En 1985, la photographie utilisée pour la pochette de Primitive Painters est signée Mick Lloyd. Et on préfère, au final, quand Lloyd tient la basse chez Felt plutôt que l’appareil photo. En 1986, Felt est à la croisée des chemins. Entre le départ de Deebank, le changement de label, un hypothétique succès… Lawrence change aussi son propos graphique et va afficher son portrait sur deux singles (Rain of Crystal Spires & Ballad Of The Band) quand ce n’est pas celui des autres sur Let The Snakes Crinkle Their Heads To Death et Forever Breathes The Lonely Word.
Les clichés utilisés par Lawrence pour ses deux singles sont parmi les plus beaux. Ils sont signés Peter Paul Hartnett, un photographe irlandais installé à Londres. Musicien, écrivain et photographe, P.P. Hartnett va immortaliser la jeunesse éternelle de Lawrence.
Comment as-tu rencontré Lawrence ?
Peter Paul Hartnett : Je me souviens du moment avec une certaine clarté. J’ai rencontré Lawrence lors d’une soirée à thème sur Fellows Road à Swish Swiss Cottage en 1983, soirée organisé par l’artist Jon Flynn, qui… comme Lawrence et Martin Degville de Sigue Sigue Sputnik est également originaire de Birmingham. Jon Flynn, comment résumer l’homme comme point de départ révélateur? Jon arrivait à mélanger la musique, la parole, la danse et le mime et se produisait dans toute l’Europe. Ses soirées étaient toujours remplies de vrais personnages.
Discographie
FeltLa soirée de Jon était quelque peu bohème ce soir-là. Elle s’intitulait « La fête sauvage et sophistiquée ». Je me souviens que Jon jouait le rôle de DJ, remplissant la pièce avec du T.Rex, des titres de Grace Jones, du Japan et des titres des Sparks en passant par Barry White, The Smiths, Bowie, les New York Dolls ou encore les Virgin Prunes. Un vrai mix. Je me souviens que Jon m’avait présenté ce jeune homme qui était un peu à l’écart de la fête, debout près d’une fenêtre ouverte en fin de journée. Lawrence. Seul, à distance, retiré des autres.
Et quelles ont été tes impressions quand tu as vu Lawrence pour la première fois ?
Il m’a semblé… Attends… Très propre. Cela semble être une chose inhabituelle à dire, mais Lawrence avait juste l’air très frais. Des yeux clairs, des dents brillantes, une peau impeccable. Comme avec Jon, l’accent de Birmingham était définitivement là, mais il était si doucement parlé que ses mots étaient difficiles à entendre sur la musique.
Peut-être quelques jours après la fête, Jon a parlé très affectueusement du Lawrence quelque peu énigmatique. Il m’a dit qu’il l’avait rencontré sur le pont supérieur d’un bus en allant à Water Orton. La vie de Jon était un conte de fées à cette époque. L’histoire raconte que Jon a dit à Lawrence qu’il avait acheté le single de Felt intitulé Something Sends Me To Sleep et que Lawrence avait rougi, ce qui, je pense, est un beau détail, car Lawrence est une personne tellement introvertie et sans prétention. Doux, toujours doux. Et gentleman. Par coïncidence, les deux ont travaillé au Birmingham Repertory Theatre et les deux sont devenus amis.
Felt – Something Sends Me To Sleep
Mais revenons à la fête … Je n’avais jamais entendu parler de Felt. Il faut voir cette méconnaissance comme un soulagement car il n’y avait aucun horizon d’attente. Nous n’étions que quelques créatifs bavardant. J’ai été quelque peu surpris quand il m’a demandé si je serais un jour prêt à photographier le groupe. A partir de ce moment là, une relation de travail a commencé et court depuis sur plusieurs décennies. Je devrais probablement dire qu’en tant qu’écrivain et photographe irlandais de Londres, j’ai toujours ressenti une affinité avec les gens de Birmingham… Il s’agit de la deuxième ville d’Angleterre mais elle est totalement ignorée par les gens du sud.
Encore une fois, Jon Flynn, qui se décrit comme un « homme de la classe ouvrière qui a croisé Oscar Wilde avec Noel Coward et David Bowie » est quelqu’un de charmant; ce qui est rare parmi les serpents et les baiseurs perplexes de Londres. Alors que le V.I.H. a commencé à faire rage à Londres, il a pris la sage décision de déménager à Berlin. J’ai fait la même chose en quittant Londres pour Tokyo en 1982. Mon année au Japon a été une bénédiction, une vraie joie. Cela dit, j’ai reçu un diagnostic de cancer et j’ai dû revenir pour une intervention chirurgicale, puis un traitement prolongé. Beaucoup de mes photographies ont une qualité austère. Je mentionne cela, car la couverture de Rain of Crystal Spires a une telle influence japonaise et aussi un calme émotionnel. Tiré contre un mur blanc dans ma chambre à l’ombre d’un écran de toile aux bords grossiers que j’avais fait pour la fenêtre, j’ai demandé à Lawrence de ne rien faire. Juste d’être.
Quel souvenir gardes-tu de ce shooting ?
Je me souviens que Lawrence aimait le fait que mon appartement soit l’endroit idéal pour les gens atteints de troubles autistiques. Tout était blanc, tout était neuf. Oh, sauf pour le tapis, qui était un camaïeu vraiment bon marché qui avait été préféré à un tapis de bureau. Lawrence était amoureux de cette ambiance et a maintenant quelque chose de presque identique dans sa maison.
Je demande souvent aux sujets que je photographie de compter à l’envers à partir de mille ou d’effectuer des additions ou des soustractions. Je vais citer aussi le photographe japonais Herbie Yamaguchi qui demande aux gens qu’il photographie : « Pensez aux pensées douces ».
Nous n’avions pas pensé à prendre des photos ce jour-là. Le bureau de Creation Records était à dix minutes à pieds et Lawrence est venu passer boire une tasse de thé. La lumière de la fin de l’après-midi s’adoucissait et je lui simplement suggéré que nous pourrions faire des photos brutes et réelles, plutôt que d’essayer de rêver à quelque chose. Et, tra-la, c’est comme ça que ce coup s’est fait en moins de deux minutes, quatre-vingt-dix secondes max. Pour moi, arriver à cette photographie était un peu comme avoir un tremblement de terre dans ma tête. Je sais toujours quand j’ai obtenu un moment spécial. C’est comme si ce que je viens de voir, au moment où l’appareil photo déclenche, se qui se trouve au même moment dans la chambre noire.
J’aime le tissu du chapeau, la légère brillance de la veste. Je n’ai fait que cinq clichés. À l’époque, une pellicule coûtait cher. Puis ce fut la malédiction d’avoir à payer pour le développement, une planche-contact, des impressions test pour vérifier la mise au point. La composition a toujours été très importante avec les plans que j’ai rassemblés de Lawrence. C’est tellement évident d’avoir un sujet en plein milieu du cadre. J’aime l’extrême gauche, l’extrême droite. Et au centre, les informations.
Alan McGee de Creation Records semblait s’émerveiller de tous les clichés très simples que je prenais de Lawrence. J’étais toujours à l’intérieur pour appliquer un peu de maquillage, pour le « soigner ». Juste quelques touches de Hide The Blemish de Rimmel puis de la poudre fine. Lawrence a toujours semblé aimer ce genre de préparation professionnelle. Je voulais éviter de me tracasser avec les cheveux, mais parfois il y avait une petite touche de gel Country Born de chez Boots. Evidemment, c’est un détail des années 80.
Quel appareil as-tu utilisé ? Et quelle pellicule ?
J’ai utilisé un Nikon d’entrée de gamme, avec un réglage de F4 à F5.6. C’est toujours la même chose. F8 tout au plus. De nos jours, lorsque je photographie Lawrence, je choisis une profondeur de champ très faible, en mettant l’accent sur la monture de ses lunettes ou sur un détail texturé spécifique des vêtements.
Nos «shoots» n’ont jamais été des «shoots». Les images ont toujours été basées sur des promenades, peut-être par un canal à Birmingham ou même à travers les feuilles d’automne de Hampstead Heath.
Une fois, j’ai photographié Lawrence dans cette partie sauvage de Londres et j’ai insisté pour qu’il enlève ses chaussures et ses chaussettes, ses pieds étant ensuite légèrement poudrés. Il n’y a jamais eu de concept. Même lorsque j’ai utilisé une fois un film difficile dont je ne me souviens pas dont le nom a rendu le feuillage violet, l’approche a toujours été très détendue et quelque peu aléatoire.
J’ai utilisé un film Ilford, un 400 ASA de base, car à ce stade de ma pratique, je pensais que ce genre de film était sûr. Aujourd’hui, je photographie Lawrence en utilisant un film de 50 ASA, pour travailler à l’ombre vive plutôt qu’en plein soleil, sauf au coucher du soleil. Son appartement obtient le meilleur coucher de soleil.
Je dois dire que la pochette de Rain of Crystal Spires, est née purement par hasard. Après un concert de Felt, j’avais environ six expositions à utiliser, alors j’ai pris un coup franc de Lawrence regardant vers un autre membre du groupe dans les coulisses, shooté, puis j’ai claqué le claviériste dans une lumière si faible que l’exposition a pris peut-être cinq secondes. Cette photo a remporté un prix au Japon pour la meilleure pochette de disque Indie de l’année.
Toutes les photographies sont la propriété de Peter Paul Hartnett.
Pour tout savoir (et acheter) sur les rééditions de Felt, il faut se rendre ici.
English text
Where did I meet Lawrence?
Peter Paul Harnett : Hey, I remember the moment with such clarity.
I met Lawrence at a themed party on Fellows Road in swish Swiss Cottage in 1983, hosted by the performance artist Jon Flynn, who.. like Lawrence and Martin Degville of Sigue Sigue Sputnik, also hailed from Birmingham. Jon Flynn, how to sum up the man as a telling starting point? Jon, forever mixing music, word, dance and mime, performing all over Europe. His parties were always full of real characters.
Jon’s party was somewhat Bohemian that evening, entitled The Savage & Sophisticated Party. I remember Jon playing the part of DJ, filling the room with everything from T.Rex, Grace Jones, Japan and Sparks to Barry White, The Smith, Bowie, New York Dolls, Virgin Prunes. A real mix. I remember Jon introducing me to this young guy who was at the edge of the party, standing by an open window in the last of daylight. Lawrence. Alone, remote, removed from others.
First impression of Lawrence? He struck me as being… wait for it… very clean. It seems like an unusual thing to say, but Lawrence just looked so fresh. Clear-eyed, sparkly teeth, flawless skin. As with Jon, the Birmingham accent was definitely there, but he was so softly spoken that his words were difficult to hear over the music.
Perhaps a few days after the party, Jon talked very fondly of the somewhat enigmatic Lawrence, stating that he had actually met Lawrence on the top deck of a bus going to Water Orton back in the once upon a time of Jon’s fairytale life. The story goes that Jon told Lawrence that he had bought the Felt single entitled Something Sends Me To Sleep and that Lawrence had blushed, which I think is a lovely detail, as Lawrence is such a private and unassuming person. Gentle, always gentle. And gentlemanly. By coincidence, both worked at The Birmingham Rep Theatre and the two became friends.
Back to the party… I’d never heard of Felt, so that was in some respects a relief, as there was no assumed knowledge or expectations, we were just a couple of creatives chatting. I was somewhat surprised when he asked if I’d ever be up for photographing the band, and from there started a working relationship spanning many decades. I should probably say that as a London Irish writer and photographer I’ve always felt an affinity with people from Birmingham, which although England’s Second City, the area is often disregarded by those south of Watford.
Again, Jon Flynn, who describes himself as a ‘working class man who crossed Oscar Wilde with Noel Coward and David Bowie’ is someone who was a rare lovely in amongst the snakes and puzzled fuckers of London. As HIV began to rage in London, he wisely made for the DEPARTURE gates of Heathrow for Berlin, in a similar way that I did when leaving the UK for Tokyo in 1982.
Hm, I guess the next part should be weaved in. My year in Japan was a blessing, a real joy. That said, I was diagniosed with cancer and had to return for surgery and then prolonged treatment. Many of my photographs have a stark quality. I mention this, as the cover of Rain of Crystal Spires has such a Japanese influence and also an emotional stillness. Shot against a white wall in my bedroom in the shadow of a rough-edged canvas screen that I had made for the window, I asked Lawrence to do nothing. Just be.
I remember that Lawrence loved the fact that my apartment was OCD perfection. Everything was white, everything was new. Oh, except for the carpet, which was a really inexpensive mixed-fiber cord, favoured as office carpet. Lawrence was enamoured with that vibe and now has something almost identical in his EC1 home.
I often ask subjects to think backwards from one thousand or to conduct addition or subtraction tasks, just so that they are thinking. I’ll also say something that the Japanese photographer Herbie Yamaguchi requests, ‘Think soft thoughts.’
We hadn’t thought of shooting pictures that day. The Creation office was a ten minute walk away and Lawrence just popped by for a cuppa. The late afternoon light was softening and I just suggested that we do some raw and real pics, rather than try and dream something up. And, tra-la, that’s how this shot came about in less than two minutes, ninety seconds max.
For me, arriving at this photograph was kind of like having an earthquake in my head. I always know when I have secured a special moment. It’s as if what I have just seen at the moment of the camera going click is already a print in the darkroom of my head.
Um… I like the fabric of the hat, the slight shine of the jacket. I only shot around five exposures, if that. Back in the day, a roll of film was expensive to buy. Then the was the curse of having to pay for processing, a contact sheets, test prints to check focus. Composition has always been so important with the shots I’ve put together of Lawrence. It’s so obvious to have a subject bang in the middle of the frame. I like far left, far right. Central is a lot of information.
Alan McGee at Creation records seemed to marvel at all the very simple shots that I’d take of Lawrence. I’d always inside on applying a little make-up, to ‘groom’ him. Just a few dabs of Hide The Blemish by Rimmel and then some fine powder. Lawrence always seemed to like this kind of professional prep’. I wanted to avoid fussing with hair, but sometimes there’d be a subtle dab of Country Born gel from Boots The Chemist. Ha, that is such an 80s detail.
I’d use a basic Nikon, with setting invariably around f4 to f5.6. At the most, f.8. Nowadays, when I photograph Lawrence, I go for a very narrow depth of field, with a focus upon the frame of his glasses or a specific textural detail of clothing.
Our ‘shoots’ have never been ‘shoots’. The images have always been based around walks, perhaps by a canal in Birmingham or even through the Autumn leaves of Hampstead Heath.
One time I photographed Lawrence on that wild part of London and insisted that he take his shoes and socks off, with his feet then being lightly powdered. There was never a concept. Even when I once used some fussy film that I can’t remember the name of which made foliage turn purple, the approach was always very relaxed and somewhat random.
But which camera which film did you use ?
Oh, you’d like more re the technicals? Well, I’d shoot Ilford film, a basic 400 ASA, as at that stage of my development I felt that kind of film was safe. Nowadays I shoot Lawrence using 50 ASA, invariably in bright shade rather than in actual sunlight, unless sunset. His apartment gets the best sunset.
I should say that the cover of the same name, Rain of Crystal Spires, came about purely by chance. After a Felt gig, I had around six exposures to use up, so I took a candid shot of Lawrence looking towards another member of the band backstage, click, then I snapped the keyboard player in such a low light that the exposure took maybe five seconds. That picture won an award in Japan for best Indy record sleeve of the year.
All pictures: © Peter Paul Hartnett