Ce n’était pas en France et c’était un mouvement assez extrême. C’était surtout parce qu’on était des hommes alors que les FEMEN passent leur temps à être seins nus.
Alors c’est amusant car quand j’ai découvert pour la première fois votre visuel pour la Her Tape #1, je l’ai tout de suite associé à la couverture du livre de Bénédicte Martin, La femme aux éditions Equateurs, livre féministe et passionnant. Et en exergue du chapitre consacré aux FEMEN justement, il y a une citation de San Antonio : « Que je les comprends pas, ces connasses rebiffeuses de vouloir se faire les égales de l’homme, alors qu’elles lui sont tellement supérieures ! » Quel est votre engagement féministe car le mot est aujourd’hui galvaudé ?
C’est fort et inattendu de sa part ! Justement ce qui me gêne et que je trouve dommage c’est qu’il puisse y avoir encore un débat sur la définition du mot féminisme alors que pour moi c’est une évidence, l’égalité entre les hommes et les femmes, autant dans le monde du travail que dans l’intimité d’un couple. Et même en France on en est encore loin, en politique, même dans le monde de la musique par exemple, il y a très peu de femmes dans les labels qui ont des postes à hautes responsabilités Et donc je trouve dommage que l’on n’arrive pas à s’accorder sur une définition très simple pour avancer.
Y-a-t-il une femme que tu admires plus particulièrement ?
La femme que j’admire le plus c’est ma femme ! Mais récemment j’ai vu un documentaire sur Nina Simone que j’ai trouvé très fort, très poignant, un peu morbide aussi mais tu sens que c’est une femme qui était incroyablement forte, et qui a essayé d’accomplir des choses dans sa vie malgré sa couleur de peau, son sexe à l’époque, dans les années 60 et même ensuite sa bipolarité, c’est vraiment une femme qui s’est battue toute sa vie pour être libre.
Alors tu évoques Nina Simone qui est peut être une influence pour Her, mais comment vous êtes passés de The Popopopops plein de couleurs au noir et blanc de Her ?
Je pense que ce qui était important à ce moment-là, c’était de réaliser ce qui était la source de notre passion musicale. On est revenus un peu à nos origines, et c’était le blues, et l’improvisation et le jazz. Et le fait de réussir à se réapproprier son instrument et à le déformer un petit peu. Et je pense que cela demande une certaine maturité pour cela, pour savoir d’où l’on vient, ce que l’on veut faire. Les Popopopops, c’était beaucoup moins réfléchi, beaucoup plus spontané, plus jeune.
Aujourd’hui, beaucoup de groupes qui ont commencé en anglais se mettent à chanter en français, vous non.
En fait ce que l’on a essayé de faire avec Simon c’est au maximum de se détacher des tendances et des modes. La pire chose que l’on puisse nous dire c’est que l’album ressemble à tel truc qui se fait maintenant. Nous, on voulait vraiment réussir à avoir une certaine réflexion pour puiser dans des influences qui ne sont pas forcément dans l’air du temps mais qui soient les nôtres. Après tant mieux si c’est dans l’air du temps aussi mais ce n’est pas ce que l’on cherchait. Ce que l’on voulait et sans aucune arrogance, c’était de faire une musique qui puisse durer un peu. Le problème des modes c’est qu’elles sont éphémères, par exemple quand il y a eu une vague de groupe années 80 très identifiés, en réécoutant cela un peu mal vieilli. Donc on voulait vraiment prendre du recul par rapport aux modes. Il y a peut-être plus de français mais ce n’est pas forcément une mode.
Vous avez justement un morceau, On & On avec l’Allemand Henning May (AnnenMayKantereit) et le jeune rappeur belge Roméo Elvis qui mêle le français à l’anglais.
Alors c’est un titre qui s’est fait sur le tas, on était en tournée avec AnnenMayKantereit qui sont des super stars en Allemagne et qui nous ont fait confiance, on a joué à Berlin devant 10 000 personnes et on a décidé la veille de faire du studio ensemble. Cela s’est fait avec beaucoup de spontanéité, j’ai même gardé les voix de la démo d’Henning May, ce sont les mêmes que l’on entend sur le premier couplet, j’ai voulu préserver sa voix incroyable au maximum. Il est très talentueux.
Ce morceau est un peu à part car il lorgne du côté du hip hop avec Roméo Elvis, vous allez aller vers cela ?
Je ne sais pas trop, c’était une rencontre, on verra. Moi je me laisse un peu guider par la musique. Ce que l’on avait fait en fait avec Simon, pour réussir à créer une identité sonore assez forte, c’est que l’on avait composé plus de trente titres, avant même d’en sortir un. Et dans ces trente titres on avait pu remarquer que dans 15 titres ou peut être un peu moins, il y avait vraiment une identité sonore forte avec des gimmicks qui revenaient de façon récurrente. Et on s’est dit que l’on avait quelque chose. Et là c’est ce que j’essaye de faire en ce moment. De multiplier les collaborations, d’écrire, de composer, d’avoir beaucoup de matière.
Her – On & On (avec AnnenMayKantereit & Roméo Elvis)
Et l’on te demande décrire, de composer pour d’autres ?
Oui, cela commence, et j’adore cela. Cela peut être sous plusieurs formes, parfois mon nom n’apparaîtra que dans les crédits, parfois cela sera ma voix, je peux écrire, composer mais aussi produire la musique.
Alors justement en parlant d’écriture peux-tu nous parler de ce morceau, Icarus qui est un titre particulier ?
Oui, on avait une relation avec Simon très exclusive, on travaillait énormément que tous les deux. Et Icarus c’est vrai que c’est un peu le premier titre que j’ai écrit et composé sans lui et que je lui dédie, tout le texte est pour lui. Cela m’a fait bien sûr très bizarre. C’est quelque chose de complètement nouveau pour moi que je continue de vivre et d’expérimenter. Je dois aussi apprendre à me redéfinir.
Her – We Choose
Évoquons aussi l’ouverture du disque avec We choose ?
On savait exactement ce que l’on voulait pour ouvrir et conclure le disque. We Choose et Good Night sont très importants. Cela devait être le début et la fin de l’album avec ce saxophone qui revient, très entêtant. Et puis We choose c’est notre philosophie, la mienne aujourd’hui, c’est-à-dire de toujours essayer de se relever, parce que tant que l’on ne renonce pas, on n’abandonne pas. Et choisir, choisir c’est cela. C’est essayer encore et encore et c’est le premier titre que l’on a écrit avec Simon après les Popopopops. Et c’est pour cela qu’il y a ce For Him final qui est un couplet extrait d’Hypnotise Me des Popopopops.
J’ai tendance à être un peu comme un feu d’artifice
Quand tu parlais de relation exclusive, de complémentarité, est-ce qu’il y a quelque chose que tu aimais toi et pas Simon et vice versa ?
Je ne sais pas trop, je pense qu’il y a un truc que je faisais et que Simon détestait, mais je sais pas si je l’aimais, c’est que j’ai tendance à être un peu comme un feu d’artifice, à partir un peu dans tous les sens, à changer d’avis trop vite. Je peux m’emballer et dire que cette musique est super, boire une bière, faire une pause et dire, « c’est nul on jette tout ! » Et l’on repart de zéro. Et Simon il était assez bon pour me cadrer par moment. Mais après on a vraiment créée une relation complexe, car avec le temps et l’expérience, nos rôles parfois s’inversaient. Et puis on est devenus très indépendants, on a construit notre identité d’artiste pas qu’à travers l’autre. C’est pour ça que je suis parti vivre à Paris. Mais c’est vrai que mon côté versatile pouvait le rendre un peu dingue ! Et je lui expliquais que pour écrire quelque chose d’intéressant, il faut passer par cette phase chaotique où l’on peut partir dans toutes les directions, il faut les essayer et ne pas être angoissé par le chaos. Ce n’est pas grave de ne pas avoir de solution immédiate. Il faut se détacher de cela et se laisser aller et proposer des idées presque qui nous dépassent. Souvent l’idée sort toute seule et ensuite on la retravaille. Et je suis souvent stupéfait de voir que cela marche.
Tu as une formation classique ?
Oui, je suis passionné de piano, d’harmonies, je compose aussi pas mal de musique classique qui font des interludes sur les EP. Je suis allé récemment écouter Bach, Mendelssohn et Beethoven et c’était magique. J’adore Bach, après c’est très agréable d’écouter Satie, c’est de la musique que ma maman me faisait écouter. Et puis bien sûr le plus grand certainement, Mozart, car sa musique est tellement populaire, elle a traversé le temps.
Et le saxophone ?
Pour moi cela peut être autre chose que Georges Mickael, c’est surtout pour mettre en avant nos influences jazz mais aussi hip hop. Dans l’avant dernier album de Kendrick Lamar il y a beaucoup de saxophone et c’est magnifique. Mais c’est un instrument à prendre avec des pincettes.
© Fabrice Buffart
Un petit quizz simple, es-tu plutôt Her De Spike Jonze, (avec Karen O dans la BO), And I love her des Beatles ou From Her To Eternity de Nick Cave ?
Je pense que je dirais And I love Her, c’était une des chansons préférées de Simon, on l’écoutait beaucoup.
Vous jouez dans beaucoup de salles qui affichent complet, vous allez jouer aux Nuits de Fourvière le 17 juin à l’Odéon et cela a été complet en 15 jours. Comment vous le vivez ?
C’est juste incroyable, tellement magnifique et cela me redonne tellement de force. Car cela été vraiment dur de finir l’album et d’imaginer une tournée. Il s’est passé énormément de choses et c’était très dur sans Simon. J’ai beaucoup hésité. Et de voir qu’il y a autant de monde, c’est vraiment magique. Mais il fallait essayer, et le titre Trying au cœur du disque prend alors tout son sens. Tout l’album est tourné vers la vie et c‘est notre philosophie aussi sur scène.
Vous travaillez la scène comment justement ?
L’idée c’est d’être le plus épuré possible, ne pas avoir d’ordinateurs, de bandes. On s’interdit une tablette ou un téléphone, il faut faire de la musique ensemble. C’est pour moi le principe de la musique qui doit être jouée avec des gens et être communiquée. L’essentiel c’est d’avoir un échange et de prendre du plaisir sur scène. Et du coup c’est cela aussi qui est beau car chaque concert est différent. Et puis on est arrivés avec une proposition artistique qui était à l’opposé de ce qui pouvait être attendu, chanter en anglais, de la musique en groupe, être bien allergique aux réseaux sociaux et à cette individualisation extrême que l’on voit aujourd’hui. Et garder du mystère aussi, je suis très attaché à l’intimité, ne pas tout dévoiler en tant qu’artiste. Ce que je recherche moi personnellement chez d’autres, c’est l’authenticité, une fragilité, quelque chose de tourné vers les autres. Quand les artistes parlent trop d’eux-mêmes, cela me renvoie à ces trucs sur Instagram. Mais par exemple un titre qui m’a complètement laissé bouche bée récemment, c’est Ailleurs de Grand Blanc. Ce n’est pas du tout ce que j’écoute, il est très années 80 mais il a un côté fragile, libre et personnel qui me bouleverse.
Grand Blanc – Ailleurs
Et dans un autre genre il y a Kendrick Lamar, All The Stars pour la BO du film Black Panther, c’est totalement mainstream mais cela me touche. SZA qui chante sur ce titre me fascine, elle arrive sans rien en studio, elle écrit ce qui lui vient, des paroles très brutes et très intenses, sans forcément de rimes, j’admire beaucoup, ce n’est pas du tout ma façon d’écrire qui est très intellectuelle avec des références et des doubles sens. Quand elle chante « This maybe the night that my dreams might let me know, All the stars are closer », il y a un truc incroyable.
Kendrick Lamar, SZA – All The Stars
Il y a aussi un truc incroyable dans votre disque, c’est ce riff de guitare, ce son qui revient sur plusieurs titres ?
On a passé beaucoup de temps avec Simon sur la recherche de sonorités, je pense que l’angoisse de tous les artistes qui veulent percer, c’est de passer inaperçu. Il y a des nouveautés toutes les semaines donc il faut réussir à se démarquer, avoir des partis pris très forts dans l’image, la musique et en fait c’est Simon qui était obsédé par des pédales d’effets mais aussi par des références de sons comme Les Kills, comme Late of the Piers ou le projet solo de Samuel Eastgate, La Priest qui a des lignes de guitares incroyables. Et un jour Simon a découvert une pédale de guitare qui imite une Leslie et là, c’était parti ! Et on retrouve ce son sur plusieurs morceaux du disque comme On & On, Neighborhood et bien sûr sur Five Minutes.
Her – Five Minutes
Une dernière question puisque vous jouez aux Nuits de Fourvière, qui iras-tu écouter dans cette programmation 2018 ?
Alors on aime beaucoup Juliette Armanet, Ibeyi, Gaël Faye. Oh je vois les mythiques Marquis de Sade ! Et Massive Attack est une énorme influence de Her dans les boites à rythmes, l’énergie hip hop, Jack White bien sûr pour les guitares c’est aussi important que les Kills. Alalalah ! Massive Attack ou Marquis de Sade, c’est très dur de choisir ! Mais par amour de Rennes, Marquis de Sade ! On était tellement fans avec les pops, cela nous faisait rêver et maintenant on vit notre rêve ! En ce moment je suis obsédé par Picasso qui disait qu’il avait passé toute sa vie à essayer de peindre « comme l’enfant qu’il était » et c’est tellement la clé pour rester, et ne pas être blasé. Je ne cherche pas de peindre ce que je vois, mais j’essaye simplement de partager ce que je ressens.
Plus d’informations sur la page Facebook d’Her ou sur leur site : thebandher.com
Merci à La Belle Electrique pour son formidable accueil.
Her – Five Minutes (#JAMINTHEVAN)
Her - Her