Wonderful Water Is Wet !

Theo Hakola (Orchestre Rouge, Passion Fodder) sera de retour l'an prochain avec Water Is Wet, un disque sombre et élégant.

Désormais signé chez Microcultures (My Favorite Horses, The Apartments), Hakola revient avec, peut-être, son plus beau disque. Quoi de plus logique pour quelqu’un qui aura tout fait à l’envers depuis le début de sa carrière ?
Water Is Wet dépasse par la droite The Confession et This Land Is Not Your Land par la gauche. Déjà ponctuée de huit excellents albums, la carrière solo de Hakola est à découvrir (ou à rééouter) à l’aune de ce premier grand (très grand) disque de 2020.

Théo Hakola – Who The Hell ?

Deux ans se sont passés entre Idaho Babylone et la sortie de ce nouvel album. Qu’as-tu fait pendant ces deux années ?

Theo Hakola : Trois ans ! Eh bien, j’ai écrit deux livres… et un nouvel album, et par-ci et par-là, fait l’acteur au cinéma.

Deux livres qui arrivent chez Actes Sud ?

Oui. Mais ils se trouvent dans une sorte de bouchon en ce moment en France dû au fait que j’ai désormais un agent américain – je n’ai pas encore publié en anglais – je sais, c’est n’importe quoi… J’ai toujours tout fait à l’envers. Comme faire du rock américain en France… Il y a toujours eu une sorte de confusion avec ces disques que je fais accompagné de musiciens français formidables et cela a peut-être brouillé un peu le message.
C’est pareil pour mes livres, mais – qualité de l’œuvre à part – c’est plutôt grâce à ma petite renommée ici que j’ai pu assez rapidement trouver un éditeur pour sortir mon premier livre même s’il fallait d’abord le traduire et bon, je demeure – j’espère plus pour longtemps – auteur américain qui ne publie pas en Amérique.

Et tu peux m’en dire un peu plus sur ces deux livres ?

Le premier, encore un roman, est une sorte de jumeau d’Idaho Babylone dans lequel je, pour le dire vite, remplace les fanatiques religieux et autres suprémacistes blanc de ma région natale, avec les islamistes extrémistes en France post-Charlie. Ça s’achève sure une petite île volcanique grecque – Nisyros.
Le second est un mélange d’essais et de récits autobiographique accompagné de certaines de mes photos, la plupart datant des années 70.

Théo Hakola (2)
Théo Hakola © Louis Teyssedou

A quel moment as-tu écrit ce nouvel album ? En même temps que tes deux livres ou cloisonnes-tu tes écritures ?

Le disque précédent était un disque de reprises, donc côté écriture : repos. Pour Water Is Wet, je me suis dit aucune reprise. J’avais longtemps attendu pour faire un disque de reprises, mais l’idée m’a toujours semblé assez ludique – un plaisir qu’on pourrait se faire – puis je l’ai fait à cause de Coyote de Joni Mitchell, je pense. Ce fut un vrai défi ! J’adore ce morceau, notamment la version live enregistrée avec The Band sur dans The Last Waltz. La version studio est nettement moins bien, même si le grand texte et cette drôle de suite d’accords sont toujours là. bien sûr. Je me suis plongé dans ce morceau… Et le disque de reprises longtemps repoussé est venu naturellement par la suite.

Theo Hakola – Coyote

Puis je suis revenu à mes livres dont l’un – celui de non fiction – a bénéficié d’une résidence d’auteur à la Fondation Jan Michalski en Suisse puis un autre à la Maison de la littérature à la Ville de Québec.
D’habitude, quand je fini l’écriture d’un livre, j’ai le suivant dans la tête. Pas là, alors je me suis donc attaché à écrire le disque qui est devenu Water Is Wet. C’est mille fois plus reposant que d’écrire un livre. Et plus amusant.

C’est plus facile ?

Et plus drôle. Un texte de chanson peut me prendre deux semaines. C’est peu par rapport à un livre. Et jouer avec d’autres musiciens rend la chose amusante aussi. Écrire un livre, c’est surtout amusant de le finir. J’adore trouver les idées au début, mais pour moi, la vraie écriture d’un livre est quelque chose d’ardue et d’obsédante, et alors que c’est pas non plus un grand plaisir à me relire, écouter ma musique, ça va, je mets longtemps avant d’en avoir marre quand je fini l’enregistrement et mix d’un nouveau disque.

Tu aimes donc enregistrer ?

Oui. C’est l’une des choses que j’aime faire le plus au monde. C’est magique pour moi et ça reste magique. J’ai commencé il y a 40 ans… Et c’est toujours pour moi le même plaisir. C’est long, ça demande un temps dingue, mais c’est toujours un plaisir à faire et un plaisir immédiat à s’écouter.
Je me suis mis cet hiver à écrire ce nouveau disque. Autrefois, c’était plus étalé dans le temps. Là, j’y suis allé tête baissée. C’est peut-être la déformation liée à l’écriture des livres. J’ai écrit ce disque rapidement mais il faut admettre qu’une partie des compositions a été volée à une musique que j’ai faite pour un ciné-concert, Au Bonheur des Dames de Julien Duvivier, que j’ai créé il y a quelques années et qu’on continue à faire de temps en temps… Économe – ou paresseux ? – je recycle mes idées là où je peux.
Je voulais que ce disque sorte en vinyle simple à la différence des deux derniers sortis en vinyle double. Je me suis donc fixé un cadre que, depuis l’arrivée des CD, mes albums dépassent toujours… Là, j’ai réussi à ne pas dépasser les 50 minutes.

C’est donc un disque que tu as écrit très rapidement…

Assez, oui, très concentré. Je n’avais aucun livre en cours. J’avais donc le temps de l’écrire. Chaque fois que j’écris un disque, je me dis que c’est peut-être le dernier. Je me mens à moi-même mais je me le dis…
Je doute toujours de moi pour le disque suivant. Il en va de même pour les livres… Si j’avais plus de succès, je ne serais peut-être pas aussi productif. Je ne veux pas être Bob Dylan. Mais un succès à la Tindersticks me conviendrait, histoire de pouvoir refaire des vraies tournées.

Cela te chagrine ce manque de succès ?

Oui. Le mot « chagrin » est juste. Cela ne me déprime pas… Mais cela me chagrine. J’aimerais plus tourner, j’aimerais que mes musiciens vivent de ma musique. Bénédicte Villain et Mathieu Texier et Laureline Prudhomme travaillent à plein temps ou presque à côté. Mes deux batteuses vivent de la musique, mais de la musique des autres – Tatiana Mladenovitch et Zoé Hochberg – je dis deux parce qu’il y a toujours une qui est soit blessée soit a trop de travail avec d’autres (qui marchent !). J’ai le meilleur groupe que je n’ai jamais eu maintenant mais à la différence de Passion Fodder, on répète et tourne peu. Avec une vingtaine de dates enchaînées, on serait meilleur. On est toujours une machine qui fait mal, mais si on tournait vraiment, on serait une machine qui tue.

Tu as des regrets par rapport à ce manque de succès ? Tu te l’expliques de manière rationnelle ?

Il y a des hypothèses. Je ne sais pas, mais je dirais que j’ai de la chance tout de même d’avoir fait autant de choses, de la chance, par exemple, que Barclay à l’époque de Philippe Constantin ne se souciait pas vraiment de faire des bénéfices… C’est normal que, par la suite, Barclay m’ait laissé tomber après les cinq albums de Passion Fodder – je ne rapportais pas d’argent. En tout cas, les albums d’Orchestre Rouge et de Passion Fodder ont été enregistrés dans de très bonnes conditions. Cela m’a formé pour la suite, pour produire les autres et me produire. Pour savoir comment faire un disque.

Si je te dis que tu n’as jamais aussi bien chanté que sur Water Is Wet…. Que me réponds-tu ?

J’accepte !

Tu en es conscient ?

Yes. Je ne suis pas né bon chanteur. A la différence de gens nés avec plus de talent, j’ai toujours bien travaillé. Merci de relevé que ce travail a été payant…

Ta voix m’a totalement hypnotisé comme celle de Mark Kozelek

Je dirais qu’il y avait de ça depuis quelques disques, mais c’est peut-être plus abouti sur celui-ci. Une amie chanteuse qui l’a écouté m’a dit : « Mais tu as-travaillé ta voix ?” J’ai répondu oui, depuis quarante ans. Je ne suis pas Rimbaud, je ne suis pas né génial, mais je sais travailler, je sais employer l’ensemble de mon cerveau et repousser mes limites là où je peux. En gros, je dirais que j’ai une vision de ce que je veux entendre et que par la suite, et avec le temps, je fais ce qu’il faut pour la réaliser.

Tu sors ton disque chez Microcultures. Jean-Charles Dufeu, le directeur du label, évoque un souvenir très prégnant pour lui te concernant. Il se rappelle avoir entendu tes disques très tôt, quand il était enfant, grâce à un de ses cousins. Et toi ? Quels sont les disques de ton enfance que tu as gardé en tête aujourd’hui ?

Ils sont très nombreux. Mon premier concert m’a coûté 3 dollars 50.. C’était Jimi Hendrix à Spokane, ma ville natale, quand j’avais treize ans.
J’en parle dans mon prochain livre de non fiction, bien sûr. Avant Hendrix, le même soir, il y avait Vanilla Fudge et Soft Machine… Sinon, j’ai vu Sly & The Family Stone quand j’avais seize ans.

A Spokane ?

Non, à Tacoma, de l’autre côté de l’état (de Washington). J’écoute encore tous ces groupes aujourd’hui. Ils comptent énormément pour moi. Plus jeune, j’ai écouté Chuck Berry. Nous avions le 45 tours de You Never Can Tell à la maison. Je me rappelle aussi des Beach Boys

Chuck Berry – You Never Can Tell

Que tu évoques dans une des chansons de ton nouvel album…

Oui. Mon grand frère les écoutaient. Je n’ai jamais aimé ce groupe, mais j’écoutais des trucs comme Paul Revere and the Raiders et même Herman’s Hermits. J’étais accro à la radio dès l’âge de cinq ans et je connaissais le top 40 par cœur. Puis, après les Animals, Kinks, Beatles, Rolling Stones et les formidables girl groups comme The Supremes, c’était des groupes psychédéliques comme The Jefferson Airplane qui m’emballaient. Au lycée, j’écoutais beaucoup Taj Mahal et des violonistes comme Don Sugarcane Harris ayant découvert une sorte de blues avec eux et John Mayall, Ry Cooder, et Richie Havens mais j’avais un faible pour les violons. J’ai vu It’s a Beautiful Day en concert au lycée. Cheap Thrills de Big Brother and The Holding Company m’a tué. Me tue encore. Piece of My Heart… Il y a des solos chez eux – 40 000 fois la même note de guitare – qui on dû m’inspirer. Et Joplin aurait dû rester avec ce groupe !

Et quelle est l’histoire de la photographie qui a été utilisée pour la pochette de Water is Wet ?

C’est l’une des mienne – elle sera dans mon livre de non fiction. C’est le lac Atitlan au Guatemala. Elle a été faite en 1974.

Et pourquoi l’avoir utilisée ?

Pour aller avec le titre ? C’est un choix assez peu réfléchi.

Tu as écouté ton instinct ?

Oui, pour changer. Presque toutes les photographies du livret datent des années 70. J’ai gardé beaucoup de négatifs de cette période et me suis mis à en retirer il y a deux ans. Le processus m’avait manqué…

C’est un lien que tu fais avec ton prochain livre ?

Apparemment… Il y a beaucoup de photos de femmes, et comme le disque parle d’amour et que je suis toujours un « hétéro plouc” comme le dirait Bénédicte Villain. Pour revenir à la photographie du lac Atitlan… C’est lorsque je l’ai prise que j’ai appris la chose que je désirais le plus au monde : la démission de Nixon.

Il avait démissionné à cause du Watergate…

Oui. Je parlais à un touriste allemand, un professeur d’histoire. Je lui ai demandé – c’est mon truc – quelle histoire enseignait-il. Il m’a répondu « De L’Antiquité Grecque jusqu’au… Président Ford !” Nixon avait démissionné deux jours plus tôt. Et je ne le savais pas. On parle évidemment d’une époque sans Internet… Et d’un rêve réalisé. Un rêve que j’ai encore aujourd’hui, évidemment.

Tu parles de Trump ?

Oui, tout en sachant que le problème n’est pas seulement Trump mais les gens qui sont dupés par lui.

C’est l’Amérique que tu dépeins dans Idaho Babylone….

Oui. Water Is Wet touche à ça aussi, bien sûr, touche à la puissance nocive du mensonge, la chose qui fait que Trump soit à la Maison Blanche et que la droite chrétienne ait tant d’emprise sur le Republican Party (de merde).

Ton disque sort en janvier 2020. Comment vis-tu une sortie d’album ?

Heu… It’s what I do. It’s… nice. Et je l’ai fait avec presque zéro centime et j’en suis plutôt fier. Long live Pro f***ing Tools.

Tu l’as enregistré chez toi ?

Oui, et deux jours à Rennes pour les batteries et basses dans le studio d’un ami. Tout le mix et le montage a été fait chez moi… Et toc, mon pote !

Water Is Wet de Théo Hakola sera disponible le 24 janvier 2020 chez Microcultures Records / Mediapop Records.


Tracklist : Nom Artiste - Titre album
  1. Who the Hell?
  2. So Bad
  3. Your Baby Blacks
  4. Baby Never Bought a Bottle of Water
  5. In a Sauna You Sweat
  6. Bury Me Standing
  7. Scratching the Scruf
  8. Raining Embers
  9. 1963
  10. Weak in the Knees

Pouet? Tsoin. Évidemment.

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