Cette réédition ne fut pas un coup d’essai mais un coup de maître. Oublié de tous, ce disque est une œuvre majeure des 90’s qui ressurgit au début des années 2010 pour faire résonner ses guitares endiablées.
Chroniquée efficacement par Nicolas Ungemuth dans Rock’n’Folk lors de cette sortie, cette réédition est un tremblement de terre pour celui qui n’a jamais entendu parler des Apartments et qui croise pour la première fois la route de la voix de Peter Milton Walsh en 2012.
Emmanuel Tellier, cheville ouvrière du retour en grâce de l’empereur australien en 2015, trouve les mots justes pour décrire les effets de The Goodbye Train et de All His Stupid Friends. La première écoute des chansons de Drift tétanise l’auditeur. Le diable serait-il descendu sur terre pour faire la java ?
Voici un entretien avec Peter Milton Walsh et un rapide échange avec le producteur de Drift, Paul McKercher.
Peter Milton Walsh
Comment a-tu rencontré l’équipe de Talitres ?
Peter Milton Walsh : Le mot « équipe » est un bien grand mot. Je pense qu’un seul homme a permis cette réédition en 2010. Et cet homme, c’est Sean. Le grand Emmanuel Tellier, qui est un fin connaisseur du milieu musical, a rendu possible notre rencontre. J’ai donc échangé avec Sean à Paris. Je crois me souvenir que c’était au Comptoir du Panthéon. Un de ces vieux bistrots près de la Sorbonne… Plus tôt dans l’année j’avais enregistré Black Ribbons avec Natasha et Antoine.
Discographie
The ApartmentsQuels sont tes sentiments par rapport à cette réédition ?
Peter Milton Walsh : Je remercie encore Sean d’avoir voulu rééditer Drift. Je suis honoré d’avoir été associé à un label si prestigieux. De nouvelles personnes allaient pouvoir s’approprier les chansons des Apartments car elles allaient être de nouveau disponibles. Et souvent, c’est vers de nouvelles personnes que les nouvelles chansons se dirigent. Je suis donc très reconnaissant à Sean d’avoir voulu réédité Drift. Et je suis honoré d’avoir été associé à un tel label. Sean s’implique énormément dans chaque action dans laquelle il croit, et je trouve que c’est une façon très dangereuse de vivre. Je pense que le monde est plus riche et nos expériences beaucoup plus intéressantes grâce à la douce folie de petits labels comme Talitres et grâce à leurs réalisations.
- [1/15] Elk City
- [2/15] Dialogues croisés avec Motorama
- [3/15] Do the Stranded Horse
- [4/15] Vous ne viendrez plus chez Total Heaven par hasard !
- [5/15] 15 ans = 15 photos
- [7/15] Frànçois, l’homme tranquille
- [8/15] Le bel état d’Idaho
- [9/15] Le prince Édouard
- [10/15] Eko & Vinda Folio : Pop de Poche
- [11/15] Les choix de Sean
- [12/15] Photos : Motorama @ Sonic, Lyon | 02.11.2016
- [13/15] Laish – Pendulum Swing
- [14/15] Talitres à l’assaut de La Maro !
- [15/15] L’archipel du décibel
Nous avons trois bonus sur cette réédition dont Calling On Jean. Quelle chanson fantastique ! Quelle est son histoire ?
Peter Milton Walsh : Merci. Je dois la rejouer pour me rappeler son histoire. Nous l’avions enregistré il y a 30 ans, de la manière que j’aime pour enregistrer : c’est à dire en une prise. Maintenant que je l’ai réécoutée, c’est un terrain qui me semble très familier…
« I’ve seen the traces of desperation in your eyes. But now, now it’s mine« . J’ai souvent constaté que si j’allais chercher les ennuis, je les trouvais. J’ai aussi remarqué que quand des situations comme celle-ci, on pouvait très facilement inverser les rôles. Donc, je suppose que dans cette chanson, quelqu’un finit à genoux en train d’appeler Jean.
The Apartments – Calling On Jean (Exclusive 1986 Demo) (Official Audio)
Pourquoi avoir choisi de travailler avec Paul McKercher ?
Peter Milton Walsh : Je pense qu’il était plus habitué au studio dans lequel nous avons enregistré (avec le groupe de Greg). Je ne suis plus très sûr. Paul était plus focalisé sur les sons que sur les chansons à cette époque. Et il avait le truc pour les guitares. C’est pour ça que j’ai voulu de lui à cette époque. Ce fut un choix inspiré et brillant.
L’édition originale a été masterisée par Steve Smart. La réédition aussi. As-tu participé à la remasterisation ?
Peter Milton Walsh : L’édition originale a été masterisée par Don Bartley. J’ai commencé à penser à une réédition avec Steve Smart en 2010, en pensant que les techniques avaient évolué en 25 ans. « Participer » est un bien grand mot, je ne suis pas très utile dans ce genre de situation. J’ai tendance à tout confier à l’ingénieur du son, car ses oreilles perçoivent plein de trucs qui m’échappent. C’était d’ailleurs intéressant, parce que ça m’a pris très longtemps pour retrouver les cassettes (je ne suis pas très organisé), et j’ai découvert qu’une partie des masters ne fonctionneraient pas car ils étaient en mono. Il a donc fallu que je trouve les mixes sur une autre source.
Cet album est un disque de guitares. Où as tu appris à jouer de la guitare ?
Peter Milton Walsh : Mon cousin est venu passer les vacances de Noël chez moi quand j’avais douze ans. Il m’a montré comment jouer deux chansons : Sinnerman de Nina Simone (la version des Seekers) et A Soalin’ de Peter, Paul and Mary. Il s’agit des deux premières chansons que j’ai su jouer.
Peter, Paul and Mary – A Soalin’
Quelle est l’histoire de la photographie que tu as utilisée en guise de pochette ? Et pourquoi ce bleu ?
Peter Milton Walsh : Certains albums de Blue Note ont la même teinte, la même couleur. Reid Miles, le graphiste, utilisait souvent le noir et blanc pour les photographies qu’il utilisait dans ses pochettes. La pochette de Drift capture le monde à travers les chansons, les histoires, le ressenti de ces personnages qui se croisent au cours de leurs vies. La couleur en rajoute au côté sombre, solitaire, du bout de la nuit de ce monde. Et ces gens, comme moi – à l’époque, je pouvais trouver mon chemin dans ce monde aveuglant- ils boivent tout le temps, ils bougent tout le temps, ils demandent tout le temps. L’album avait eu deux autres titres avant. Le premier était Noir. Je pensais que Tourneur aurait pu faire un film dans cet univers. Un autre titre que j’avais à un moment était Someone to ride down with.
« Paul McKercher avait le truc pour les guitares. »
Quel est ton meilleur souvenir de la tournée française de 1994 ?
Peter Milton Walsh : Il y a eu quelques bons moments. Un couple est venu avec des amis – ils devaient avoir 18,19 ans – et avait fait la route de Marseille à Lyon. Ils connaissaient les paroles de toutes les chansons de The Evening Visits et de Drift, et c’était clairement les fans de The Apartments les plus passionnés que j’ai rencontrés sur cette tournée.
Jouer What’s Left of Your Nerve? en guise de dernière chanson à la Cigale à Paris, avec la salle qui s’embrase avec le son, puis qui fait les chœurs sur Mr Somewhere, puis tout le bruit qui diminue, la salle soudain si calme qu’on pouvait entendre mes doigts glisser sur la guitare. Une expérience très touchante, ce soir-là.
Paul McKercher
Comment as-tu rencontré Peter Milton Walsh ?
Paul McKercher : J’ai rencontré Peter quand nous travaillions tous les deux à l’Australian Broadcasting Commission (la radio nationale australienne) à Sydney.
Comment s’est passé l’enregistrement ? Combien de temps cela vous a pris ?
Paul McKercher : Enregistrer cet album a été la partie la plus facile d’un processus qui s’est avéré très difficile. Avoir un groupe bien préparé qui est heureux de travailler sur du bon matériel que tu as déjà utilisé te rend les sessions faciles et agréables. Il y avait une solide amitié entre les membres des Apartments et la foi de Peter dans ses interprétations et ses parties jouées faisaient qu’il y avait un grand respect le concernant. Artistiquement, le groupe s’est rapidement approprié l’esprit des chansons. Les prises ont donc été rapides et réalisées sans aucune difficulté. Le tout a du prendre une semaine. Ce qui est rapide par rapport aux standards de l’époque. Certains disques pouvaient prendre des mois…
Quel est ton meilleur souvenir lié à cet enregistrement ?
Paul McKercher : Le groupe a joué avec une telle conviction… Être producteur est un métier fabuleux quand le groupe dépasse tes attentes et quand le résultat sonne au-delà de tes espérances. En plus, Peter nous faisait rire avec ses taquineries bien intentionnées.
Le plus mauvais ?
Paul McKercher : Aucune idée. Désolé.
Comment as-tu trouvé le son de Drift ?
Paul McKercher : Disons que c’est un heureux hasard. Les bonnes chansons te guident vers la palette sonore dont elles ont besoin. Le son de Drift, et celui de la musique en général, met en avant les gens qui jouent sur de véritables instruments. C’est le témoignage, en quelques sorte, du groupe qui joue. Nous avons utilisé une vieille console Neve et un enregistreur de 24 pistes. Cela a largement contribué à créer l’empreinte sonore de Drift. Et il faut souligner que le mixage de Don Bartley est superbe.
Quelle est ta chanson préférée de Drift ? Pourquoi ?
Paul McKercher : Je me rappelle avoir été totalement estomaqué lorsque le groupe a enregistré What’s Left Of Your Nerve. Cette chanson est restée des mois dans ma tête et j’ai tenté de ressentir de nouveau la même émotion avec les enregistrements qui ont suivi. Et j’ai rarement atteint mon but.
Si je devais déconstruire cette chanson : les cassures habiles faussement trompeuses, les changements d’énergie qui permettent une fin formidable, le jeu de batterie en clair-obscur de Mark Dawson, les mélodies de la guitare de Greg Atkinson, les notes exquises de la basse de John Wilsteed, la tension dans la voix de Peter et ses paroles brutales font de cette chanson une de mes chansons préférées. Elle est dramatique et a une puissance émotionnelle incroyable. C’est là l’essentiel. C’est ce qui fait qu’une chanson est réussie. Ou non.
The Apartments – What’s Left of Your Nerve
The Apartments - Drift
Drift de The Apartments est disponibe via Talitres.
- The Goodbye Train
- On Every Corner
- Mad Cow
- Nothing Stops It
- Over
- Knowing You Were Loved
- Places Where The Night Is Long
- All His Stupid Friends
- Could I Hide Here? (A Little While)
- What's Left Of Your Nerve
- You Wanna Cry STOP (I'm The Staying Kind)
- Calling On Jean
- On Every Corner (London Demo)
Un grand merci à Guillaume Sautureau pour la photographie de Peter Milton Walsh au concert des Bouffes du Nord (Paris) en 2012.