Ce soir-là, j’étais chez elle. Son petit studio s’agrandissait et se refermait à grands coups d’ombres mouvantes et de bandes lumineuses, aspirées soudainement derrière chaque relief, pour rejaillir brutalement, au rythme de nos passages devant le néon de la kitchenette. Mais soudain, un bruit net… Une chute. Ou un atterrissage. Cela venait de derrière. Et entre le frigo et le mur, tombé de je ne sais où, un disque, verticalement posé en majesté… Klaus venait d’apparaitre ; vêtu d’écarlate et nous ouvrant ses bras. Le bougre attaquait fort, et sur la pochette en lettres tremblantes, nous criait Encore !
Oui, Klaus avait soigné au poil son entrée. Tout collait. Ce disque, caché derrière depuis combien de temps, mais subitement tombé là, et désormais à nos pieds. Le frigo. L’instant d’avant, nocturne et étrange. L’exclamation. L’angoissant visiteur… Il manquait la bande-son, et Klaus l’apportait avec lui. Presque, il nous invitait. Pourtant il avait beau avoir soigné son entrée et sorti son plus beau costume, tout dans sa mise inspirait un minimum de prudence. L’œuvre paraissait soit sotte, soit sauvage. Et ses yeux bien trop grands, soulignés de rouge, surlignés de noir, son visage noyé de blanc, autorisaient légitimement la réflexion. L’encourageaient même, et vivement. En d’autres termes, ça fleurait bon la flippe. Et malgré l’habit de fête, les dorures, le tissu épais, et la coupe pétard, rien dans sa carte de visite ne respirait vraiment la folle déconnade. Et ça m’a plu.
Ce fut seulement le surlendemain que je mis dans ma platine l’étrange disque. Dès les premières chansons, je crois me souvenir avoir adoré. Baroque et grandiose, précieux et ridicule. Bouffon d’opérette génial, clown lunaire, martien prussien. Pulsions de vie. Putain, ce fut beau.
Klaus Nomi – Total Eclipse
Descendu d’une soucoupe et remonté aussi vite, il n’avait pas fallu traîner pour savoir apprécier Klaus Nomi, extraterrestre aussi inquiétant que fascinant. Car il n’y eut pas de rappel. 1981, premier album. 1982, le deuxième. Et 1983, la mort. Et une compilation posthume, Encore !.
Quel bel aperçu. La Castafiore en noir et blanc, Buster Keaton en couleur, tour à tour et en même temps, Klaus Nomi pourrait être ça. Il pourrait être. Il pourrait bien être autre chose. Il pourrait bien être tout, qu’il serait probablement encore ailleurs. Et peut-être nous. Raccroché à tant de choses, c’est le chant d’une vie. Et surtout de celles qui savent qu’invariablement elles seront toujours trop courtes. Son Cold song, classique planétaire, variation sur un opéra de Purcell, est la musique des enterrements, et des jours de pluie. C’est la bande-son des amours comme des montées d’échafaud. Un travelling arrière que l’on aurait envie de faire en marche avant. Car on sait où tout cela nous mène. Bien trop vite. Mais avant, en condensé, Cold song parle jusqu’au bout des moments serrés, les souvenirs, ce qui nous reste d’épopée. L’oraison funèbre, si vite, juste après l’étreinte. L’épitaphe est écrite. Mais alors, mais alors pourquoi entend-on encore les rires ? Pour avancer. Toujours. Oui, tout ça, et le cœur qui bat. Une dernière fois. Encore…
Klaus Nomi – The Cold Song
- Fanfare
- The Cold Song
- Total Eclipse (Live Version)
- Can't Help Falling in Love
- Simple Man
- Wasting My Time
- Wayward Sisters (From Dido & Aeneas)
- Ding Dong
- You Don't Own Me
- Der Nussbaum
- Lightning Strikes
- The Twist
- Samson and Deliah (Aria)