"Mais ne remue pas tes membres ; tu es encore aujourd'hui sous notre magnétique pouvoir, et l'atonie encéphalique persiste : c'est pour la dernière fois." J'ignore pourquoi Radio Elvis m'a fait retrouver cette citation des Chants de Maldoror d'Isidore Ducasse, comte de Lautréamont. J'espère que l'envoûtement magique à l'écoute du trio parisien persistera encore longtemps. Avant leur concert au festival Les Chants de Mars avec Cabadzi le mercredi 18 mars au Le Marché Gare, SK* presse Radio Elvis de questions.

Comment est né ton projet ? Comment as-tu rencontré Colin et Manu ? Vous formez un groupe ou Radio Elvis c’est toi ?

Radio Elvis : Le projet Radio Elvis a pris sa forme actuelle lors de l’enregistrement du premier EP « Juste avant la ruée ». Colin, avec qui j’étais au lycée m’avait rejoint quelques mois plus tôt aux claviers et percussions. Lors de l’enregistrement, Julien Gaulier (réal du EP) a proposé à Emmanuel de venir tester quelques prises basse, c’est là que nous nous sommes rencontrés lui et moi. De leur côté, Colin, Emmanuel et Julien jouaient déjà dans d’autres groupes ensemble. (Hey Hey My My et Mother of Two). Radio Elvis, c’est un groupe.

Comment as-tu appris la guitare ? ton premier morceau joué ?

J’ai pris quelques cours au lycée mais on peut dire que j’ai vraiment appris tout seul. D’abord en faisant quelques reprises mais surtout en essayant de composer des morceaux. Le but de la guitare était aussi de chanter mes paroles et de former un groupe. J’ai donc surtout appris avec des compositions parfois douteuses et mon entourage. L’un de mes premiers morceaux serait peut-être Seven Nation Army des The White Stripes ou Where is my mind des Pixies. Je ne sais plus trop.

Que t’a apporté ton expérience dans le slam, l’amour des mots ? des sons ? une scansion, un phrasé particulier ?

La slam m’a appris beaucoup. Surtout ce qu’il ne faut pas faire sur scène! Ça m’a surtout permis d’écrire en attendant de trouver ma voie dans la musique. J’y ai aussi appris le silence et le son des mots.

Radio Elvis – La Traversée

Comment jaillit l’écriture ? un gros travail ou quelque chose de spontané ? une écriture longue que tu réduis par la suite ?

Disons que c’est un mode de vie. C’est un travail de tous les jours, une perpétuelle mise en condition. Non pas qu’il faille rester à son bureau et griffonner toute la journée mais plutôt essayer d’intérioriser ce qui nous entoure. Toujours être ailleurs, à travers un film, un livre, une promenade, une sieste. Il faut s’efforcer de sortir de soi, de se multiplier, de s’éparpiller en ce sens que les moments d’écriture sont des instants de visions où tu te mélanges avec ce qui t’entoure. Tu te sens clairvoyant, les idées viennent et tu sais si elles sont bonnes ou mauvaises. Ça ne triche pas.
Seulement, ces instants sont rares et précieux, c’est pourquoi je parle de mode de vie, car c’est tous les jours qu’il faut partir à la chasse de l’événement qui va créer l’avalanche.
Lorsque cet instant te prend, tout s’agite et tout devient sauvage. Les mots viennent en pagaille, ils forment des métaphores qu’il faudra retravailler, découper, agencer et faire sonner. C’est un travail au jour le jour. Une phrase ici, une phrase là. C’est long et délicieux.

Demande à la poussière est le titre d’un roman de John Fante, tu évoques Jack London ou St Exupéry sur ton blog, tu es fan de littérature US ? de voyages ?

J’aime la littérature d’aventure et de voyage pour ce qu’elle a de métaphorique et introspectif. À travers la ruée vers l’or, la conquête du ciel il y a l’histoire de tout un homme et à travers lui, l’humanité toute entière.

Dans une interview tu dis que « lire est le moyen le plus simple et le plus jouissif que j’ai trouvé d’écrire. » Te sers-tu de tes lectures comme déclencheur de titres ?

C’est exactement ce que je disais un peu plus haut. Lire est l’un des moyens que j’ai trouvé pour déclencher l’écriture.

Quel auteur mettrais-tu en musique ?

J’aimerais faire quelque chose autour de Saint-Exupéry car sa vie et ces écrits m’ont beaucoup apporté ces derniers temps. Ted Hughes et Robert Desnos m’ont aussi beaucoup marqué.

Les chevaux / Ted Hughes

J’allais dans les hauteurs à travers bois dans l’obscurité d’avant l’aube.
Maléfice de l’air, gel qu’invente le silence,
Pas une feuille, pas un oiseau –
Un monde sculpté dans le gel. J’ai quitté le bois,
Laissé dans la lumière d’acier les statues tortueuses de mon souffle.
Les vallées ont commencé à boire les ténèbres.
Et finalement les landes – lie sombre de ce gris qui s’éclairait –
Ont découpé le ciel. Alors j’ai vu les chevaux:
Énormes dans la masse compacte du gris – dix chevaux rassemblés –
Immuables, mégalithes. Ils respiraient, sans faire aucun mouvement,
Drapés de leurs crinières, pesants sur leurs sabots,
Sans faire aucun bruit.
À mon passage, pas un seul ne s’est ébroué ni n’a secoué la tête.
Fragments gris, fragments muets
D’un monde gris, d’un monde muet.
Dans le vide là-haut sur la lande j’écoutais.
Le sanglot du courlis a déchiré le silence.
Lentement les détails se sont précisés, feuilles depuis les ténèbres.
Puis le soleil
Orange, rouge, rouge a explosé.
En silence, et fissuré jusqu’au coeur a crevé, projeté loin les nuages,
Ébranlé le gouffre jusqu’à ce qu’il s’ouvre, révélé le bleu,
Et les grandes planètes suspendues –
Je suis redescendu
En trébuchant des hauteurs embrasées dans
La fièvre d’un rêve vers les bois obscurs,
Et j’ai retrouvé les chevaux.
Ils n’avaient pas bougé,
Mais ils fumaient et luisaient à présent sous une cascade de lumière,
Drapés de leurs crinières, pesants sur leurs sabots,
Frémissant maintenant tandis que tout autour
Le gel dévoilait ses feux. Mais ils demeuraient silencieux.
Pas un seul n’a henni, n’a piaffé,
Leurs têtes suspendues là, patientes comme l’horizon,
Bien au-dessus des vallées, au milieu des rayons rouges.
Dans le vacarme des rues surpeuplées, errant parmi les années, les visages,
Que ma mémoire m’invite encore en un tel lieu de solitude
Entre les rivières et les nuages rouges, à entendre le courlis,
À entendre durer l’horizon.

Qu’as tu lu récemment qui t’a scotché ?

Mexico city blues de Jack Kerouac

Partout
Ils n’ont rien sur moi

« Parce que j’suis mort »
Ils ne peuvent pas me doubler
« Parce que j’suis mort »
Et étant mort
je me suis fait mal à la tête
Et maintenant j’attends
Sans haine
L’héritage
De mon sort

Bertrand Belin sort un roman, Requin chez P.O.L, l’écriture longue t’attire t-elle ?

Oui. Écrire quelque chose de plus long qu’une chanson m’attire. J’ai essayé quelques fois mais je n’étais pas prêts et ne le serai peut-être jamais. Nous verrons bien!

Radio Elvis – Goliath

Tu as sorti un EP de 4 titres très remarqué dont deux titres assez longs, Goliath et le Continent, pourquoi ce choix de format ? ces deux titres sont souvent en plusieurs parties, avec des tempo différents ce qui pour moi fait la force des grands morceaux et puis c’est personnel mais je trouve sur Goliath ton « ah » juste avant « quel élan » frissonnant, tellement fort avec la batterie qui démarre juste derrière… Vraiment le morceau parfait. Donc des morceaux assez longs, 4 titres pour 21 minutes, presque un album pour certains !

On ne se pose pas vraiment la question du format. En fait, cela dépend beaucoup du texte. Quand « je n’ai plus rien à dire à ce sujet », j’arrête d’écrire. La musique se fait beaucoup en fonction du texte même si j’adapte les mots à la musique. Sur Le Continent et Goliath, le sens des mots et l’élan de la composition ont fait la longueur des titres. Il a été très naturel d’en arriver là.
Concernant le passage rythmé dans Le Continent, je voulais vraiment marquer un changement d’attitude du point vue du narrateur, un peu comme un changement d’angle ou de caméra au cinéma.
L’homme observe les terres nouvelles qui se dessinent au loin et soudain, ce sont ces souvenirs, toute sa vie passée qui s’offre à nous et se mélangent au présent.

Elle partira comme elle est venue n’est pas sur l’EP, pourquoi ? et as-tu beaucoup de titres sous le coude ?

Nous étions en pleine recherche à l’époque de l’enregistrement. Nous voulions mettre en avant un travail de groupe! Cependant, nous jouons Elle partira comme elle est venue sur scène!
Je pense que nous avons les titres nécessaires à un album.

Quelle serait ta métaphore préférée ? Je trouve l’expression « Ivre de canopée » vraiment très belle.

Si je dois vraiment choisir, il y a une phrase que j’adore chanter dans l’une de nos nouvelles chansons.
Le titre s’appelle Caravansérail.

« Laissons la mesure / De ce que nous sommes / Au nombre de pas donnés / Au caravansérail  »

On te compare à Dominique A (notamment sur Demande à la poussière), as-tu écouté son dernier disque, Eleor ?

Oui, c’est une comparaison qui revient souvent. J’ai écouté le premier single que j’ai trouvé très beau même si ce titre ne rentre pas dans mon top 5 Dominique A!

Radio Elvis – Goliath en live pour Monte Le Son

Tu es fan de Werner Herzog, il y a en ce moment une rétrospective ici à Lyon, quel serait ton choix ? et pourquoi ?

J’aime beaucoup Aguirre, la colère de Dieu. C’est le film avec lequel j’ai découvert W. Herzog.
Je me retrouve beaucoup dans les films d’Herzog car il laisse beaucoup de place au spectateur et au silence. J’ai l’impression d’écrire le film en même temps que je le vois. C’est comme ça que nous voyons la musique.
Nous aimons « laisser de l’air » dans nos chansons pour que le spectateur soit libre de les interpréter comme ils le souhaitent. Tout ça n’est qu’une histoire d’instant.

Sur scène, il y a quelque chose de magnétique, de grave, de solennel. Comment as-tu travaillé cela ou pas ?

Nous aimons là scène. C’est à mon sens le meilleur endroit pour faire de la musique même si le studio reste une étape agréable. Emmanuel et Colin ont une expérience scénique beaucoup plus importante que moi et c’est très agréable d’apprendre avec eux. En coulisse, une joie immense mêlée d’angoisse nous anime, puis les lumières s’éteignent et tout peut commencer. J’aime la solennité de l’entrée sur scène.
L’exercice de la scène réside en ce que nos morceaux ont de sincères. On ne peut plus tricher. Le plus important est de réinventer le texte et la musique sans en changer une note.

Tu as participé au Megaphone Tour avec Robi, un souvenir marquant ? une anecdote ?

Sur cette tournée, nous avons jouer en duo avec Emmanuel (piano – guitare – voix). Une belle opportunité de jouer nos morceaux différemment, de les jouer de manière plus brut. Et puis, c’était très chouette de rencontrer Robi et Eskelina.

Tu viens jouer dans le cadre du FAIR, peux tu expliquer ce que cette structure t’apporte ?

Le FAIR est dispositif national d’accompagnement qui sélectionne 15 artistes/groupes par an. Nous disposons d’une bourse, d’un accompagnement professionnel ainsi que d’une aide à la tournée.
C’est très chouette comme dispositif! Le FAIR nous permet, entre autres, d’acheter du matériel et de jouer un peu partout en France, notamment au Café de la Danse avec We Are Match!

Quels projets pour 2015, tu penses sortir un autre EP ou un album ? chez PIAS ? parmi les artistes du FAIR 2015, une ou des préférences ?

Nous aimons beaucoup We Are Match et Blind Digital Citizen !

Des rêves de collaborations, de plateaux ?

Je crois que nous aimerions beaucoup faire la première partie de Nick Cave & The Bad Seeds et jouer avec lui. On aime bien rêver chez Radio Elvis !

Vous êtes un jeune groupe, aurais-tu d’autres groupes à mettre en lumière ?

Pour ma part, j’aime bien Marble Arch, un groupe qui promet et que j’ai rencontré très récemment.

Radio Elvis - Juste avant la ruée

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