Tout était déjà écrit pour Annese. Né l’année du punk, ce garçon ne fait rien comme personne. Après avoir donné un coup de fouet au milieu de la presse écrite avec la pieuvre So, Annese pourrait servir de modèle à une branche professionnelle qui cherche encore une solution au piratage. La clef du problème est peut-être écrite depuis longtemps. Avec un peu d’argent (il ne faut pas se leurrer) et beaucoup de passion, l’équipe de Vietnam bâtit son catalogue et applique les recettes des labels des années 90. Et ça marche ! En quatre ans d’existence, ce label peut se targuer d’avoir sorti quelques beaux disques.
Franck Annese est donc attendu de pied ferme par l’industrie porcine bretonne et par les taxis parisiens pour trouver des solutions à la concurrence étrangère et à l’uberisation du marché.
Discographies
51 Black Super ★ Alain Chamfort ★ Beach House ★ Bill Callahan ★ Chevalrex ★ Destroyer ★ Dominique AFranck Annese
Pourquoi avoir fondé un label ?
Franck Annese : Alors pour être tout à fait honnête, c’est la chose que je voulais faire depuis le début. Quand j’étais à l’école, je voulais monter une maison de disques. La vie a fait que j’ai fait plutôt des magazines. Pour compenser ce manque de maison de disques, je produisais des clips. J’en produisais pas mal, j’en produis toujours d’ailleurs. Un jour je produisais un clip pour H-Burns, j’ai sympathisé avec Renaud et puis est venue l’idée qu’il aille enregistrer son album d’après chez Steve Albini. J’étais forcément assez fan. Chemin faisant, discussion allant, est arrivée la problématique du financement d’un enregistrement chez Steve Albini. A ce moment là, avec Stéphane, on lui a dit qu’on pourrait le financer et on a monté un label pour ça. Comme nous étions dans un restaurant vietnamien qui s’appelle Thu-Thu. Du coup ça c’est appelé Vietnam.
Et c’est parti. Tu rencontres des groupes, tu produis des clips pour des groupes que tu aimes bien, et au final tu finis par avoir un line-up consistant. Aujourd’hui on a huit signatures et elles ont toutes eu une histoire avec nous avant leur signature.
Les chemins ont fini par se croiser…
Franck Annese : Oui. Kakkmaddafakka, le dernier groupe que nous avons signé est un groupe norvégien. On avait produit leur premier clip qui leur avait valu un peu de succès. On était toujours resté pote. Jon E. Sunde, un américain, est le leader de The Daredevil Christopher Wright, un groupe dont nous avions produit aussi le premier clip.
Soit il y a ce premier chemin. On produit des clips pour des groupes et un jour ils arrivent chez nous. On a produit des clips car on les aime bien donc on peut les signer. Sinon, c’est des histoires de bande. Olivier Marguerit, c’est la bande Syd Matters. Une partie de Syd Matters joue avec H-Burns, lui même connait Maxime de Pharaon de Winter. Chevalrex c’est Rémi qui fait les pochettes de Vietnam. Au lieu de travailler dans ton coin, allons-y.
Éditer, c’est éditer pour mais aussi éditer contre. Il y a des choses que vous vous interdisez ? Vous luttez contre quelque chose avec Vietnam ?
Franck Annese : Non, il n’y a pas cette notion de résistance. Il y a plus un coté plaisir et le plaisir de bande. Le 4 mars, on se fait une petite soirée où tous les groupes de Vietnam vont venir jouer 20 minutes chacun. J’adore ça. J’adore l’idée que tout le monde vienne jouer 20 minutes. Il y aura peut-être des surprises, des line ups un peu spéciaux car tout le monde n’est pas disponible à cette date. J’aime bien aussi l’idée que lorsque O donne un concert, Maxime de Pharaon de Winter vienne. Les autres sont concernés. Quand nous sommes allés enregistrer chez Steve Albini, les membres de Cedarwell (un autre groupe de Vietnam), sont venus passer une soirée avec nous bien qu’ils habitent à 300 bornes de Chicago. Ils avaient envie de connaître H-Burns et aiment faire partie d’une bande. Quand ils sont venus à Paris pour faire la première partie des H-Burns, ils sont restés quinze jours en France. C’était chouette de vivre un truc tous ensemble.
Le 4 mars, on se fait une petite soirée où tous les groupes de Vietnam vont venir jouer 20 minutes chacun. J’adore ça. J’adore l’idée que tout le monde vienne jouer 20 minutes.
Vous avez un coté très tribu !
Franck Annese : Oui tribu. Et petits artisans.
On travaille sur les disques en étant très précis et on en discute beaucoup. On essaye de mettre le plus de moyens possibles pour que le disque soit bon. On veut en être fier. Le label n’a pas été créé pour gagner de l’argent. On ne peut non plus perdre 500 000 euros tous les ans mais on peut accepter de perdre de l’argent. Par contre, il faut que ce soit bien. Si c’est pour faire du flux et rien d’autre, autant arrêter de suite.
Vous avez des difficultés à organiser des tournées ?
Franck Annese : Oui. Tout dépend des groupes, des tourneurs, de la maturité du groupe au niveau de la reconnaissance du public. Tout n’est pas parfait. On aurait aimé que Pharaon de Winter puisse tourner un peu plus. C’est pas évident. On travaille pour avoir des facteurs déclencheurs. Il faut travailler les lives car ce n’est pas parfait. En même temps, je n’ai jamais vu de lives parfaits. Mais il y a toujours une volonté de progresser. Tu regardes un live des H-Burns aujourd’hui, tu regardes un live des H-Burns il y a trois ans, et bien ce n’est pas la même chose. Tu sens que ça progresse. C’est agréable de travailler avec des groupes qui se sont pas dits « On fait un album et après tout le reste sera moins bien ».
C’est le cas pour H-Burns. Le précédent était moins bien que Night Moves et Night Moves sera moins bien qui celui qui sera enregistré. Etc.
Les mecs bossent et il y a une volonté de progresser. L’égo est bien tourné. Ils vont tous dans le bon sens.
H – Burns – Night Moves
Et comment définis-tu ton rôle de patron de label ? Tu mets le nez dans leurs affaires ? Tu vas les voir en studio ?
Franck Annese : Oui, je suis très présent. Je regarde même l’évolution de leurs démos. J’ai plus un rôle de directeur artistique que de patron de label.
Tu avais des modèles de patron de label ?
Franck Annese : Non. Je n’ai pas de modèle. En même temps je connais très peu de patrons de label. Quand j’étais gamin j’aimais bien Alan McGee. Il avait découvert des groupes que j’écoutais à l’époque. Quand tu ne connais pas ce métier, tu crois toujours que c’est un peu magique. Genre, tu es dans un pub, tu découvres des mecs géniaux et tu fais un carton. Nous, ça ne se passe pas vraiment comme ça. Déjà, je fréquente pas de pub. Mais en vrai, c’est différent. Pour Oasis, ça n’a pas dû se passer comme on nous l’a présenté. Mais il y a ce fantasme.
C’est comme pour les magazines, j’interviens beaucoup et j’agis énormément à l’instinct. J’essaie surtout de comprendre ce que le mec veut dire, veut faire et je vais essayer de lui faire accoucher d’un truc encore mieux. C’est comme pour le métier de journaliste.
Je ne veux pas que les disques me ressemblent. Ce n’est pas le but. Par contre j’ai envie de me dire que quand un disque est terminé, et bien c’est le meilleur que ce groupe là aurait pu sortir à ce moment là. C’est pour cela que ça se passe bien avec les groupes. Ce n’est pas une lutte d’égos. C’est comment on fait pour aller ensemble vers le meilleur disque.
J’essaie surtout de comprendre ce que le mec veut dire, veut faire et je vais essayer de lui faire accoucher d’un truc encore mieux.
Mais pour en revenir au coté économique de la chose, Vietnam semble bien s’en tirer avec H-Burns. Une de ses chansons a été choisie pour la campagne publicitaire des Restos du Cœur…
Franck Annese : Oui, cela commence à prendre. C’est potentiellement un groupe qui rapportera de l’argent au label plus qu’il n’en coûtera. Après je ne leur mets pas la pression. Je ne leur réclame pas un single qui pourrait passer en radio ou un truc du genre. En ce moment, une radio veut qu’on remixe un morceau pour une diffusion. On n’y est pas trop favorable. Le mix initial nous satisfait. C’est un peu compliqué de l’expliquer à la radio mais on va essayer de faire comprendre notre démarche.
Tu es à l’affût des nouveautés ? Tu es un gros consommateur de musique ?
Franck Annese : Non. Je suis à l’affût sans le vouloir. Déjà, j’ai beaucoup de disques auto produits arrivent sur mon bureau. Il y a beaucoup de gens qui voudraient être signés. Il n’y a pas énormément de labels au final.
Mais tu prends le contre-pied du cours des choses. Aujourd’hui, chaque groupe possède son label. Et toi, tu crées un label comme si on était en 1991.
Franck Annese : Il y a un coté « old school ». De même je ne suis pas trop favorable à l’auto production.
Pourquoi ?
Franck Annese : C’est souvent limité. Je ne suis pas sûr que les meilleurs disques soient des disques auto produits. C’est bien quand tu arrives à faire rencontrer un groupe et un producteur. Pour Chevalrex, c’était le cas. Sur son disque, il y avait des passages auto produits. Nous avons discuté et au final il a compris notre démarche. Il a réenregistré ses morceaux. Si tu écoutes, les deux, et objectivement, c’est mieux. Le truc de l’auto production c’est de sortir des disques pas chers et de les rentabiliser rapidement. L’économie du disque est devenue tellement dure que rentabiliser un disque est très difficile.
Nous n’avons pas encore ce souci là. Après on verra.
Et tu n’as aucun tabou pour… ?
Franck Annese : Non. Et c’est marrant car le catalogue rejoint au final mes goûts. J’ai deux grands trucs : le rock indé des années 90 et la variété des années 70. C’est lié à mon éducation. J’ai commencé par la variété car mes parents écoutaient Balavoine, Berger. C’est ce qui passait dans la cuisine quand j’étais môme. J’ai une grosse culture de chanson française de qualité. Et puis, j’ai eu une éducation Inrocks. Je me suis bâti une culture indie puis hip hop. C’est la même chose pour le label avec O, Pharaon de Winter et Chevalrex qui ont un coté pop années 70, chanson française au sens noble. Aujourd’hui on dirait pop française ce qui est paradoxal car c’est de la chanson. Les textes sont soignés.
O – La Rivière | A Take Away Show
Et il y a une partie avec plus indie avec H-Burns. Kakkmaddafakka possède un côté plus Phoenix.
Au départ, les gens disaient qu’on était un label de garage. Même 51 Black Super n’est pas un groupe de garage. Nous sommes tout sauf un label garage ! Ce disque se rapproche plus d’un disque de Sparklehorse ou d’un disque des Guided By Voices que d’un disque du label Born Bad. Born Bad est un label de garage.
On est un label indie nineties. On se rapproche de la pop française qu’on aimait bien comme la pop de Dominique A ou celle du label Lithium. Il faisait un superbe travail les gens de chez Lithium. Ce n’est pas une ligne directrice mais nous avons une cohérence indie nineties global. Ce n’est pas une ligne directrice mais une cohérence.
Une philosophie, une exigence ?
Franck Annese : Oui, une philosophie et un artisanat. C’est un peu ce que tu disais quand on fait un label à contre courant. Ce n’est pas volontaire mais il y a un coté nineties. C’est l’époque dans laquelle on a vécu. Moi j’ai grandi dans les années 90 et j’aimais bien cette culture où la défaite était permise.
Tu as le droit à l’erreur ?
Franck Annese : Oui, t’as le droit de faire des chansons où tu racontes que tu zones dans un coin pourri. Il n’y a pas cette culture de la « win » ultra héroïque. On a un côté assez ‘low profile’. On est dans une culture qui se rapproche des gens de Sonic Youth ou Pavement.
Comme chez Creation Records où McGee rentrait de l’argent avec Oasis et signait à côté des petits groupes qu’il adorait ?
Franck Annese : C’est un peu ça sauf qu’on a pas de gros vendeurs pour l’instant. Bon après, nous ne sommes pas très bons au niveau du marketing. Mais il y a un coté très accessible chez nos disques. Tous même. 51 Black Super a un coté plus spécial peut-être. O, c’est facile à écouter. Les gens accrochent facilement, la mélodie est fascinante, la production léchée et les textes pertinents et travaillés. Même quand c’est en anglais. Renaud (H-Burns) écrit très bien en anglais, John a des textes extraordinaires avec un humour très pointu.
Je ne comprends pas qu’on en vende pas trois millions.
Tout est très accessible.
Top 14
1) Ton album préféré de 2015 ?
Franck Annese : Mon album préféré de 2015. Hors Vietnam ? Ce n’est pas évident. Le dernier Beach House est pas mal mais moins bien que celui d’avant. Le Destroyer m’a vite lassé. J’ai bien aimé le disque de la The Fat White Family et le FIDLAR, mais Too est moins bien que le premier. En 2014, j’avais adoré le The War On Drugs. Ah mais si pour 2015, le Sufjan Stevens ! Il est mortel. Très costaud.
2) Le disque qui va forcément te décevoir ?
Franck Annese : Le prochain The War On Drugs je pense. Il a tout donné sur le dernier.
3) Le disque que tu attends le plus ?
Franck Annese : Or Vietnam ? C’est dur car je suis très concentré sur le label désormais. J’attends beaucoup du prochain Bill Callahan.
4) Le groupe dissolu ou mort que tu aurais rêvé de signer sur Vietnam ?
Franck Annese : Sparklehorse. J’aurais tout donné pour les signer. Ce groupe a marqué ma vie et ma façon de voir la musique.
5) Ton disque préféré de Sparklehorse ?
Franck Annese : Vivadixiesubmarinetransmissionplot. Je l’écoute quasiment tous les jours. Ou au moins trois fois par semaine depuis 1995.
6) Ton disque préféré des années 90 ?
Franck Annese : Vivadixiesubmarinetransmissionplot. Sparklehorse, c’est le trait d’union des mecs de Vietnam.
Sparklehorse - Vivadixiesubmarinetransmissionplot
Il y aussi Elliott Smith que j’écoute beaucoup. Vic Chesnutt aussi. Bon ce n’est pas très drôle, c’est que des types que se sont suicidés. Mais c’est mon panthéon.
8) Le footballeur qui devrait se mettre à la musique ?
Franck Annese : Euh, aucun. Je n’en vois pas beaucoup avec une âme de musicien. Il faudrait un joueur connu. Pastore peut-être. Oui Pastore qui se mettrait à faire de la variété italienne des années 70. Cela pourrait me parler.
9) Ta bande originale de film préférée ?
Franck Annese : Nowhere de Gregg Araki.
10) Le producteur de tes rêves pour un disque de Vietnam ?
Franck Annese : On a eu les deux qu’on voulait : Steve Albini et Rob Schnapf. Je vais dire Dave Fridmann !
11) Ta salle préférée pour voir un concert ?
Franck Annese : L’Élysée Montmartre. Ah si Le Bataclan mais dès que tu prononces le nom de cette salle maintenant… La Cigale sinon. Oui c’est bien La Cigale.
12) Ton disque honteux ?
Franck Annese : Je n’ai honte d’aucun disque. Souvent on me chambre car j’écoute Daniel Balavoine et France Gall. J’adore France Gall. Alors quand tu dis que tu aimes France Gall et que tu es censé écouter du rock indie des années 90, les mecs te prennent pour un fou. Dernièrement, je mettais à fond Manureva d’Alain Chamfort.
13) Le refrain ultime ?
Franck Annese : Range Life de Pavement. Tu ne peux pas le chantonner quand tu l’écouter. Il y aussi quelques refrains de Weezer aussi.
Pavement – Range Life
Le refrain de Celui qui chante de Michel Berger est imparable. Les refrains sont faits pour être ultimes. Et comme je suis très sensible à la mélodie…
14) Quel groupe choisirais-tu pour tourner un rockumentaire ?
Franck Annese : Mort ? Sparklehorse. On a commencé à gratter pour faire un film librement adapté de la vie de Mark Linkous. Un jour, ce projet verra le jour. Sinon un film sur la The Fat White Family. Ils doivent être drôles à filmer. Sinon FIDLAR. J’adorerais produire un rockumentaire sur FIDLAR tourné par Ryan Baxley. C’est le mec qui fait tous leurs clips. Il a tout compris au clip. A chaque clip, tous les codes sont là. Il n’y a pas une débauche de moyens, c’est toujours malin et bien vu. C’est intelligent. Le type a une vraie culture clip. Il n’y a pas de démonstration de force. Je ne suis pas très fan des clips de Fleur & Manu. Celui que je préfère c’est leur premier avec Sébastien Tellier. Par contre je suis hyper client de Ryan Baxley. Il a un vrai talent et une vraie signature. C’est jamais le même sujet, c’est jamais la même lumière mais il a son truc.
FIDLAR – Wait For The Man
La soirée Vietnam se tiendra le 4 mars 2016 à La Maroquinerie avec O, Pharaon de Winter, H-Burns, Chevalrex et plein d’invités surprises !