Véritable voyage au bout de la nuit, ce disque ne laisse pas indemne.
Et surtout Vernay a réussi sa mue artistique : la chrysalide a donné naissance à un papillon noir qui plonge l’auditeur dans un monde musical aux maigres bulles d’oxygène.
Bienvenue en enfer !
Il me semble que tu as mis un certain temps à enregistrer ce disque. Les bruits de couloir me disent deux ou trois ans…
Vadim Vernay : Ça s’est fait en quatre ans. Trois ans pour l’écriture, pour la composition et pour faire les maquettes.
Et un an et demi pour faire l’enregistrement et l’édition de la matière sonore.
Mais tu es… obsessionnel ?
Vadim Vernay: Tu veux dire un obsessionnel perfectionniste.. Un peu.
Disons que pour mes périodes de création, j’avais besoin de tout couper. Faire des coupures prend du temps. Et mes séquences de travail duraient souvent un bon mois voire plus. Avoir un isolement complet n’était pas une chose aisée.
Mais l’espacement de ce séquences permettait de prendre du recul sur ce que je faisais. Tu as le temps de digérer tes morceaux, tes sessions.
Tu as tout mis sur la table avec ce disque ? Financièrement comme artistiquement ?
Vadim Vernay : Oui. Tu es la première personne à me le dire. C’est du sport de sortir un disque. Surtout le troisième où tu te poses la question du renouvellement.
Il fallait que je puisse me dire « J’ai fait quelque chose. J’ai atteint quelque chose ». Ce qui n’était pas complètement le cas sur mes précédents disques.
Il faut assumer, trouver son propos artistique. Le tout en proposant quelque chose de digérable par le public.
Il y a trois auteurs sur ce disque ?
Vadim Vernay : Oui, cela a été très vite une évidence qu’il me fallait des regards extérieurs, des sources… pour ce projet initié en solitaire. Les deux co-auteurs de certains textes (Aurélie Noël et Audrey Bastard), m’ont vraiment accompagné tout au long de l’aventure. Elles m’ont offert leurs mots, leurs regards critiques, leur soutien.
Pour les musiciens ça été un peu différent. Leur rôle a essentiellement été celui d’interprète, tout était écrit. Mais il y avait un enjeu humain à gérer. Il ne fallait pas recruter des gens juste pour les faire jouer. La proposition artistique est suffisamment barrée, complexe pour un instrumentiste… Ça impose une réelle confiance de la part du musicien.
Et puis il y a le travail long et un peu laborieux de l’édition. C’est un fantasme de gosse d’enregistrer tous ces sons. Sur un ordinateur, la matière est toujours précise. Le jeu d’un instrumentiste est toujours chargé de poussière, d’erreurs. Mais il y a le timbre, la puissance, la sensibilité, que tu ne pourras pas avoir via un ordinateur.
Rapprocher au maximum les enregistrements des maquettes… Ça je l’ai géré seul. Ainsi que les doutes. J’ai géré seul les maquettes. Mais au final, c’était une position assez confortable.
Ton album a été masterisé à Bristol. C’est un choix volontaire ? Qui a fait le mastering ?
Vadim Vernay : Ça c’est fait aux studios Optimum Mastering avec Shawn Joseph. Un mec qui a de chouettes disques dans sa discographie comme ceux de Polar Bear, d’Annika et les rééditions de Portishead. J’avais déjà travaillé avec lui dans le passé via mon label. Et puis je voulais confronter mon disque à des oreilles non françaises. Avoir un retour américain ou anglais. Pour moi Bristol, c’est la Mecque. Matt Elliott, Portishead, Tricky…
J’ai pris mon courage à deux mains et j’ai fait un séjour là-bas.
Vadim Vernay – See From Now
Quels sont les artistes qui t’ont marqué pour ce disque ? Je pense à Sparklehorse…
Vadim Vernay : Oui, Linkous et Bashung.
Il s’agit des deux grosses ombres qui planent sur ce disque.
Les deux sont décédés au début de l’enregistrement du disque.
Deux surprises pour moi. Je ne savais pas que Bashung était malade à ce point. Quant à Linkous… J’ai même contacté sa mère pendant l’enregistrement tant j’avais besoin de me raccrocher.
Ces deux là m’ont marqué. Je leur dois quelque chose. Ils m’ont légué quelque chose sans le savoir. Je leur ai pris quelque chose. Après c’est aussi de la nourriture qu’ils te donnent. Quand je réécoute Dark Knight of The Soul… Ce disque est une pure merveille, d’une complexité absolue. Un invité, une direction.
Comment tu qualifierais ton projet ? Ambitieux même si ce mot à une connotation quelque peu négative ?
Vadim Vernay : Ambitieux pourquoi pas. Cela me rappelle quand je jouais aux échecs quand j’étais petit. Je mettais assez rapidement ma dame en danger. Je vais dire « sainement complexe ». C’est pas comme une bouchée de pain pré-mâchée ce disque. Il n’y a pas qu’un seul propos. Mais des pistes, des contre-allées qui à la fin vont au même endroit. L’auditeur doit se construire les interstices, ce qu’il se passe dans et entre les morceaux…
Et en même temps ça me parait homogène. Ce n’est pas un album éparpillé. J’aime bien également ce coté « ombre et lumière ». Ce n’est qu’une fois terminé que je m’en suis réellement rendu compte. Il y a une alchimie, une lumière particulière qui n’a pas été maitrisé, mais est apparue.
J’ai cru lire qu’il y avait une date « unique » à la Lune des Pirates d’Amiens le 28 mai ?
Vadim Vernay : Non non. Je contacte des salles. Il n’y aura pas une seule et unique date. Il y en a d’ailleurs quelques belles qui se préparent, mais comme ce n’est pas encore confirmé…
See from now est la seule bulle d’oxygène pour un auditeur fan de pop comme moi. Quelle est son histoire ?
Vadim Vernay : Oui c’est la plus accessible. Pourtant, le sujet…
Elle fait suite à un échange que j’ai eu avec une amie de lycée. On s’était retrouvés. Elle avait passé les 15 dernières années de sa vie avec un mec qui la battait… pour le quitter et retomber sur un mec qui la battait de nouveau. Comment tu peux rester comme ça??
C’est une chanson qui dit « Let’s go on! ». On avance. C’est une forme de pessimisme non résigné. Quoiqu’il arrive, tu avances… Le matin, tu bois ton café quoiqu’il arrive.
Punk’s not dead (success) a quel sens pour toi ? Quel es ton rapport à la scène punk ?
Vadim Vernay : C’est plus une référence à la posture. C’est le morceau le plus impulsif, le plus affranchi de toute règle.
A la base, je voulais faire jouer les cuivres et le batteur dans un hangar. Poser le micro et enregistrer. Cela n’a pas été possible. C’est souvent une discussion qui revient avec les amis, la famille : « Qu’est ce que tu attends pour avoir du succès ? Qu’est-ce que tu attends pour sortir le tube ? »
C’est difficile de définir la notion de succès. C’est forcément quelque part dans la tête d’un artiste, mais il y a quelque chose de très vicieux, de très dangereux. Avec le punk, tu as une posture qui te protège de ça. L’intérêt pour moi du punk c’est précisément de s’affranchir de tous ces enjeux. Mais combien de groupes punks sont morts à cause du succès ?
TOP 10
Le disque de 2015 que tu attends le plus ?
Vadim Vernay : Celui de Gonjasufi (sans savoir s’il en prépare vraiment un). Un Américain signé chez Warp Records. Du hip hop avec pas mal de weed.
Le producteur de tes rêves ?
Sparklehorse.
La salle de concert pour voir un concert ?
Vadim Vernay : Le Divan du Monde car tu es obligé de ne pas jouer fort. Cela crée une ambiance particulière. La Cigale sinon.
La salle de concert pour faire un concert ?
Vadim Vernay : Tout dépend du public.
L’écrivain qui devrait se mettre à la musique ?
Vadim Vernay : Bret Easton Ellis.
Le musicien qui devrait écrire ?
Vadim Vernay : Sparklehorse.
Si tu étais une BO ?
Vadim Vernay : Hum… Celle d’un film de Spike Lee. Un film de Spike Lee avec pour décor le désert.
Si tu pouvais créer un festival ?
Vadim Vernay : Une soirée hip hop avec Run The Jewels, Gonjasufi et Tricky.
Une soirée altenative/folk avec Sparklehorse, Gravenhurst et Vic Chesnutt… Oui ils sont tous morts.
Le disque que tout le monde a écouté sauf toi ?
Vadim Vernay: Sergent Pepper.
Ton disque honteux ?
Vadim Vernay : Guesch Patti, Etienne .
It Will Be Dark When We Get There sera publié le 27 avril 2015.
Vadim Vernay sera en concert le 28 mai à La Lune des Pirates (Amiens).