Le long requiem de près de deux heures-et-demi du collectif montréalais débute par un morceau bourdonnant de guitares mêlées, comme pour faire table rase et mieux poser les mélodies à suivre, et au cours duquel les huit musiciens entrent progressivement sur scène, ajoutant leur contribution à cette symphonie bruitiste—Hope Drone. Sur l’écran au fond de la scène, le mot « hope » écrit en blanc sur un fond noir saute et grésille, fournissant l’arrière-plan (ironique ?) de cette entame atmosphérique.
Puis, sur un violon chevrotant des sons aigües résonnent les premières notes glaçantes de Gathering Storm, rapidement accompagnées de cymbales tintant comme les cloches de cent églises. La batterie reprend et martèle les longues envolées lyriques des trois guitares qui explosent en une déflagration sonore, touchant en plein cœur un public hypnotisé par les images de lignes de chemin de fer, de friches industrielles, de pages de rapport secret défense ou de raffineries aux cheminées crachant flammes et fumée qui défilent en continu.
Tout à coup, la voix d’un vieillard racontant ses souvenirs d’enfance résonne tristement, avant de se fondre dans les accords en mineur des guitares et dans la vibration d’un violon esseulé. Monheim, ou la bande-son d’une fin du monde en douceur qui arracherait des larmes au plus insensible des spectateurs.
Après la violence envoûtante des arabesques sonores d’Albanian, la voix plaintive qui s’élève annonce l’atmosphère suffocante de Chart#3 et World Police and Friendly Fire, qui achèvent de transir d’angoisse un public déjà sonné par la violence émotionnelle des premiers morceaux. L’accélération finale de la batterie et des percussions, soulignant une montée de guitares stridentes, semble menacer d’explosion la verrière de la grande halle.
La fin du concert ne sera qu’une lente descente dans la noirceur caractéristique de ces grands maîtres du tourment musical, exécutant avec une précision macabre leurs symphonies du désespoir, notamment une version épique de Rocket Falls on Rocket Falls, propulsant en l’air une myriade de sons assourdissants et saturés avant de parachever méthodiquement cette thérapie d’électrochocs musicaux avec les harmonies rassurantes et sous-marines de BBF3.
Les musiciens se lèvent, saluent discrètement et timidement une foule marquée nerveusement. Les lumières se rallument, comme à la fin d’un long et beau cauchemar (les cauchemars n’ont pas de rappel). La catharsis a fonctionné à merveille. On s’en retourne purgé de ses angoisses, prêts à affronter la fin d’un hiver trop long et le début d’une nouvelle année. Merci et bon vent, empereur noir.