Certains évoquent Montand, d’autres Bashung… Les plus américains pensent sûrement à Bill Callahan et les plus poètes pensent à Kozelek. Ce qui est sûr c’est que Belin change de calibre avec ce disque. Baladant sa voix dans les rues de Paris ou au hasard de quelques ronds-points squattés par des anonymes vêtus de jaune, Belin livre un disque complexe, brut dans lequel on aime se réfugier. Pour les plus impatients que ne peuvent pas attendre vendredi pour écouter Persona, allez voir Ma Vie Avec James Dean au cinéma. Belin a composé la bande originale du film et joue dans cette comédie loufoque qui parle d’amour et de cinéma.
Bertrand Belin – Nuits bleues
Tu as enregistré ce disque à Montreuil alors que tes deux derniers albums avaient été enregistrés à Sheffield. Pourquoi ce retour ?
Discographie
Bertrand BelinBertrand Belin : Je n’allais pas refaire le même disque… Je n’ai jamais quitté Montreuil à vrai dire car c’est là où je travaille. J’ai donc commencé l’enregistrement du disque à Montreuil. C’est d’ailleurs ce que j’avais fait pour mes précédents disques. Partir à Sheffield était en réalité le prétexte pour vivre une aventure humaine mais partir à Sheffield signifie aussi arriver dans un studio et enregistrer le disque en 10 jours. C’est à la fois contraignant et excitant. Pour Persona, j’ai commencé à travailler avec Thibaut Frisoni, qui joue avec moi sur scène, et j’ai commencé les arrangements. On a bien avancé le travail. Ce n’était pas la peine de partir ailleurs au final. Le disque était là. On a donc décidé de rester sur place. Le vrai voyage a été celui du temps.
As-tu importé des méthodes de travail que tu avais apprises à Sheffield ?
Non, j’ai pas du tout pensé à ça.
Ce n’est donc pas un disque de Montreuil ?
Non, non du tout. Cela voudrait dire qu’il a quelque chose de « montreuillois » et ce n’est pas le cas.
Il a été enregistré sur un temps assez long ?
Il a été préparé sur un temps assez long. Mais nous l’avons enregistré en un mois.
Et cette place en synthés… Pourquoi leur avoir donné une nouvelle place ? Il y a eu un élément déclencheur ?
Il n’y a pas d’élément déclencheur. Tout est venu de Thibault Frisoni qui a une passion pour ses instruments et qui les pratique. Il a invité ces timbres progressivement dans ma musique. Je ne me suis pas dit : « Je vais faire un disque avec des synthés ». Certes c’est le résultat mais il n’y a pas eu de préalable.
Pas de préalable ?
Si, le désir de renouvellement qui implique une curiosité… Et d’avoir l’esprit ouvert à la survenue de nouveaux moyens.
Comme certains films ? Comme certains Disques ?
Non… Pas au niveau du cinéma. Des expériences que j’ai eu avec les Limiñanas. C’est une digestion. Il n’y a que moi qui le sait. J’avais de l’appétit pour faire de la musique. C’est lié aux rencontres. Il y a les Limiñinas mais il y a aussi Gavin Bryars. J’ai travaillé avec lui sur un opéra. Je jouais le rôle de chanteur. Il a une approche différente et un talent incommensurable. Il met en musique la prose de manière très excitante. Il met en musique des textes qui ne sont pas destinés à être chantés. Ils ne sont pas construits selon les critères classiques de la pop musique. Il arrive donc à faire naître des moments de musique d’une autre nature. Tu peux entendre son influence dans « En Rang », la chanson qui termine l’album.
Tu aimes enregistrer des disques ?
Oui !
Qu’est-ce que tu aimes dans l’acte d’enregistrer de la musique ?
J’aime bien la dimension chimique, la réaction des timbres et des harmonies. Créer des surgissements, essayer d’obtenir des satisfactions liées à l’harmonie, aux rythmes… Cela provoque du plaisir. J’aime le studio pour ça et pour l’aventure amicale qui en découle.
Et tu en as besoin rapidement de cette satisfaction ?
Non, je peux attendre. Cela ne me stresse pas. Il y a parfois des chansons récalcitrantes qui mettent du temps à venir. Je crois en elles mais le moment n’advient pas. Il arrive parfois que… C’est comme une chasse au trésor au final. On creuse mais on ne trouve rien. Et tu peux découvrir, par hasard, une petite perle. Il faut reconnaître que certaines chansons finissent par apparaître et arrivent à trouver leur place grâce à la persévérance. Il n’y a aucun plaisir si ce n’est celui de la recherche.
Tu apprécies le fait d’écouter ta voix ?
Je n’ai pas de problème avec ça.
Et quelles relations entretiens-tu avec ta voix ?
Au studio, je n’ai aucun souci sur le fait de m’entendre chanter. Par conte, je suis horriblement gêné si j’entends une de mes chansons dans un bistrot ou si des amis mettent un de mes disques.
La pochette est signée Rémy Poncet (Chevalrex). Tu lui as laissé carte blanche ?
Totalement.
Comment vous êtes-vous rencontrés ?
Je l’ai connu il y a quelques années. Quand il avait fait la pochette d’un disque d’Arlt. On s’est croisé dans les concerts et nous avons des amis en commun. Je me suis penché sur son travail et je me suis rendu compte que c’était un artiste plein de talent. C’est quelqu’un a qui tu dois laisser carte blanche quand tu travailles avec lui. Il y avait juste une photographie de Bastien Burger qu’il a dû intégrer à son travail. C’est un élément somme toute assez classique.
C’est un disque qui est marqué par la ville. Quelles relations entretiens-tu avec l’urbanité et ta vie parisienne ?
Je pense que j’ai une relation…. Je continue à penser que je suis de passage. Je suis très attaché à ma région natale. J’ai y grandi et je ne me vois pas ne pas y retourner. Remarque, ça va bientôt faire 30 ans que je vis à Paris ; le passage commence à durer. J’accepte la ville comme vérité. C’est magnifique une ville. C’est bouleversant tous ces gens qui se croisent sans se parler, qui prennent les transports en commun et qui vivent les uns sur les autres. On est des millions en Île de France et tout se passe relativement bien. Je trouve cela totalement magique. C’est un endroit où se brisent les destins et où persistent des histoires vrillées. Cette cohabitation qui entraîne un qui-vive, une vigilance de tous les instants. Mais je pourrais perdre rapidement cette vigilance si je venais à quitter Paris. Je me concentrerais sur autre chose comme la pêche s’il fallait pêcher. Il y a des milliers de gens qui vivent isolés et qui sont éloignés de la ville. Ils vivent, par exemple, sans qu’on leur demande l’aumône. Moi je veux vivre en ville pour être au courant de la marche du monde tout en ayant conscient que je peux me passer de cela.
Certains textes sont directement inspirés de l’actualité. Je pense à De Corps Et D’Esprit qui évoque le destin d’un migrant.
Non, ce n’est pas crypté. C’est quelqu’un qui cherche un pays. C’est assez évident.
Elle t’a été inspirée par l’actualité récente ?
Par l’actualité oui, pas par l’actualité récente. Je réponds juste à des questions posées par la guerre, la fraternité… C’est l’expression de ma sensibilité et de ce qui me touche en premier dans le monde dans lequel je vis. Je ne suis pas inspiré par mes vacances. Beaucoup de gens ont des vacances, d’autres n’en ont pas. Mais ce qui me travaille, ce n’est pas mes vacances. Je ne vais pas raconter quand je me suis baigné… Je suis inspiré par les choses que nous avons en commun. Et je reprends peut-être une forme ancienne de la chanson qui revendique certaines choses. Il y a aussi la question du destin, de la glissade. Tous ces gens que tu vois dans rue sont des gens qui ont connu des conditions de vie bien meilleures avant d’y être.
Trois clips sont sortis jusqu’à maintenant.
Ils ne sont pas du même registre. J’ai été impliqué disons de manière différente. Pour le clip de la chanson Choses Nouvelles, j’ai fait appel à Yann Garin. J’ai dessiné les masques. Mais Yann, qui filme des skaters, a l’habitude de filmer la ville à hauteur d’un mètre. Il y a énormément de choses à voir à cette hauteur. On peut y voir des skaters. Mais pas que… J’avais envie de ça. Le désir de collaborer est fort. Je ne suis pas un gardien de mon image. J’aime voir ce qui découler de la rencontre. Je suis musicien et auteur. Je ne fais de photographie… Je dois m’en remettre à des gens. Parfois je vais avoir une intuition et faire le clip comme Sur le Cul. Je crois à ce qui m’arrive.
Bertrand Belin – Sur le cul
Si on reste dans le champ de l’image… Tu joues et tu as écrit la bande originale du nouveau film de Dominique Choisy, Ma Vie Avec James Dean, c’est la première fois que tu écris une bande originale de film ?
Non, non, ce n’est pas la première fois. J’ai eu la chance de participer au tournage. Son cinéma a une esthétique très particulière tout comme son approche du drame. Son humour, sa notion de l’étrangeté.. J’aime tous les aspects de son cinéma. Il a une notion très pointue du cadre et de l’image. C’est très fort. Et surtout son cinéma accueille généreusement la musique. Il accueille notamment de deux mes chansons.
Ma vie avec James Dean – Bande Annonce
Ah oui ?
Attention, je ne me serais jamais permis de lui proposer de deux mes chansons. C’est Dominique qui me l’a demandé. Il y tenait vraiment. Pour le reste, j’ai travaillé avec des images et le scénario.
Persona le nouvel album de Bertrand Belin sort le 25 janvier prochain chez Cinq7.
Bertrand Belin - Persona
- Bronze
- Grand Duc
- Choses Nouvelles
- Sous Les Lilas
- Sur Le Cul
- Camarade Vertical (Dindon)
- Nuits Bleues
- L'opéra
- En Rang (Euclide)
Bertrand Belin publiera également son troisième roman Grands Carnivores le 24 janvier chez P.O.L., il est aussi l’auteur de la B.O du film Ma vie avec James Dean de Dominique Choisy le 23 janvier et en tournée dans toute la France dont Le Toboggan à Décines le 13 mars et l’Olympia le 11 avril.