En attendant, Martin, lui, me répond. Il m’attend en bas. Au bar. Et en bas, on se reconnaît. On cherche un coin et on se pose. Canapé bleu. J’appuie sur le bouton. Ça s’affiche, please wait, loading. Puis rec. On enregistre, c’est parti.
J’interroge. Ça fait quoi d’être un garçon ? C’est idiot ; interroger Martin Luminet, c’est pourtant savoir que les réponses seront des questions. Les siennes. Des questions pour se trouver. A trente ans. Et d’un coup peut-être s’inventer, pour s’échapper à nouveau. Oui, ça fait quoi d’être un garçon ? Et puis ça fait quoi d’être vivant ? Y-a-t-il encore du sens ? Y-a-t-il encore du sens au milieu de ces générations qui théorisent, qui redéfinissent, qui vulgarisent ? L’amour, le couple, peut-être même la colère. Elles définissent, mais les choses n’ont pas à être définies. Elles sont, ou elles ne sont pas. Et souvent elles ne sont plus. On aime en algorithme, on aime en quelques clics. Pour des couples comme des billets de tombola. Martin, lui, a compris : la sensibilité est le rempart à la vulgarité. Parce que justement elle est fragile. Martin l’a compris… Combien sont-ils à encore oser le comprendre ?
Discographie
Martin LuminetAlors ça fait quoi d’être un garçon ? Martin ne sait pas. Il ne sait qu’une chose : il vit. Et de cette vie, il en prend tout. Tout plus fort, tout plus vite. Il voudrait expliquer. Il faudrait expliquer. Cette « violence sensible ». Ce hurlement, comme il le définit. Il voudrait expliquer tous ces morceaux de vie qui percutent. Il voudrait expliquer tous ces morceaux de nous qui s’arrachent. Tout est plus violent quand tout part du cœur. Il existe des monstres incompris, et des garçons sensibles, incapables d’avancer sans mettre un pas de travers, incapables d’exister sans vivre, et de vivre sans risquer. Risquer est pourtant la plus directe définition d’aimer. Martin Luminet le sait. Moi aussi.
Martin Luminet – Garçon (Love Session – Solo)
Sur ce canapé bleu, Martin parle de Truffaut. Martin aime les films tout comme il aime la vie. Il vit la vie, et elle sera son film. Et il sait qu’au fond, celui-ci ne pourra jamais vraiment être raté. Il suffira de le rembobiner. Il suffira de ne pas avoir peur de revenir en arrière. Il suffira de se retourner, et voir entre chaque image, si le beau ne se cache pas finalement là. Dans un silence. Dans un blanc. Dans une absence. Dans cette enfance. Dans celle-ci qui s’échappera toujours de ce monde qui emprisonne de tant de définitions. Martin pense à cette fille qui aimerait hurler, partir en guerre comme un garçon, et qui ne peut pas. De ce garçon qui aimerait aimer comme une fille. Et qui n’ose pas. Dans ce canapé bleu, Martin parle de vie. Martin vit. Il est l’éloge de la vulnérabilité. Et en lumière crue.
Sur ce canapé bleu, Martin parlera d’autres monstres. Sacrés et désacralisés. Gérard Depardieu ou Ayrton Senna. Ceux qu’il admire, pour leur incapacité à être, en dehors de leur excellence. Géniaux ou gênants, c’est selon, en dehors de leur élément. Qui jouent leur vie pour des secondes, et qui la rejouent à chaque seconde… J’appuie sur stop. On n’enregistre plus.
Plus tard, chez moi, je veux réécouter, chercher quelques phrases qui étaient belles. J’appuie sur le bouton. De nouveau ça s’affiche. Please wait, loading. Puis play. Et puis il n’y aura qu’un bruit rose. C’est comme ça que cela s’appelle. Un signal aléatoire. Comme Martin. Un bruit brut. Comme Martin. Le micro a lâché. Pas d’enregistrement. Je ne râle même pas. C’est mieux ainsi. Comme toutes ses chansons qu’il m’a avoué avoir jetées car elles étaient juste belles, mais il leur manquait la sincérité. Là aussi, ses mots ont encore voulu se cacher, comme autant d’incertitudes. Reste le souvenir. Cette intensité.
Rencontre réalisée le mardi 26 mars 2019, dans le cadre du concert de Martin Luminet au Transbordeur en ouverture de Clara Luciani (Lyon – 28 mars 2019).
Photographies © Fabrice Buffart