Chokebore, A taste for Readers

Chokebore © Magali Boyer
Aimer la musique de Chokebore en 1995, c'était se condamner à... aimer la musique de Chokebore. Il y a 24 ans, on allait religieusement à la FNAC acheter Anything Near Water en espérant que celui-ci soit un prix vert et on rentrait à la maison écouter sereinement ce groupe. Et puis ? On allait ensuite à la maison de la presse feuilleter Rock & Folk et Magic RPM pour espérer en savoir plus sur ce groupe dont le leader avec un état-civil singulier et dont Kurt Cobain était fan. Si on était chanceux, on pouvait lire une pleine page signée Jugé ou Greib.


Thierry Jourdain fait donc un joli pied de nez au sort avec son troisième ouvrage. Avec Days Of Nothing, Jourdain retrace l’histoire de ce groupe qui a débuté à Honolulu et qui marqué durablement le paysage sonore des années 90. Pour recoudre ces morceaux du temps passé, Thierry Jourdain a retrouvé les membres de Chokebore et entame une discussion au long cours avec eux. Grâce à ces 214 pages (oui, quand Thierry Jourdain écrit, il écrit vraiment), on file dans les coulisses, les studios, le van de tournée, l’Europe que Chokebore a écumée pendant des années. Et en plus d’être un livre recelant de découvertes, Days Of Nothing est un régal pour les yeux. Jourdain a eu la belle idée d’intégrer à son livre les clichés de Magali Boyer.
Et une bonne nouvelle n’arrivant jamais seule, Vicious Circle vient d’annoncer la sortie d’un nouveau disque solo de Troy Von Balthzar. Elle est pas belle la vie ?

Thierry Jourdain

Days Of Nothing est ton troisième ouvrage. Tu as écrit sur Elliott Smith et Bruce Springsteen… C’est désormais sur Chokebore. Ce groupe semble avoir une place privilégiée dans ton parcours musical (voire ta vie). Peux-tu revenir sur les liens qui t’unissent à ce groupe ?

Thierry Jourdain : Comme beaucoup d’amis, j’ai découvert Chokebore grâce à Jean-Christophe Aplincourt lorsqu’il était directeur et programmateur de l’Abordage et du Rock dans tous ses états à Évreux dans les années 90. Un choc évidemment. Il se dégageait de ce groupe sur scène une mélancolie extrême mêlée à une sorte de dangerosité, un sentiment que ça pouvait exploser à tout moment mais que la violence était malgré tout contenue tant bien que mal. Un OVNI, ça semblait une question de vie ou de mort. Je ressenti assez peu souvent cet équivalent … Il y a eu Joseph Arthur, également grâce à l’abordage et le Rock dans tous ses états, mais ça c’est une autre histoire. Comme je peux l’esquisser dans l’introduction du livre, J’ai rencontré et commencé à découvrir qui était réellement Troy Von Balthazar en 2008, la première fois où je l’accueillais pour le faire jouer. A une époque où nous n’avions pas encore de SMAC à Rouen, où Jean-Christophe Applincourt était donc encore à Evreux, et où les lieux alternatifs de concerts se mourraient, à l’instar d’une autre association (Avis de Passage) j’avais créé avec mon ami Freddy Lamme, « Europe and Co » qui se démenait pour accueillir et faire jouer des artistes que nous n’aurions sinon jamais vu dans notre ville et plus généralement en Haute-Normandie. Grâce à Pierre-Yves, un autre ami rencontré à un précédent concert que j’avais organisé (Joseph Arthur, mais ça c’est une autre histoire), grand fan et proche de Troy, et avec l’aide de Clotaire Buche, grand ami de Troy et à l’époque faisant office pour lui de manageur et de tourneur, j’ai ainsi pu accueillir le bonhomme pour la première fois à Rouen le 29 novembre 2008. C’est aussi comme ça que j’ai eu la chance de découvrir le magnifique travail photographique de Magali Boyer puis devenir ami avec elle. Au moment de trouver, comme d’habitude, une image pour faire le flyer de la soirée, je suis tombé sur tous les clichés qu’elle avait pu faire de Troy depuis quelques années.La venue de Troy à Rouen est, depuis, un rendez-vous régulier à chaque sortie (ou non) d’album. Il m’a bien fallu quelques années et plusieurs rencontres pour pouvoir dire aujourd’hui que je le connais bien et le comprends.

Discographies

Tu es forcément plus proche des membres de Chokebore que de Springsteen et de Smith. Pour des raisons différentes évidemment… Comment as-tu géré ce lien de proximité et et ton processus d’écriture ?

Connaître les personnes sur qui on écrit est forcément beaucoup plus compliqué, voire complexe. On a envie d’être à la hauteur de ce qui nous lie. J’ai eu la chance qu’on me fasse confiance et que quelques-uns des membres du groupe se soient même extrêmement impliqués dans la confection du livre, à commencé par Troy mais également Christian, le batteur emblématique du groupe, et Johnnie, le tout premier à avoir été derrière les futs avant même que Chokebore ne s’appelle Chokebore. Les frères Kroll, résidant depuis des années en Allemagne et n’étant absolument pas réactifs ni intéressés par les réseaux ou internet, je n’ai eu que leurs accords et approbations pour faire le livre, il n’y a malheureusement pas eu d’échanges aussi étroits et réguliers qu’avec Troy. Avec Troy, cela fait plusieurs années que nous avions commencé des séances d’entretiens, qui se sont rapprochés et multipliés quand j’ai commencé à avoir ce projet de livre. Au moment de me lancer, j’ai choisi de ne pas écrire en pensant à eux et à la pression éventuelle du fait de les connaître. J’ai essayé comme à chaque fois d’être le plus factuel possible, dans une démarche sincère et authentique… et ça semble avoir payé. Ils sont véritablement heureux du livre et de mon travail, c’est le plus important pour moi.

D’ailleurs… question totalement premier degré… Pourquoi écrire un livre sur Chokebore ?

Il est incroyable que personne n’ait jamais écrit un livre sur eux… c’est le seul et unique, il fallait bien que quelqu’un le fasse ! Je m’y suis collé ! Au-delà de ça, il y a toujours chez moi un goût certain pour les « perdants magnifiques ». Tout est relatif dans le terme de « perdants » car si Chokebore a toujours raté de peu la véritable réussite, commerciale, critique ou publique, pour beaucoup ce groupe a remporté celle qui les fera exister au-delà de leur existence : la réussite artistique. S’il a côtoyé de près Kurt Cobain et Elliott Smith, Troy Von Balthazar n’a pas suivi leurs pas et a préféré ne jamais rien avoir plutôt que risquer un jour de tout perdre. Quand on parle de « tout perdre » pour lui c’est sa liberté et sa radicalité. J’admire beaucoup son intransigeance.

Le parcours de Chokebore est fascinant. Notamment au niveau des labels. C’est le groupe indépendant par excellence qui est soutenu par des labels indépendants qui ont encore de l’argent. La crise du disque n’est pas encore là. Quelles sont les relations de Chokebore et de l’industrie musicale ?

Un label à l’époque était surtout l’assurance de pouvoir partir en tournée, peu importe les conditions, c’est ce qui était le plus important pour les gars de Chokebore. Mais à nouveau tout est relatif dans « labels indépendants qui ont encore de l’argent ». Ils ont eu la chance que Tom Hazelmeyer d’Amphetamine Reptile Records ait un gros coup de cœur à l’écoute d’une cassette démo qui lui avait été envoyée. Amphetamine Reptile Records n’assure pas de grand budget de production ni de réel confort mais sa crédibilité et sa notoriété permettent au groupe d’avoir de la presse et de monter des dates avec d’autres groupes du label, de commencer à créer un réseau. En ce qui concerne la vie de tournée, je détaille beaucoup de choses dans le livre, on est très loin du fantasme des musiciens sur la route que l’on peut parfois se faire : Le groupe vivait littéralement à quatre dans un vieux van, aucun catering ni hébergement à l’arrivée dans les clubs, c’est ainsi aux Etats-Unis, dormant parfois sur un canapé ou à même le sol d’un fan après le concert ou reprenant aussitôt la route et roulant tout la nuit car il y avait plus de 500 kilomètres à faire pour la date du lendemain et cela sans aucun sou du label. On est loin des « projets musicaux en développement » soutenus par les SMAC aujourd’hui. Le projet de Chokebore c’était de jouer. Partout. Tout le temps. No matter what. ça ne répond pas vraiment à la question mais Chokebore et les labels a toujours été complexe.

Ils sont d’une extrême lucidité sur leur parcours. Comment l’expliques-tu ?

Ils sont d’une lucidité et d’une franchise désarmante effectivement. Et cela depuis leurs débuts. Cela peut sembler naïf, démago ou je ne sais quoi, mais c’est vrai… ils n’ont jamais voulu qu’une chose : être les plus sincères sur scène et être à la hauteur du public venu les voir, même quand il n’y avait que cinq personnes dans la salle. Ils auraient pu avoir plus de succès commercial mais il n’en a jamais été question. Alors il n’y a jamais eu aucun regret ni amertume.

Pourquoi avoir adopté un plan chronologique ?

Je dois t’avouer que je n’ai pas réfléchis à la forme, elle s’est imposée d’elle-même. J’aime les histoires, fictives ou réelles, plus que le journalisme à proprement parler. Cela prend donc la forme d’un récit chronologique avec un début, un milieu et parfois une fin (mais pas forcement) à travers un prisme qui reste le mien. J’affectionne particulièrement le mode de la chronique et des romans initiatiques. J’espère que dans quelques années, quand on regardera tout ce que j’ai pu écrire, biographies, poésie ou roman, l’ensemble ait une cohérence, que l’on comprenne où je voulais en venir.

Quel est ton disque préféré de Chokebore ? Pourquoi ?

Sans hésitation aucune A Taste In Bitters. Il s’agit d’un disque viscéral, sensible et sincère, qui résiste encore aujourd’hui à l’érosion du temps. Mais au delà de ça, c’est surtout un disque cathartique, l’écouter permet d’évacuer pas mal de choses enfouies. Il parle de la solitude et du sentiment d’abandon, mais aussi d’introspection, de peur et de beaucoup de pleurs. Il s’utilise donc à dose homéopathique et qu’en cas d’extrême urgence.

Chokebore – A Taste In Bitters

Le dernier mot de ton livre est (fin ?). Tu crois à une reformation de Chokebore ? Tu la souhaites ?

Dans le cœur des membres du groupe, Chokebore existe toujours. C’est juste que le groupe ne tourne plus ni ne fait plus de disque. Cela peut paraître facile de dire ça mais en disant cela, tout reste ouvert. Christian est aux Etats-Unis, Troy en France et les frères Kroll en Allemagne mais personne n’est fâché et tous gardent entre eux des liens très forts. Certains groupes réussissent leur retour, Slowdive, My Bloody Valentine, d’autres non. Il ne faut pas que ce soit gratuit. Chokebore est déjà revenu une première fois pour le plaisir de rejouer juste ensemble, puis un EP dispensable et enfin pour leur vingt ans d’existence. S’ils reviennent, il faudra que ce soit quelque chose de véritablement nouveau et solide et malheureusement cela semble très compliqué vu les éloignements géographiques et les vies différentes qu’ils ont chacun, Troy et Christian plutôt nomades et toujours artistes jusqu’à la mort, les frères Kroll désormais plus dans leurs vies de familles avec leurs différentes obligations. Le point d’interrogation de fin de livre est voulu et laisse ouvert tout cela. Je suis certain que l’on entendra parler de Chokebore, quelque soit la chose, dans les années à venir. Moi, de toute façon, je voudrais juste qu’ils me fassent comme pour les deux premiers albums, ils viennent et ils me font A Taste In Bitters en intégralité dans l’ordre et après on va boire des bières.

Magali Boyer

magaliboyer.fr

Quand as-tu découvert Chokebore ?

Au risque de surprendre, je ne suis pas une fan de la première heure puisque j’ai découvert le groupe sur le tard alors même que tous leurs albums étaient déjà sortis. Cela ne m’a bien évidemment pas empêchée d’apprécier leur musique à sa juste valeur mais je n’avais du coup jamais eu l’occasion de les voir sur scène avant leur reformation.

Comment définirais-tu les relations que tu entretiens avec ce groupe ?

Je n’ai pas vraiment de relation avec le groupe mais plutôt avec l’un de ses membres, à savoir Troy Von Balthazar, que j’ai rencontré à la sortie de son premier album solo et que j’ai eu l’occasion de suivre depuis. C’est certainement l’une des plus belles rencontres que j’ai pu faire dans toute ma carrière de photographe musicale. Aujourd’hui encore, même si nous nous voyons moins, nous restons en contact. Et c’est évidemment par son intermédiaire que j’ai eu la chance de rencontrer le reste du groupe lors de leur reformation et d’enfin les découvrir sur scène.

Quelle est l’histoire de la photographie qui a été utilisée pour la couverture ?

Cette photo a justement été prise lors de mon premier concert du groupe, à la Maroquinerie (Paris) en 2010. C’est ce jour-là que j’ai rencontré le groupe et découvert la puissance de leur musique en live. Je crois, en tout cas j’espère, que ça se ressent sur les photos, et sur celle-ci en particulier.

C’est une photographie argentique ? Si oui, elle a été prise avec quel appareil et quelle pellicule ? Pourquoi avoir choisi cette photographie ?

Tout à fait, je travaillais à l’époque encore beaucoup à l’argentique. J’utilisait mon Nikon F100 et une pellicule Tmax 3200 que j’affectionnais particulièrement pour son grain. Ce n’est pas moi qui ai choisi cette photo mais l’éditeur, c’est celle qui convenait le mieux à la mise en page du livre de part son format carré.

Quelles sont tes photographies préférées de Chokebore ? (possible d’avoir deux ou trois photos avec un petit mot pour chacune)

Parmi les miennes ? Car il y a cette très célèbre photo de Daniel Corrigan que j’adore ! J’aurais tant aimé rencontré et photographié le groupe à cette époque… Sinon, toujours dans cette série faite à La Maroquinerie, je vais choisir cette photo du groupe qui est ma préférée, j’aime la posture de Troy avec sa bouche ouverte qui symbolise bien son énergie sur scène.

Chokebore © Magali Boyer
Chokebore © Magali Boyer

Il y a aussi cette photo de Christian car photographier les batteurs c’est probablement ce qu’il y a de plus compliqué. J’aime bien cette concentration dont il fait preuve, c’est le calme avant la tempête.

Chokebore © Magali Boyer
Chokebore © Magali Boyer

Et pour finir, une photo de James car je sais que certains regrettent qu’il n’apparaisse pas sur la couverture du livre, moi aussi, mais ceux qui connaissent la configuration de cette salle ainsi que les problématiques de photos de concert, comprendront peut-être que j’étais positionnée juste en face de lui et qu’il m’était difficile de réussir à avoir le groupe en entier. Surtout en travaillant en argentique quand on se contente de deux pellicules sur tout un concert, chaque déclenchement est sérieusement préparé.

Chokebore © Magali Boyer
Chokebore © Magali Boyer

Thierry Chokebore - Days Of Nothing

Chokebore – Days of Nothing de Thierry Jourdain sera publié le 28 février 2019 chez Camion Blanc.
Les photographies de cet article et de Chokebore – Days of Nothing sont la propriété de Magali Boyer.
Les disques de Chokebore ont été réédités chez Vicious Circle.
It ends like crazy de Troy Von Balthazar sera publié le 29 mars 2019 via Vicious Circle.

Pouet? Tsoin. Évidemment.

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