Nicolas Comment, votre troisième album Rose Planète est sorti le 27 avril dernier, un album très seventies musicalement, un album concept et très cinématographique qui se lit comme les chapitres d’un scénario. Quel a été le point de départ pour travailler à la réalisation de cet album très différent de Nous étions Dieu (2010), est-ce votre résidence à Tanger qui vous a inspiré pour l’écriture de ces textes très poétiques ?
J’avais surtout envie de rompre avec le revival eighties qu’on a beaucoup entendu en France ces dernières années… Nous étions Dieu était certes un disque aux accents « new-wave », voir « cold » (synthés vintages, rythmiques hiératiques) mais c’était aussi un disque de chansons françaises. Dans ce nouvel album, je change simplement d’habit, mais pas de peau. Rose planète est donc un album de chansons françaises, comme l’était également Est-ce l’Est ? (Berliner romance), mon premier disque. Quant à Tanger, j’y ai écris le titre L’Ange du bizarre et aussi… T(ange)r : titre bonus qui se trouve sur un 45 tours accompagnant mon livre de photographies paru en 2014 chez Filigranes.
Discographie
Nicolas CommentVous êtes photographe, je vous considère avec cet album comme un poète cosmonaute (rires) vous avez étudié aussi le cinéma, vos références esthétiques et cinématographiques vous ont-elles influencées dans le travail d’élaboration de cet album ?
Disons que j’utilise deux arts de l’instant pour m’exprimer : la chanson et la photographie. Ces deux techniques d’enregistrement me permettent d’entretenir un certain rapport au réel. Je veux dire par là, que mes modestes créations ne sont pas le fruit de l’imagination mais avant tout de l’observation. En fait, c’est une sorte de glissement du réel vers la fiction qui m’intéresse. C’est sur ce fil fragile que se tient plus ou moins en équilibre la poésie pour moi…
Photographier un instant c’est le fixer à jamais, enregistrer le présent en le rendant éternel. Pour vous, le travail de la musique peut-il donc se comparer à celui de la photographie ?
Tout à fait. À la manière d’une photographie, un enregistrement sonore peut « perpétuer le rêve de l’heure trop brève » comme l’a très bien (et très tôt) dit Charles Cros dans son poème Inscription… Mes chansons sont donc un peu comme des cartes postales que j’enverrais vers l’inconnu…
Nicolas Comment, vous êtes un artiste à part entière, êtes-vous en réalité un cosmonaute la tête dans les étoiles, le cœur sur Vénus mais les pieds sur terre ? » De quelle planète venez-vous ?(rires)
Votre question me fait instantanément songer à Vince Taylor… S’il vous entend, de là où il est, c’est peut-être à lui qu’il faudrait la poser.
J’ai un peu révisé mon astronomie, alors pour en revenir à Vénus, parlez-nous de cette chanson Venus Venue,sublime texte récité en prose avec votre voix , telle une voix off sur une musique très planante et cinématographique. Une telle chanson n’a t-elle pas été difficile à faire accepter par votre producteur ?
Sans toutefois me contraindre à l’enlever, mon producteur m’a conseillé de ne pas la mettre dans l’album. Il m’a dit qu’elle déplairait aux journalistes spécialisés et que je ferais mieux d’écrire des livres plutôt que de faire des chansons comme celle-ci… C’était charmant ! Je me suis donc dis qu’elle devait être drôlement bien et qu’il fallait absolument la garder… Il faut dire que je m’étais déjà séparé de mon éditeur d’alors parce que la chanson Rose planète lui semblait également anti-commerciale en ouverture… Finalement, nous nous sommes revus récemment et cet éditeur m’a dit que Venus venue était sa chanson préférée et qu’elle justifiait complètement la présence de Rose planète ! C’était sincère et touchant.
D’ou vient Sexie, comment est-elle née, pouvez-vous nous en dire plus sur la chambre de Sexie « où tout était à sa place et propice aux
excès dans ce palais sans glaces » La chambre de Sexie où personne n’a la clé mais tout le monde y a accès…
C’est un personnage inventé par l’écrivain Marie-Laure Dagoit qui est également la directrice des sulfureuses et underground éditions Derrière la Salle de Bain où je publie parfois quelques textes… La chanson Tu t’appelles Sexie est une adaptation d’un livre de Marie-Laure qui se nomme Je m’appelle Sexie. J’ai effectué un cut up dans son livre, changé le « je » en « tu » et ajouté un refrain. Mais ce sont ses mots à elle. J’ai ensuite emprunté ce personnage pour ma chanson La Chambre de Sexie qui clôt l’album ; pour créer un effet de boucle dans le disque..
Si l’amour est un fleuve d’Asie, pouvez-vous nous parler de vos voyages, de l’Asie justement de l’Inde peut-être, de Tanger, du Mexique. Sont-ils sources d’inspiration ?
Il n’y a pas de systématisme. Je n’ai rien écris sur le Mexique, qui est un de mes plus beaux voyages : c’est très fort inscrit en moi, mais pour l’instant, enfoui. Quant à Tanger, cette ville a toujours été un lieu d’écriture… C’est une ville inspirante. À la croisée des chemins : Tanger est comme une page blanche dressée face au détroit de Gibraltar… Par contre, je ne connais pas du tout l’Asie. Il s’agit en fait d’un simple jeu de mot… Mais peut-être est-il le fruit d’une sorte de lointaine réminiscence du Royaume de Siam de Gérard Manset (avec lequel j’ai justement exposé mes photographies mexicaines à la galerie Vu’, il y a quelques années…)
Cet album Rose planète peut faire penser à Melodie Nelson avec des duos et l’omniprésence de Milo Mc Mullen comme une Jane Birkin. On peut évoquer aussi l’homme à la tête de chou. Peut-on faire aussi un rapprochement entre Varitation sur Unica sur l’album Nous étions Dieu » et variation sur Marilou ?
Oui, Variation sur Unica, est un discret hommage à Gainsbourg. J’avais conscience, dès ce premier album, qu’on me parlerait de lui, alors j’ai glissé ce titre pour signifier que je n’étais pas dupe.
Avez vous une passion peut-être pour Unica Zürn et son Sombre Printemps ?
J’aime beaucoup le travail de Hans Bellmer. Je suis fasciné par la relation qu’il entrenait avec Unica Zurn. Un ami qui visita Bellmer dans les années 50 m’a raconté qu’ils vivaient tous deux dans un minuscule appartement de la rue Mouffetard, extrêmement sombre. Avec chacun, une (seule) fenêtre pour dessiner… Lorsque Bellmer lui a ouvert la porte, Unica était allongée – nue dans la pénombre – près d’un immense poêle à mazout… ou à bois (l’ami n’a pas précisé).
En 2012 sortait l’album Retrouvailles produit suite à une commande photographique autour de l’écrivain et critique d’art Bernard Lamarche-Vadel, à l’origine, cet album très folk, boisé a été composé pour accompagner votre exposition intitulée La visite qui donna lieu par la suite à la publication d’un ouvrage photographique en 2010 aux éditions Filigranes. Comment est né ce projet poétique et singulier et votre collaboration avec Xavier Waechter ?
Nous nous sommes enfermés avec Xavier dans une petite maison prêtée par l’artothèque de Vitré, avec le strict minimum. Comme si nous étions en retraite dans un monastère… C’est sans doute cette austérité qui nous a poussé à composer ces musiques très simples et minimalistes. Je prenais le livre de BLV et lisais directement le texte dans le micro sans préparatifs. Je déchiffrais les poèmes au même moment que je les enregistrais. Je ne cherchais pas à comprendre leur signification mais plutôt à traduire leur rythmique. C’était passionnant. Je me sentais comme un voleur de mots. Je m’emparais d’eux.
Vos clips sont très esthétiques, pudiques et impudiques à la fois ; le premier clip l’ange du bizarre est aussi le premier single, le dernier en date est l’amour Fleuve ; une pure merveille, comment travaillez-vous à la réalisation de vos clips, et quel sera le prochain single et clip ? Dita ? L’abc ?
C’est très difficile pour moi « d’imager » mes chansons, car elles sont – comme je vous le disais plus haut – déjà des « images »… Il me semble donc qu’elles devraient pouvoir s’en passer… Mais comme le clip est devenu une convention, je suis néanmoins obligé d’en réaliser pour permettre à ces chansons d’être un peu « entendues ». Ce qui est un paradoxe, avouons-le… Je fais donc en sorte d’essayer de leur laisser une chance de pouvoir être autre chose que ce que les clips en montrent ! C’est très compliqué ! Et je ne suis pas du tout certain d’avoir réussi encore… Pour L’amour fleuve, je me suis entouré d’un réalisateur et d’une équipe spécialisée dans le tournage aquatique. Il s’agit donc d’un clip « littéral »… Mais on pourrait aussi imaginer l’inverse : écrire une chanson pour accompagner des images préexistantes… Ce serait passionnant. Le clip est un alliage dont personne ne détient vraiment la formule. Une alchimie extraordinairement complexe.
Nicolas Comment – L’amour fleuve
Vos projets, une tournée, un autre livre, une expo ? Une expo photo et un concert à Lyon ? (rires)
Concernant la photographie : un projet collectif intitulé Being Beauteous que je réalise en ce moment avec 3 autres photographes et une exposition avec Bernard Plossu, début 2016. Concernant la musique : un nouveau clip à la rentrée + un concert à la Maison de la Poésie à Paris qui sera – peut-être ? – suivi d’une mini tournée passant par Lyon… Qui sait ?
Nicolas Comment - Rose Planète
- Rose planète
- Tu t'appelles Sexie
- L'amour fleuve
- L'abc
- L'ange du bizarre
- Camille
- Un miroir honnête
- Amaurose
- Remora
- Dites à Dita
- La chambre de Sexie
- Vénus venue
Un entretien qui nous éclaire sur le Comment du Pourquoi du talentueux et novateur Nicolas Comment dont j’avais beaucoup apprécié l’album « Nous étions Dieu ».
« L’ange du bizarre » est un super titre ! Merci Mathilda pour cet éclairage qui donne soif de musique !