Anti Slogan est le grand disque pop de 2018. Rémy Poncet quitte le paradigme de « la musique de poche » et se gravit des sommets baroques sur ce nouvel album.
Tu as lu Simone de Beauvoir…
Discographie
ChevalrexChevalrex : Tu parles de Simone de Beauvoir parce que nous sommes au Jardin du Luxembourg ?
Du tout ! Simone de Beauvoir est citée dans la biographie de ton nouveau disque. Comment es-tu venu à elle ?
Je tournais autour depuis un moment. J’ai commencé à lire son oeuvre autobiographique parce que c’est un aspect qui m’intéresse particulièrement chez les auteurs, les artistes. Les carnets, les correspondances ou les récits autobiographiques ont souvent quelque chose de spécial. Mémoires d’une jeune fille rangée, le premier livre de la série sur sa vie, m’a cueilli et je n’ai pas pu faire autrement que lire tous les autres. Je n’ai lu que ça pendant un moment.
Cela a joué un rôle très important ?
Disons que l’élan qu’il y a dans ses livres, ce qu’elle veut bien laisser apparaître de sa vie, a été suffisamment important pour que j’ai envie de l’articuler avec ce que j’étais en train d’écrire et de vivre. Ces livres ne m’ont pas inspiré le disque mais la liberté dont il est très souvent question dans ses textes et sa vie est une chose vers laquelle je reviens souvent et qu’on retrouve, je crois, dans ce que je fais. Elle est toujours un peu à coté, à distance, sans cesse tiraillée entre le besoin de vivre, de se confronter au monde, le sentir et à la fois de se retirer pour penser les choses, travailler, faire œuvre. Il y a un point de tension qu’elle cherche en permanence. Par moment, la tension entre les deux aspirations se relâche, puis revient. C’est un va-et-vient permanent. Ça me parle particulièrement.
Ce disque apparaît comme une rupture. Pour la première fois tu fais entrer du monde dans ton studio et tu ne travailles plus seul. Angy Laperdrix est toujours là mais on voit arriver Mocke, Olivier Marguerit…
Je parlais de liberté à l’instant, c’est aussi une liberté prise par rapport à soi. J’ai toujours enregistré et arrangé mes disques seul comme tu le dis. La pratique de la musique en autarcie a plein de vertus et j’y reviendrai probablement, mais après Catapulte et Futurisme que j’avais vraiment pensé sans grand monde autour, j’avais besoin d’autre chose. À partir du moment où Angy Laperdrix a mixé Futurisme, l’envie de travailler différemment est apparue. J’ai vu ce que ça pouvait apporter à mon travail de bien m’entourer. En terme de mouvement, confronter mes chansons à d’autres musiciens assez tôt dans le processus a aussi été une façon d’assumer plus fortement mes envies, de les regarder rebondir et évoluer. Avec un peu de recul, enregistrer un disque seul est très charmant mais c’est aussi une façon confortable de travailler, assez rassurante, sans contradiction, sans avoir à défendre ses positions. Après Futurisme, j’ai eu envie de me frotter à autre chose qu’un multi-pistes et mes carnets. Je joue depuis plus de deux ans avec Mocke en concert (dans son projet au départ et puis plus récemment pour Chevalrex), on commence à vraiment bien se connaître, l’impliquer fut un glissement naturel. Olivier Marguerit, je le connaissais en tant que musicien mais on s’était surtout rencontré quand j’ai réalisé la pochette de son premier album solo, sa présence a été parfaite. Sylvain Joasson à la batterie est un batteur que j’adore depuis longtemps, j’ai dû le voir en concert pour la première fois en 2004, un concert de Mendelson à Grenoble, c’était évident à un moment donné que c’était un disque pour lui. Et puis sinon Angy a aussi naturellement glissé du statut de mixeur du précédent album à celui de compagnon dans la production. On a fait plein de séances de travail ensemble, dès les démos. Ça a été super. Comme je voulais écrire sur l’idée d’ouverture, de confrontation, j’ai ouvert la porte de mon laboratoire. Ça reste de la musique de chambre mais avec une fenêtre qui s’est ouverte pour laisser passer la lumière.
Tu as aussi ouvert la porte à un orchestre de cordes…
Ça, ça a été le petit kiff du disque oui. Je ne sais pas écrire la musique, comment transmettre à l’écrit une idée, une phrase musicale… mais je savais à peu près ce que je voulais. Je me suis donc intéressé de plus prêt à l’écriture pour orchestre, pas d’un point de vue de la notation parce que je pars de très loin et que je voulais aller vite, mais d’un point de vue de l’harmonie. J’avais toujours fait ça de façon intuitive, là il fallait que je sois un peu plus sûr de mes options pour les transmettre à un orchestre et que ça fonctionne. Donc je m’y suis collé. J’ai lu quelques trucs sur internet, dans des livres… J’ai fait une première orchestration avec les sons de cordes de mon mellotron, puis j’ai amélioré l’affaire avec un logiciel de simulation d’orchestre. À partir de ce moment-là, quand j’ai commencé à être satisfait, j’ai travaillé avec Benjamin Esdraffo qui a permis à ce travail de s’écrire sur des partitions. Je suis parti seul en Macédoine pour l’enregistrement et ça a été vraiment génial.
Tu as assisté à la session ? Il y a a combien de cordes ?
Oui ! Il y a trente musiciens. Je connaissais, sans savoir les lire, les partitions par cœur, graphiquement, pour pouvoir échanger avec les musiciens et le chef si besoin. Ça a été la touche finale du disque, avant le mix. Les cordes ont été enregistrées quand tout était déjà en boîte.
Tu es entré facilement dans l’enregistrement de ce disque ? Et tu en es sorti facilement ?
Oui. Cet enregistrement et le travail autour du disque a été un moment particulièrement agréable.
Futurisme est sorti en juin 2016. J’étais ravi de l’accueil du disque. Je suis parti en Russie cet été là. Un jour où j’étais tranquille, sans projet particulier, je me suis replongé dans les ébauches de morceaux que j’avais laissé de côté à la fin de l’écriture de Futurisme. Je ne m’attendais à rien, la sortie du disque avait complètement effacé les heures de travail et de tentatives avortées qu’il y avait derrière, mais je me suis retrouvé face à un corpus de pas mal de titres intéressants pour la suite. C’était globalement des bouts de chansons à finir et parfaire mais il y avait une bonne base de travail, et surtout, de tout ça, une idée se dégageait. L’adversaire à l’état de maquette, Claire dans une proto-version enregistrée sur mon téléphone ou Bonjour, c’est moi en version un peu orchestrée et inachevée qui traînait depuis un moment, ont décidé de l’orientation du disque. L’envie d’un disque plus pop et lumineux était là. J’ai fait le tri du paquet de démos et les ai envoyés à Franck Annese de Vietnam, qui m’a dit qu’il fallait y aller, que ça allait être un bon disque. Je suis donc allé voir Angy dès l’automne et on s’est mis au travail. J’ai continué à écrire jusqu’au printemps 2017. Entre temps, on avait fait une première session d’enregistrement et glané pas mal de matériaux pour que je puisse assembler les choses chez moi tranquillement… On a travaillé sur la construction du disque d’octobre à mai environ. On a refait une session d’enregistrement début juin, puis le mix, les finitions, de juin à août 2017.
Et si ce disque rime avec succès… Comment le prends-tu ?
C’est une question un peu abstraite. Même si il me semble que c’est un disque plus lumineux et plus ouvert… je ne sais pas. Il y a beaucoup de choses qui m’échappent par rapport à cette idée, à partir de quand parle-ton de succès, d’échec ? Pas certain que ça m’intéresse dans le fond. Et puis je ne suis pas certain non plus d’être en phase avec ce qui marche aujourd’hui. Je parlais des allers-retours de Simone de Beauvoir par rapport au monde, de l’appétit au dégoût… Avec ce disque, je fais clairement un pas vers le monde mais je suis infoutu de savoir si le monde fera un pas vers moi. Je dis ça sans crainte, ça me fait même un peu rigoler. Si succès il y a, comme tu dis, je vivrai de mes royalties, ce sera déjà ça… même si ce sera sûrement une histoire de malentendu. Un morceau comme Claire par exemple.
J’allais venir à ce morceau…
C’est le morceau le plus simple et classique formellement il me semble. Les autres ne répondent pas vraiment à des formats répertoriés ou aux codes de l’époque. Je cherche toujours des formes d’évidence et de simplicité, des lignes pures, mais le parcours est souvent un peu piégé. Parfois je taille dans la masse pour arriver à ce que je veux, même si c’est au dépend d’un refrain ou parfois je laisse dépasser quelques épines.
Qui est Claire ? Et comment l’as tu écrit ? C’est un morceau très doux qui contient ce mot (« pisse ») fait l’effet d’un choc quand tu écoutes ce morceau.
C’est l’épine dont je parlais ! J’avais deux phrases, sans lien apparent, notées dans un carnet, l’une sur l’autre : « Si je sens la pisse, m’aimeras-tu encore? », « Nous avons tendance à l’ensevelissement ». Elles ont été l’impulsion de départ. La chanson s’est construite sur ces mots. J’aime l’idée de cette chanson. J’aime le frottement qui peut se créer entre cette forme très folk 60’s californien, ligne claire avec la rythmique et les cordes puis ce texte très concret, un peu râpeux. Si tu enlèves les mots « ensevelissement » et « pisse », tu perds l’aspérité qui fait l’intérêt de la chanson je crois.
E
Et pour L’adversaire… Je suis dans le faux si je pense à Emmanuel Carrère ?
C’est rigolo car le titre est arrivé bien après tous les autres, quand le disque était terminé. J’avais plusieurs titres de travail que je n’aimais pas. On m’a soufflé ce nom L’adversaire. Aucune évidence ne s’imposait. Ma première réaction a été de dire non, c’est le roman de Carrère. Et puis je m’y suis penché un peu et ça s’est révélé le titre parfait. La correspondance avec Carrère est intéressante et devient revendiquée. Je n’ai pas lu ce livre là mais suffisamment d’autres pour savoir qu’il se joue un truc qui fait échos à ce que j’écris, toujours cette même circulation entre un individu et le monde.
Autre surprise… Ce disque a été influencé par les Tindersticks.
Mocke les a vus en concert à Bruxelles l’été dernier. Les ayant beaucoup écoutés ado et vu plusieurs fois en concert, j’ai eu envie de m’y replonger, notamment dans Curtains et leur second album. Anti slogan était écrit et les orchestrations terminées mais sur un titre comme À l’abri du vie intérieure, l’héritage des Tindersticks m’a semblé après coup assez parlant, en terme d’écriture de cordes. J’adore la dramaturgie qu’ils arrivent à créer en 4 minutes. Je crois qu’il y a souvent des choses qui resurgissent sans qu’on s’en aperçoive.
Tindersticks a sûrement orienté mon goût pour une forme de lyrisme artisanal, et j’adore aujourd’hui l’idée que Stuart Staples vivent et travaillent dans la Creuse.
Pourquoi as-tu mis ta tête sur la pochette ?
J’ai l’impression que je vais répondre de la même manière à cette question sur l’image qu’aux questions sur la musique. Après Futurisme et mon profil comme une ombre chinoise en couverture, je ne me voyais pas à nouveau disparaître ou m’effacer. Je voulais affirmer le mouvement, sortir de l’ombre. J’ai beaucoup travaillé sur le masque, l’effacement, en terme d’images ces dernières années. Je continuerai d’ailleurs, pour moi ou pour d’autres, mais pour ce disque, puisque je parle de lumière, d’ouverture, il fallait quelque chose de frontal et direct, coloré également. D’ailleurs, quand on s’y penche, ce portrait reste un masque, cette dimension me plaît bien, la tension présence/absence que ça créait. En tout cas, dans le cadre d’un disque de chansons, la figure quasi imposée du portrait du chanteur ou de la chanteuse est une chose intéressante à contourner ou à s’approprier. Et puis les premiers mots du disque sont « Moi, face aux mouvements du cœur ». Ça ne pouvait être que moi de face en pochette.
Chevalrex - Anti Slogan
Anti Slogan de Chevalrex sortira en 2018 chez Vietnam / Because Music.
Chevalrex sera en concert le 29 mars 2018 aux Étoiles (Paris) et en tournée dans toute la France.
- Face au mouvement du cœur #1
- L'adversaire
- Bonjour c'est moi
- Anti Slogan
- Baltimore
- Face au mouvement du cœur #2
- Claire
- Le Grand Absent
- A l'abri d'une vie intérieure
- L'éternité