Pour faire court et simple, ce garçon est originaire de Liverpool et partage le même goût pour l’insuccès que son voisin de palier Michael Head (The Pale Fountains, Shack, Michael Head and The Red Elastic Band).
Comme l’auteur de Something on my mind, John Cunningham a écrit en toute discrétion les plus beaux morceaux de la pop britannique de la fin du vingtième siècle.
Membre des Curtain Twitchers (avec Jane Fox des The Marine Girls), il attira l’attention des Inrockuptibles avec son premier EP, Backward Steps (1989). L’Angleterre, elle, préféra s’intéresser aux The Smiths et laissa la France récupérer cet auteur.
Quatre albums plus tard et nous voilà en 2016. John Cunningham enregistre actuellement son nouveau disque. Si tout se déroule selon les plans de Microcultures, ce maudit pourrait vendre quelques disques et remplir des salles de taille respectable.
Avant cette salvatrice mise en lumière, voici donc la discographie de John Cunningham commentée par John Cunningham en personne et par Mehdi Zannad de Fugu. Oui car en découvrant cet anglais distingué, on tombe rapidement sur le nom de Zannad. Ce Français a collaboré avec Cunningham sur son album Happy-Go-Unlucky. Le nom Zannad intrigue. On enquête et on découvre assez facilement que ce diplômé de L’École d’Architecture de Nancy a écrit de merveilleuses choses sous le nom de Fugu. Trait d’union qui unit les fans des Beatles et les amoureux de Stereolab, Fugu est notre Sean O’Hagan local.
Il est pratique ce John Cunningham. En plus d’écrire des choses merveilleuses, il nous fait découvrir l’un des meilleurs musiciens français.
Backward Steps
La-Di-Da Productions – 1989
Discographies
Michael Head & The Red Elastic Band ★ Paul McCartney ★ R.E.M. ★ Sean O'Hagan ★ Shack ★ StereolabBacward Steps est un début prometteur pour le jeune John. Sans s’en rendre compte, il débauche un Housemartins et écrit déjà parfaitement. L’avenir s’annonce radieux.
Comment as-tu rencontré Stan Cullimore ? Et le label La-Di-Da Production ?
John Cunningham : J’ai rencontré Stan grâce à un ami commun. Ce dernier lui avait donné une cassette qui contenait quelques démos assez brutes de décoffrage que je venais d’enregistrer. Il m’a écrit pour me dire qu’il avait adoré mon travail et que j’étais le bienvenu si je voulais enregistrer quelque chose avec lui. C’était très excitant car à l’époque les The Housemartins étaient un groupe très populaire et j’étais très jeune. C’est à cette période que les The Housemartins invitaient des groupes inconnus, comme les The Proclaimers ou les The Farm pour enregistrer des morceaux instrumentaux gratuitement. Cela les a bien aidés à avoir du succès.
Quelque chose de plus bizarre m’est encore arrivé par la suite. Stan a décidé de quitter les The Housemartins et a voulu former un groupe avec moi. Évidemment ce fut une énorme surprise ! Cela suscita aussi l’exaspération du reste du groupe. On a enregistré trois titres à Hull et après nous avoir fait plein de promesses pécuniaires, Go! Discs a décidé de ne pas sortir nos chansons. Ils ont traité Stan de bien mauvaise manière, surtout si on regarde son parcours. Pour moi, ce fut le baptême du feu, une sorte d’introduction dans le monde de l’industrie musicale.
John Cunningham – Backward Steps
Pourquoi avoir enregistré la face A à Hull et la face B à Hove ?
John Cunningham : J’avais déjà enregistré trois titres quand les gens de La-Di-Da m’ont entendu jouer via une radio locale. Ils m’ont alors contacté et se sont dits qu’il y avait peut-être un coup marketing à réaliser grâce à ma liaison avec les The Housemartins. Je voulais publier mon travail donc j’ai accepté leur proposition. J’ai enregistré trois aux autres titres à Hove et nous avons publié cet disque.
Et cette pochette de disque ?
John Cunningham : La pochette est une gravure sur bois réalisée par Colin Kennedy qui était mon beau frère. J’aimais beaucoup son travail et je lui ai demandé s’il pouvait me faire une gravure.
Shankly Gates
La-Di-Da Productions – 1992
Publié en 1992, le premier Cunningham annonce d’emblée la couleur. De l’Hammond, de l’Hammond et de l’Hammond !
Shankly Gates, c’est The The qui fornique avec les The Smiths ! Un délice !
Pourquoi as-tu publié si rapidement ce premier album ?
John Cunningham : L’enregistrement de cet album est la conséquence directe de l’intérêt de la presse française pour Backwards Steps. La-Di-Da ne croyait plus trop à ma musique. Nous n’avions pas les mêmes goûts musicaux et ils m’avaient confié qu’ils souhaitaient que notre collaboration s’arrête là. Sauf qu’entre temps la presse française a montré un grand intérêt pour ma musique, en particulier Les Inrockuptibles… Ils m’ont vu alors comme une machine à dollars et se sont dits qu’ils pouvaient se faire un peu d’argent. Si j’avais eu le choix, je les aurais quittés et j’aurais trouvé un nouveau label. Mais à l’époque personne ne s’intéressait à ma musique… Sauf moi. Nous avons donc convenu de sortir un disque. Je peux donc remercier la presse française et les fans de musique.
L’orchestration de ce disque est extrêmement fine et ciselée. Comment as tu travaillé avec ton groupe ?
John Cunningham : Je leur joue mes chansons et je leur explique comment elles sonnent dans ma tête. Je montre au bassiste les parties de basse sur ma guitare. Idem pour le batteur… Je tape sur différents objets. Après nous répétons énormément et nous enregistrons. Ensuite, j’assemble toutes les couches d’instruments. Je peux tout entendre dans ma tête. Des fois cela fonctionne… Et des fois pas du tout.
John Cunningham – Shankly Gates
Quelle est l’histoire de la chanson Shankly Gates ?
John Cunningham : Je suis né à Liverpool et j’en ai hérité une passion pour le Liverpool FC qui perdure encore aujourd’hui. J’ai choisi Shankly Gates car pour moi Bill Shankly symbolise l’intégrité, la diligence et la passion. J’ai grandi avec ce nom et je voulais écrire quelque chose qui contrastait avec la politique de l’époque. Shankly Gates a été écrite pendant la Première Guerre du Golfe, conflit auquel j’étais opposé. Et puis cela faisait une décennie qu’on subissait un gouvernement conservateur qui insufflait une vague de marginalisation incroyable, surtout chez les jeunes. J’ai toujours refusé de me couper du monde environnant… Surtout quand celui-ci est injuste. Shankly Gates est ma protest song.
Bringing in the blue
La-Di-Da Productions – 1994
Publié en pleine période Brit Pop, Bringing in the blue passe évidemment à la trappe commercialement parlant.
Dernier disque pour La-Di-Da, c’est le disque qui précède l’exil de Cunningham vers le continent.
La pochette est de nouveau signée Colin Kennedy. Pourquoi avoir décidé de travailler avec lui de nouveau ?
John Cunningham : J’aimais son travail et il était toujours prêt à réaliser des gravures sur bois. Sa personnalité correspondait bien à ma musique.
Pourquoi as-tu produit toi même ce disque ?
John Cunningham : J’avais quelques chansons et je voulais les sortir. Aujourd’hui, je pense que j’ai surproduit ce disque. Je pense que j’aurais dû me concentrer d’avantage sur les chansons et les aiguiser. En faire des tonnes ne sert strictement à rien quand ta chanson est à moitié écrite.
Quelle est l’histoire d’Oblivious To Change ?
John Cunningham : C’est une chanson qui évoque ma ville natale, Liverpool et de comment cette ville peut être perçue de loin. J’ai déménagé mais j’y retourne assez souvent. C’est comme si tu voyais Liverpool en étant installé sur les hauteurs des dunes de la plage de Formy.
Homeless House
Les Disques Mangent-Tout – 1998
Signé sur le label lillois Les Disques Mangent-Tout, John Cunningham bénéficie pour la première fois d’une distribution correcte. En effet, les gens du Nord ont un deal de distribution avec PIAS. Mais là encore, ça coince.
Pourtant Homeless House colle parfaitement avec son époque. Disque de fin de siècle, il trouve sa place à coté d’Up de R.E.M. et de Figure 8 d’Elliott Smith. Contenant le même nombre de chansons que No Song, No Spell, No Madrigal, Homeless House fera pleurer dans toutes les chaumières.
Homeless House ne contient que huit chansons. Pourquoi ? Il y a des chansons que tu n’as pas publiées ?
John Cunningham : Les chansons d’Homeless House ont été écrites sur un laps de temps très court pour capturer l’humeur d’un moment. C’est aussi pour cela qu’elles ont été aussi enregistrées très rapidement. Il existe une chanson qui n’a pas été publiée. Disons que c’est une chanson écrite à moitié…
Quelle est l’histoire de Taming the family ? Cette chanson est spendide.
John Cunningham : Parfois une chanson peut-être gâchée quand on sait ce par quoi l’auteur a été inspiré. Ainsi Blackbird de Paul McCartney à propos d’une femme noire a participé au Mouvement des droits civiques aux États-Unis. Je préfère penser que cette chanson a été inspirée par Blake et qu’elle parle de spiritualité. Et cette chanson aurait pour paysage la campagne anglaise. Taming the family évoque la crainte et l’excitation des enfants à propos de la vie. Elle évoque aussi le savoir et la créativité que les familles peuvent anéantir. Et puis Taming the family évoque aussi l’isolement qui touche certaines familles.
John Cunningham – Taming the Family
Tu es d’accord avec les critiques quand ils te comparent à Elliott Smith et Emitt Rhodes ?
John Cunningham : Je suppose qu’ils ont raison. Bien que j’ai découvert ces deux artistes après avoir enregistré Homeless House… Mes influences sont à chercher dans ces deux écrivains.
John Cunningham - Happy Go-Unlucky / Homeless House
Happy-Go-Unlucky
Top 5 Records – 2002
Signé chez les Belges de Top 5 Records, John Cunningham sort en 2002 son disque le plus pop. Avec des arrangements signés Mehdi Zannad (Fugu), Happy-Go-Unlucky est peut-être le disque le plus facile d’accès de cet Anglais.
A cette époque, la pop anglaise était en plein renouveau. On pense aux Thrills, aux The Coral et aux autres groupes désormais oubliés (The Electric Soft Parade notamment). Le vrai oublié de l’affaire, c’est encore une fois John Cunningham qui aligne les excellentes chroniques mais qui vend au final très peu de disques. Avec Happy-Go-Unlucky, Cunningham apparaît comme le Parrain de cette scène.
Attention, après avoir écouté Happy-Go-Unlucky vous serez forcé de remiser une partie de vos disques préférés au grenier.
Comment as-tu rencontré John Cunningham ? Via le boss du label Les Disques Mange-Tout ?
Mehdi Zannad : J’ai été scotché à l’écoute de Public Information Song, je suis allé le voir en concert dans un bar à Nancy, Alex Mélis a fait les présentations. John connaissait She’s Coming Over et avait aimé : j’ai eu le sentiment d’avoir trouvé un frère spirituel.
Vous avez quels groupes en commun ?
Mehdi Zannad : Les The Beatles bien sûr ! Il m’a fait écouter Stackridge pendant le mixage de Fugu 1 (en particulier la chanson Fundamentally Yours), un groupe produit par George Martin. De mon côté ça a été Emitt Rhodes, que j’ai repris avec lui sur scène pendant la tournée de Fugu.
Comment avez vous pris la décision de travailler ensemble ?
Mehdi Zannad : Ça s’est imposé tout seul. Je lui ai demandé de mixer Fugu 1. Et lui que je participe à l’enregistrement de Happy-Go-Unlucky.
Où a été enregistré Happy-Go-Unlucky ? En combien de temps ?
Mehdi Zannad : A Brighton, chez lui et dans le studio de l’école d’ingénieurs du son dans laquelle il travaillait, pour les cuivres et les cordes. Il avait déjà bien avancé lorsque je suis arrivé. Tous les pianos étaient déjà enregistrés, par Joe Watson, un super musicien (il a intégré Stereolab un peu plus tard).
Quel a été ton rôle ?
Mehdi Zannad : J’ai fait Doug Yule, en chantant ingénument sur Losing Myself Too et Way to go. J’ai joué du mellotron sur pas mal de titres et j’ai écrit les arrangements de You Shine.
Quel est ton meilleur souvenir lié à cet enregistrement ?
Mehdi Zannad : Traîner au pub à Brighton…
Quelle est ta chanson préférée de ce disque ?
Mehdi Zannad : Can’t Get Used to This avec les soli de la fin, qu’il a enregistré devant moi. Il a aussi fait toutes les basses en direct sur ma Hôfner.
Tu as écouté son nouveau titre ?
Mehdi Zannad : Oui, excellent. C’est comme des retrouvailles !
La pochette d’Happy-Go-Unlucky me rappelle celle The Fable Sessions de Shack. C’est ton disque de « Scouser » ? C’est ton disque le plus pop.
John Cunningham : Tu as sans doute raison. J’ai travaillé avec Mehdi sur ce disque et nous avons cherché « une zone de confort ». Du coup, ce disque est un peu moins introspectif que les autres. C’est pour cela qu’il sonne très pop. Et puis avec Mehdi on adore les Beatles, cela explique le coté scouser.
Comment as-tu rencontré Joe Watson ? Cela a été facile de travailler avec lui ?
John Cunningham : Oui très facile. J’ai rencontré Joe là où nous enseignons la musique. Nous avons commencé ensembles.
C’est un bon ami et un musicien extraordinaire.
Où ont été écrites ces chansons ? L’endroit est important pour toi ?
John Cunningham : Je pense que l’endroit est important pour tout le monde, quoique tu fasses. J’ai écrit ces chansons à Brighton. J’y ai habité pendant pas mal d’années.
Fell
Microcultures – 2016
En 2016, le label Microcultures prend tout le monde de court.
Quelques mois plus tôt, le label parisien a décroché le jackpot avec la sortie de No Song, No Spell, No Madrigal. Depuis, cette maison est condamnée à l’exploit. Tout le monde l’attend au tournant.
Avec la signature de John Cunningham, l’impossible équation semble résolue.
Comment as-tu rencontré l’équipe du label Microcultures ?
John Cunningham : Grâce à Franck Zeisel qui nous a mis en contact. J’ai été séduit par leur démarche et par leur gestion de la sortie du disque des The Apartments.
Pourquoi avoir choisi Frozen In Time comme premier extrait ? C’est le mix parfait entre John Lennon et Brian Wilson.
John Cunningham : J’ai testé quelques chansons auprès de mes amis et celle-ci est apparue comme l’un des plus accessibles. Si cette chanson possède ne serait-ce qu’un pour cent du talent de ces deux génies alors je suis un homme heureux.
Quand as-tu écris ces nouvelles chansons ?
John Cunningham : Certaines ont été écrites à Dublin. Le reste a été écrit chez moi, dans la région du Lake District. C’est une région du Nord de l’Angleterre.
Quel est ton meilleur souvenir à propos de l’enregistrement de Fell ?
John Cunningham : C’est en cours de construction.
Vous pouvez participer au financement de Fell via le site de Microcultures.
Et pour se procurer des disques de John Cunningham à prix modique, il est à noter que le label Redeye a publié en 2010 un bel objet qui rassemble Homeless House et Happy Go-Unlucky.
Merci pour cette interview ! Vive John Cunningham, que votre article donne l’envie d’écouter et de réécouter.
Merci !
Merci, très jolie interview.
On sent la sincérité et la simplicité du bonhomme..
Je ne sais pas si c’est aussi une de ces influence, mais je trouve qu’il y’a également quelque chose de Peter Gabriel dans sa musique et son timbre de voix.